Les diverses formes
de christianisme sont innombrables dans le temps et selon les traditions
et confessions. Les distinctions peuvent être minimes, ou au contraire
massives, au point quon peut se demander face à ces conceptions
très opposées sil sagit du même Évangile
!
Parole ou sacrement, prière ou action, autorité
ou liberté, salut général ou réservé
à quelques-uns, autant de pôles opposés quapprochent
de façons très différentes les courants chrétiens
passés et présents.
Sans doute la plus tranchée de toutes les oppositions
implique-t-elle la personne même de Dieu, ou plus exactement la
façon dont nous percevons sa présence. Dun côté
se trouvent les chrétiens qui ressentent une présence
active forte de Dieu, de lautre ceux qui pensent que Dieu laisse
un large champ libre, voire même une responsabilité totale
à lêtre humain.
Pour un Dieu interventionniste
Cest un Dieu
qui parle beaucoup et qui agit en permanence. « Avant que je ne
me lève, Dieu mavait déjà adressé
deux indications sur ce que je devais faire dans la journée.
» « Le moteur de ma voiture est tombé en panne :
Dieu a envoyé chez mon garagiste une voiture accidentée
dont le moteur était en bon état. » « Votre
jambe raccourcie à la suite de votre accident, Dieu va vous la
rallonger. » La toute-puissance de Dieu se prouve à chaque
instant.
Le livre « Les gens les plus heureux sur terre
» sur la vie de Demos Shakarian, fondateur des « Hommes
daffaires du plein Évangile » (Concordia 1978) est
un bon exemple de ce christianisme en relation avec un Dieu qui intervient
en permanence, règle les problèmes, récompense
et punit. Même si Demos Shakarian constate que parfois Dieu ne
guérit pas un de ses proches, ce qui nentame pas sa confiance
en Lui, il pense que ses troupeaux sont guéris et même
vaccinés par Dieu ; avant dacheter un taureau il prie :
« Seigneur, cest toi qui as fait ces bêtes, tu vois
ce qui se passe dans chaque cellule de leur corps ; montre-moi celle
que je dois acheter. »
Car à cette notion dun Dieu super-actif
est lié tout un ensemble de conceptions sur la prospérité
des justes et la possibilité pour eux déchapper
aux difficultés. En cas de catastrophe lexplication se
trouve dans le manque de confiance en Dieu, la prière insuffisante...
et parfois la puissance desprits mauvais. Car à la notion
dun Dieu entreprenant est souvent associée celle du démon
actif.
Pour un Dieu discret, responsabilisant
Cest un Dieu
qui parle indirectement, au travers de lÉcriture. Ses fidèles
névitent en rien les épreuves, la maladie, la mort.
Dieu est présent à leur côté, mais ne fait
rien à leur place et peut-être même rien pour eux.
Il laisse à chacun la plus grande liberté et la plus grande
responsabilité. « Léloignement dun Dieu
quon adore à distance et dont on nattend pas quil
intervienne dans la vie des humains assure leur pleine autonomie mondaine
aux activités humaines. » (D. Hervieu-Léger, Le
Pèlerin et le converti, Champs, Flammarion p. 173)
Le livre de Louis Evely, « La prière dun
homme moderne » (Seuil 1969), qui avait été une
petite bombe en son temps dans bien des milieux, est caractéristique
de la conception dun Dieu responsabilisant. En voici quelques
phrases significatives : « Dieu a bien plus besoin de nous que
nous navons besoin de Lui. Nous sommes tout pour Dieu. Dieu nest
rien sans nous. » (p. 42) « Non, lhomme ne doit pas
sabandonner à la Providence. Cest Dieu qui sest
abandonné à lhomme, Dieu qui a abandonné
le gouvernement du monde aux lois quIl a établies et aux
libertés quIl a créées. Il est faux que Dieu
mène le monde et pipe sans cesse les dés que nous jetons.
Dieu respecte la liberté de sa créature. » (p. 92)
On peut même dire quil sest retiré,
pour laisser place à lêtre humain chargé de
continuer son uvre. Il est certes créateur, mais sa création
est un retrait ! Faut-il du coup parler dimpuissance de Dieu ?
Cest plutôt de non-puissance volontaire de Dieu quil
sagit.
Les tenants du Dieu responsabilisant ont peu de notion
de rétribution, en tout cas sur cette terre. Sils prient,
cest pour demander pardon et dire merci. Dans ce dernier cas ils
se demandent même si lon peut remercier un dieu qui nintervient
pas directement ! Si on a échappé à un danger,
à une maladie, on pense à ceux qui nont pas eu cette
chance.
