La scène se
passe dans un important carrefour de la rive gauche où convergent
cinq rues. Les piétons ont du mal à le traverser car,
quand ils croient en avoir le droit, les voitures tournant à
droite cherchent à forcer le passage pour ne pas laisser derrière
elles un bouchon de voitures bloquées.
Le provincial que je suis observe, devant lui, à
droite, à gauche. Quel est le bon moment ? À côté
de moi, les autres piétons sont cloués au trottoir par
les voitures qui tournent. En face où les gens hésitent
pareillement, je remarque un chien-loup qui guide un aveugle par un
large harnais. Lui aussi est bloqué et je m’apitoie. Mais
pour l’aider, il faudrait d’abord que je traverse !
Soudain
le chien s’ébranle et l’aveugle suit docilement. Sans
encombre, tous deux traversent et, avec un temps de retard, j’en
fais autant et je les croise. Les autres piétons m’imitent,
comme moi un peu décalés par rapport au brusque démarrage
du chien.
Ce dernier, impassible, avait observé les voitures
et saisi, le premier, le bon moment. Puis il avait franchi la rue sans
hésiter, d’un bon pas. Meilleur observateur que nous, les
bipèdes voyants, plus concentré, plus décidé,
plus lucide, plus intelligent. Aucune voiture ne l’avait dérangé.
Et tout cela, sans forfanterie, comme un bon serviteur
aimant son maître... ou un bon chef de troupe.
D’aucuns trouveront sans doute que Dieu a lieu d’être
satisfait de sa création qui permet à un tel animal de
diriger les humains dans l’embarras. N’est-ce pas une bonne
chose (Gn 1, 31) ?
Bernard
Félix