« Elles sortirent du tombeau et s’enfuirent
tremblantes et stupéfaites.
Et elles ne dirent rien à personne, car
elles avaient peur ».
Marc 16,8.
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Comme cet évangile
de Marc est déconcertant ! Presque chaque fois que Jésus
prononce un enseignement ou guérit un malade, ou chasse un démon,
les foules et les disciples sont plongés dans la crainte, dans
la frayeur. Beaucoup de ceux à qui Jésus demande de se
taire parlent. Ceux qui parlent, il les fait taire. Si les disciples
ne comprennent pas souvent ce qui se passe, le centurion devant la croix,
lui, trouve les mots justes. Les démons, qui interpellent Jésus,
le connaissent (Mc 1,25 ; 3,11 ; 5,7). Ils ont mainmise sur lui en le
nommant. Ils exercent le pouvoir qui enferme celui qu’ils nomment
dans la définition qu’ils s’en sont fait. Aucun espoir
pour eux : celui qu’ils appellent le « Saint de Dieu »
est là pour les combattre, pour les faire disparaître.
Et, en exprimant ce savoir : « je sais » disent-ils, ils
se coupent de toute communication avec le seul qui pourrait les sortir
de cet état de démon. Ils se privent ainsi, d’eux-mêmes,
de toute espérance. Jésus les expulse des hommes qu’ils
étaient venus habiter. Il redonne à ces hommes l’accès
à leur intégrité et à leur parole. Ils peuvent
ainsi renouer des liens avec leurs proches et témoigner de leur
rencontre avec Jésus. À certains malades guéris,
Jésus demande le silence, mais ils parlent. Que disent-ils ?
Après leurs témoignages, les foules sont transportées
: espérance ? curiosité ?
Les exégètes s’accordent à
dire que l’évangile primitif de Marc se terminait sur ce
silence des femmes. Elles sont trois qui, après avoir suivi de
loin la mort de Jésus, ont observé où Joseph déposait
son corps, enveloppé dans un linceul. C’était déjà
nu, sous un linceul, qu’un jeune homme, après l’arrestation
de Jésus, le suivait. Arrêté, lâchant le drap/linceul
qui l’entourait, le jeune homme avait fui, nu. Les trois femmes
se retrouvent dans le tombeau avec un jeune homme vêtu d’une
robe blanche. Il leur dit que le tombeau est vide, que le crucifié
ne gît plus sous le linceul. La mort ne l’a pas plus retenu
que les gardes n’avaient pu retenir le jeune homme nu. Le jeune
homme – est-ce le même ? – leur demande d’aller
dire aux disciples et à Pierre que Jésus de Nazareth est
ressuscité, qu’il les précède en Galilée.
Et les femmes sont saisies de crainte, comme après chaque enseignement
de Jésus. Elles fuient loin du tombeau, comme si le tombeau les
avait expulsées : circulez, il n’y a vraiment rien à
voir ici, du côté de la mort ! Elles se taisent, ne racontent
donc pas, avec des mots imparfaits. Elles n’expriment pas une connaissance,
telle que celle des démons, qui savent mais ne croient pas, n’espèrent
pas et n’ont aucun mouvement de foi.
Mais il nous reste le témoignage de Marc : elles
ont donc su donner à comprendre aux autres le retour qu’ils
avaient à faire sur leur vie en Galilée avec Jésus.
Temps de cette vie où ils ont eu leurs regards changés
quant au sens profond des textes de la Loi, quant à la vérité
de l’amour de Dieu pour l’homme, quant à leurs engagements
et responsabilités dans ce monde. Nul besoin de manifestation
physique, charnelle, du ressuscité car le sens de la résurrection
de Jésus, le Christ, par Dieu, est de l’ordre de l’expérience
que chacun en fait dans sa rencontre avec Dieu. Et l’évangile
de Marc ne donne pas de récit d’apparition de ressuscité
! Il nous laisse sur l’indicible du mystère du tombeau vide,
comme il nous indiquait, avec les démons, l’impossibilité
de retenir Jésus dans des définitions. Peut-être
est-ce ainsi que les trois femmes ont réellement compris que
le silence imposé par Jésus aux démons indiquait
la vie en son partage plutôt que l’emprisonnement dans un
savoir figé ?
Florence
Couprie