Des sensibilités intermédiaires.
Ces deux positions
extrêmes exposées, il faut reconnaître quil
existe bien des sensibilités intermédiaires. En particulier,
on peut exclure lintervention directe de Dieu, tout en admettant
quil nous fait évoluer au travers de lÉcriture
et des paroles que nous adressent ceux que nous rencontrons. Certains
pensent ainsi recevoir souvent des messages de Dieu.
Même quand on limite la communication venant de
Dieu au texte de lÉcriture, on doit reconnaître que
les textes ne se bornent pas à une transmission dinformations,
mais agissent sur le lecteur, le transforment. Les sciences du langage
et de la communication nous interdisent maintenant dopposer fondamentalement
lacte et la parole. Nos gestes « parlent », et nos
mots ont des effets psychiques, voire physiques, sur les autres.
On ne peut donc pas opposer complètement un Dieu
qui agit et un Dieu qui ne fait que parler.
Dailleurs on trouve aussi bien parmi les tenants
dun Dieu proche que parmi ceux dun Dieu lointain, des mystiques,
des personnes qui vivent avec de forts liens affectifs avec Dieu.
Il nen reste pas moins quil faut distinguer
deux courants chrétiens bien différents, celui dun
Dieu agissant puissamment et celui dun Dieu discret.
Que dit la Bible ?
Lequel de ces courants
a-t-il le plus dappuis bibliques ? Si lon compte le nombre
de textes présentant des interventions directes de Dieu ou laissant
entendre que Dieu est en retrait, la réponse ne fait pas de doute
: Dieu intervient directement et massivement. LAncien Testament
est plein de miracles de guérisons, mais aussi modifiant le cours
de la nature, jusquà celui du soleil et de la lune (Jos
10).
Dans le Nouveau Testament il y a les miracles de Jésus
et des apôtres. Il faut cependant dire quils sont relativement
discrets par rapport à dautres textes de lépoque
qui fourmillent de miracles.
Quelques textes ouvrent la porte à lautre
conception. Dans lAncien Testament les psaumes du juste persécuté,
les poèmes du serviteur souffrant et le livre de Job impliquent
que Dieu nintervient pas sans cesse pour les siens. Jésus
déclare que des victimes daccidents ou de massacres ne
méritent pas ce qui leur arrive (Lc 13,2-4). Et surtout le récit
de la Passion implique que Dieu nintervient pas, comme le fait
comprendre la parole de Jésus en croix : « Mon Dieu, mon
Dieu, pourquoi mas-tu abandonné ? » Certes il y a
ensuite la résurrection !
Cette faiblesse de Dieu, Paul y consacre un long développement
en 1 Co 1,18-31 et il explique quen ce qui le concerne Dieu na
pas répondu à ses demandes de guérison (2 Co 12,8-9).
Si lon donne à ces textes le poids quils
méritent, si lon tient compte dune possible évolution
allant de limage dun Dieu très agissant à
celle dun Dieu qui sefface, alors les positions de ceux
qui croient en un Dieu discret se confortent.
Mais il faut reconnaître que les données
bibliques ne permettent pas de disqualifier lune ou lautre
des deux images de Dieu.
Malgré les nuances possibles il faut donc bien
conclure quil existe deux types de foi très différents,
on peut presque dire deux christianismes opposés.
Vivre ensemble
Reste à savoir
sils peuvent cohabiter. La question se pose à lintérieur
de chaque communauté. Jusqu'à un certain point la volonté
de pluralisme permet à chaque sensibilité de trouver sa
place.
« Dieu est toujours
déjà là, cest nous qui ne sommes pas
là. »
Maurice Zundel, Conférence
de Février 1967 à Genève
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En ce qui concerne les relations entre Églises
les choses sont plus délicates. Dans le processus délargissement
de la Fédération Protestante de France, les choses doivent
être dites franchement. Peuvent cohabiter ceux qui acceptent que
dautres vivent leur relation à Dieu autrement queux-mêmes.
Les tenants les plus extrémistes dun Dieu
interventionniste jugent que ceux qui ne pensent pas comme eux nont
pas vraiment la foi et quils rendent un mauvais ou un faux témoignage.
Les tenants les plus extrémistes dun Dieu
discret jugent que les premiers ont une conception infantile ou idolâtre
de Dieu et que cette mauvaise image de Dieu écarte bien des gens
de la foi.
Et si nos conceptions de Dieu tenaient en fait à
nos tempéraments, à nos types de personnalité ?
Et si Dieu était au-delà des images que nous nous en faisons
?
Olivier
Pigeaud