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Numéro 177 - mai 2004
( sommaire )

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D’un christianisme dans lequel Dieu intervient en permanence dans la vie de l’homme à un christianisme dans lequel Dieu laisse l’homme agir à sa guise, les conceptions sont nombreuses. Olivier Pigeaud nous présente ici ces diverses sensibilités, extrêmes ou intermédiaires.

Deux christianismes ?

Les diverses formes de christianisme sont innombrables dans le temps et selon les traditions et confessions. Les distinctions peuvent être minimes, ou au contraire massives, au point qu’on peut se demander face à ces conceptions très opposées s’il s’agit du même Évangile !

Parole ou sacrement, prière ou action, autorité ou liberté, salut général ou réservé à quelques-uns, autant de pôles opposés qu’approchent de façons très différentes les courants chrétiens passés et présents.

Sans doute la plus tranchée de toutes les oppositions implique-t-elle la personne même de Dieu, ou plus exactement la façon dont nous percevons sa présence. D’un côté se trouvent les chrétiens qui ressentent une présence active forte de Dieu, de l’autre ceux qui pensent que Dieu laisse un large champ libre, voire même une responsabilité totale à l’être humain.

Pour un Dieu interventionniste

C’est un Dieu qui parle beaucoup et qui agit en permanence. « Avant que je ne me lève, Dieu m’avait déjà adressé deux indications sur ce que je devais faire dans la journée. » « Le moteur de ma voiture est tombé en panne : Dieu a envoyé chez mon garagiste une voiture accidentée dont le moteur était en bon état. » « Votre jambe raccourcie à la suite de votre accident, Dieu va vous la rallonger. » La toute-puissance de Dieu se prouve à chaque instant.

Le livre « Les gens les plus heureux sur terre » sur la vie de Demos Shakarian, fondateur des « Hommes d’affaires du plein Évangile » (Concordia 1978) est un bon exemple de ce christianisme en relation avec un Dieu qui intervient en permanence, règle les problèmes, récompense et punit. Même si Demos Shakarian constate que parfois Dieu ne guérit pas un de ses proches, ce qui n’entame pas sa confiance en Lui, il pense que ses troupeaux sont guéris et même vaccinés par Dieu ; avant d’acheter un taureau il prie : « Seigneur, c’est toi qui as fait ces bêtes, tu vois ce qui se passe dans chaque cellule de leur corps ; montre-moi celle que je dois acheter. »

Car à cette notion d’un Dieu super-actif est lié tout un ensemble de conceptions sur la prospérité des justes et la possibilité pour eux d’échapper aux difficultés. En cas de catastrophe l’explication se trouve dans le manque de confiance en Dieu, la prière insuffisante... et parfois la puissance d’esprits mauvais. Car à la notion d’un Dieu entreprenant est souvent associée celle du démon actif.

Pour un Dieu discret, responsabilisant

C’est un Dieu qui parle indirectement, au travers de l’Écriture. Ses fidèles n’évitent en rien les épreuves, la maladie, la mort. Dieu est présent à leur côté, mais ne fait rien à leur place et peut-être même rien pour eux. Il laisse à chacun la plus grande liberté et la plus grande responsabilité. « L’éloignement d’un Dieu qu’on adore à distance et dont on n’attend pas qu’il intervienne dans la vie des humains assure leur pleine autonomie mondaine aux activités humaines. » (D. Hervieu-Léger, Le Pèlerin et le converti, Champs, Flammarion p. 173)

Le livre de Louis Evely, « La prière d’un homme moderne » (Seuil 1969), qui avait été une petite bombe en son temps dans bien des milieux, est caractéristique de la conception d’un Dieu responsabilisant. En voici quelques phrases significatives : « Dieu a bien plus besoin de nous que nous n’avons besoin de Lui. Nous sommes tout pour Dieu. Dieu n’est rien sans nous. » (p. 42) « Non, l’homme ne doit pas s’abandonner à la Providence. C’est Dieu qui s’est abandonné à l’homme, Dieu qui a abandonné le gouvernement du monde aux lois qu’Il a établies et aux libertés qu’Il a créées. Il est faux que Dieu mène le monde et pipe sans cesse les dés que nous jetons. Dieu respecte la liberté de sa créature. » (p. 92)

On peut même dire qu’il s’est retiré, pour laisser place à l’être humain chargé de continuer son œuvre. Il est certes créateur, mais sa création est un retrait ! Faut-il du coup parler d’impuissance de Dieu ? C’est plutôt de non-puissance volontaire de Dieu qu’il s’agit.

