La presse fillette ?
Au kiosque à journaux, les couvertures colorées s’offrent
sous plastique transparent avec un gadget très prisé (pendentif,
tongs, perles, etc.). Une dizaine de titres mensuels dont Julie, Manon,
Princesse, Les p’tites sorcières, Les P’tites princesses,
Barbie Magazine, occupent le créneau ; certains comme Manon (6-8
ans) ou Julie (8-12 ans) tirent respectivement à 80 000 et 140
000 exemplaires. Si la presse fillette n’est pas un phénomène
nouveau (elle paraissait déjà au XIXe siècle),
elle s’était absentée des années durant, pour
mille raisons, dont le féminisme et la mixité obligatoire
des années 70 ne sont probablement pas les moindres. À
l’époque, n’aurait-on pas pris pour une provocation
l’appel évident à des valeurs féminines, même
s’il est plus subtil que dans les Lisette, La Semaine de Suzette
ou Bernadette de naguère ?
Plaire et séduire
La presse fillette
d’aujourd’hui est, sans état d’âme, réservée
aux filles, promeut un univers de filles dont les garçons sont
les grands absents. Mais la différence avec les ancêtres
ne tiendrait-elle pas dans cette autonomie qu’on encourage les
jeunes lectrices à revendiquer, dans cette exigence de reconnaissance
de leurs goûts, de leurs stars, de leurs marques, un mouvement
dans lequel les adultes sont entraînés, consentants ou
non ! Autre différence essentielle, ces fillettes apprennent
très tôt à gérer les relations avec les copines
et… avec les copains de cœur (les garçons n’existent
généralement que dans cette relation). Et surtout à
mesurer leur séduction. Il faut plaire, plaire encore et cette
presse joue à fond sur l’apparence : conseils donnés
pour personnaliser son look, vêtements recommandés –
des pages de publicité pour des vêtements de marque chers
–, même si dans la partie rédactionnelle on balance
le conseil opposé : attention ne dépense pas futilement,
ne t’attache pas aux marques, l’apparence n’est pas le
seul critère pour être bien avec les copains !
Dès
6 ans, on trouve aussi la bonne vieille rubrique « Courrier »
(courrier du cœur compris), lieu de balbutiements des soucis amoureux
– « Je suis amoureuse mais je ne sais pas s’il m’aime
» – des disgrâces physiques, du souci de l’apparence
qui trahit l’inquiétude de ne pas être conforme. Le
stéréotype minceur se glisse déjà au travers
de conseils : tu es ronde, tu es mince, choisis tel vêtement,
ne grignote pas… Le courrier a pour fonction évidente de
relier les lectrices, mais ne donne-t-il pas en même temps au
magazine l’autorité du savoir sur les conduites à
tenir ? Les parents, dont on sait qu’ils contrôlent très
peu ou pas du tout ces lectures, comme d’ailleurs le contenu des
jeux vidéo des garçons, devraient y être attentifs.
Fillettes modélisées et formatées
Si l’on ne trouve
plus les stéréotypes sexuels classiques (ménage,
cuisine, enfants), la fillette est bien modélisée, formatée
pour un univers féminin convenu où elle navigue de rubriques
animalières à celles de bricolage (récurrentes
celles-là et toujours connotées intérieur : décoration
de la chambre, cadre pour ses photos, déguisements), d’interviewes
de stars en reportages sur un métier « social » et
en journal intime fortement valorisé – une expression de
soi qui n’est jamais proposée qu’aux filles.
« Finalement, explique Corine Destal de l’université
de Bordeaux qui a travaillé sur cette presse, les filles telles
qu’on les montre dans la presse fillette correspondent à
l’image de la femme moderne en miniature. On leur insuffle déjà
qu’il faudra assurer sur tous les plans sans omettre cette touche
de frivolité et de superficialité en même temps
que de modération si typiquement féminines. Ce qu’on
attend des filles ? Qu’elles contrôlent tout, les garçons
étant largement dévalorisés dans cette presse.
»
Signe de régression de la cause des femmes que
cette presse fillette centrée sur un univers hyper féminisé
? « En tout cas très frileuse, peu novatrice, dangereuse
lorsqu’elle encourage finalement les adultes à cautionner
les relations amoureuses de leurs filles dès l’école
primaire ! Prépare-t-on des objets sexuels pour demain ? Et des
lectrices de la presse féminine plus que des quotidiens nationaux
? ». 
Claudine
Castelnau