Les tenants du Dieu responsabilisant ont peu de notion de rétribution, en tout cas sur cette terre. S’ils prient, c’est pour demander pardon et dire merci. Dans ce dernier cas ils se demandent même si l’on peut remercier un dieu qui n’intervient pas directement ! Si on a échappé à un danger, à une maladie, on pense à ceux qui n’ont pas eu cette chance.

Des sensibilités intermédiaires.

Ces deux positions extrêmes exposées, il faut reconnaître qu’il existe bien des sensibilités intermédiaires. En particulier, on peut exclure l’intervention directe de Dieu, tout en admettant qu’il nous fait évoluer au travers de l’Écriture et des paroles que nous adressent ceux que nous rencontrons. Certains pensent ainsi recevoir souvent des messages de Dieu.

Même quand on limite la communication venant de Dieu au texte de l’Écriture, on doit reconnaître que les textes ne se bornent pas à une transmission d’informations, mais agissent sur le lecteur, le transforment. Les sciences du langage et de la communication nous interdisent maintenant d’opposer fondamentalement l’acte et la parole. Nos gestes « parlent », et nos mots ont des effets psychiques, voire physiques, sur les autres.

On ne peut donc pas opposer complètement un Dieu qui agit et un Dieu qui ne fait que parler.

D’ailleurs on trouve aussi bien parmi les tenants d’un Dieu proche que parmi ceux d’un Dieu lointain, des mystiques, des personnes qui vivent avec de forts liens affectifs avec Dieu.

Il n’en reste pas moins qu’il faut distinguer deux courants chrétiens bien différents, celui d’un Dieu agissant puissamment et celui d’un Dieu discret.

Que dit la Bible ?

Lequel de ces courants a-t-il le plus d’appuis bibliques ? Si l’on compte le nombre de textes présentant des interventions directes de Dieu ou laissant entendre que Dieu est en retrait, la réponse ne fait pas de doute : Dieu intervient directement et massivement. L’Ancien Testament est plein de miracles de guérisons, mais aussi modifiant le cours de la nature, jusqu’à celui du soleil et de la lune (Jos 10).

Dans le Nouveau Testament il y a les miracles de Jésus et des apôtres. Il faut cependant dire qu’ils sont relativement discrets par rapport à d’autres textes de l’époque qui fourmillent de miracles.

Quelques textes ouvrent la porte à l’autre conception. Dans l’Ancien Testament les psaumes du juste persécuté, les poèmes du serviteur souffrant et le livre de Job impliquent que Dieu n’intervient pas sans cesse pour les siens. Jésus déclare que des victimes d’accidents ou de massacres ne méritent pas ce qui leur arrive (Lc 13,2-4). Et surtout le récit de la Passion implique que Dieu n’intervient pas, comme le fait comprendre la parole de Jésus en croix : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Certes il y a ensuite la résurrection !

Cette faiblesse de Dieu, Paul y consacre un long développement en 1 Co 1,18-31 et il explique qu’en ce qui le concerne Dieu n’a pas répondu à ses demandes de guérison (2 Co 12,8-9).

Si l’on donne à ces textes le poids qu’ils méritent, si l’on tient compte d’une possible évolution allant de l’image d’un Dieu très agissant à celle d’un Dieu qui s’efface, alors les positions de ceux qui croient en un Dieu discret se confortent.

Mais il faut reconnaître que les données bibliques ne permettent pas de disqualifier l’une ou l’autre des deux images de Dieu.

Malgré les nuances possibles il faut donc bien conclure qu’il existe deux types de foi très différents, on peut presque dire deux christianismes opposés.

Vivre ensemble

Reste à savoir s’ils peuvent cohabiter. La question se pose à l’intérieur de chaque communauté. Jusqu'à un certain point la volonté de pluralisme permet à chaque sensibilité de trouver sa place.

 

« Dieu est toujours déjà là, c’est nous qui ne sommes pas là. »

Maurice Zundel, Conférence de Février 1967 à Genève

En ce qui concerne les relations entre Églises les choses sont plus délicates. Dans le processus d’élargissement de la Fédération Protestante de France, les choses doivent être dites franchement. Peuvent cohabiter ceux qui acceptent que d’autres vivent leur relation à Dieu autrement qu’eux-mêmes.

Les tenants les plus extrémistes d’un Dieu interventionniste jugent que ceux qui ne pensent pas comme eux n’ont pas vraiment la foi et qu’ils rendent un mauvais ou un faux témoignage.

Les tenants les plus extrémistes d’un Dieu discret jugent que les premiers ont une conception infantile ou idolâtre de Dieu et que cette mauvaise image de Dieu écarte bien des gens de la foi.

Et si nos conceptions de Dieu tenaient en fait à nos tempéraments, à nos types de personnalité ? Et si Dieu était au-delà des images que nous nous en faisons ?feuille

Olivier Pigeaud

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