Les textes originaux de la Bible, Premier comme Second
Testament, ne comportaient pas de ponctuation, car l’usage de ce
complément à l’écriture date du Moyen Âge.
Pas de ponctuation, pas de majuscules non plus, de sorte qu’on
ne sait pas trop où s’arrêtent les phrases principales
et comment se répartissent les subordonnées. Parfois les
séparations peuvent se retrouver sans ambiguïté.
Parfois, plusieurs solutions sont possibles, et suivant que l’on
dispose un signe de ponctuation à tel ou tel endroit, on change
le sens. Quel est le sens original, celui de l’auteur? Le contexte
peut aider à le retrouver. Mais il arrive que le traducteur profite
de ce degré de liberté pour orienter le sens vers la théologie
la plus convenable, la plus orthodoxe.
On connaît l’exemple célèbre
de la citation d’Ésaïe 40,3 au début des évangiles.
Si nous reprenons le texte de Marc (1,3) sans mettre de ponctuation:
«Une voix crie dans le désert préparez
les chemins
du Seigneur rendez droit ses sentiers»
Le désert se rapporte-t-il à l’endroit
où crie la voix (deux points après «désert»)
ou à l’endroit où les chemins doivent être
préparés (deux points après «crie»)?
Si l’on revient à Ésaïe, il n’y
a pas d’ambiguïté. Car, comme bien souvent, les phrases
vont par paire:
«Une voix crie
Dans le désert préparez un chemin pour le Seigneur
Dans la steppe nivelez une chaussée pour notre Dieu»
Il est évident ici que c’est le chemin qui
doit traverser le désert (pour permettre aux juifs libérés
à Babylone de rejoindre Jérusalem). Cependant, les traductions
du Second Testament considèrent toutes que c’est la voix
qui crie dans le désert, puisqu’elle est devenue celle de
Jean-Baptiste. Elles s’appuient sur la Septante (traduction en
grec de Premier Testament) qui indiquerait cela; Marc aurait repris
le texte et le sens de la Septante. Cependant, celle-ci ne comportait
pas davantage de ponctuation. Donc elle ne pouvait rien préciser.
Il est vrai qu’elle omet «dans la steppe», expression
qui justement obligeait à mettre le chemin dans le désert
et non pas la voix. Jean-Baptiste étant présenté
comme un homme «du désert», il est possible, en effet
que les évangélistes aient cru que la voix criait dans
le désert. Toujours est-il que par un simple déplacement
de la virgule, on transforme la nécessité de rassembler
le peuple d’Israël en une attente messianique..
Nous allons voir un autre exemple, dans Romains 9,5.
La très grande majorité des traductions mettent la ponctuation
de manière à ce que l’apôtre Paul écrive,
en parlant des Israélites:
«Eux dont est issu le Christ selon la chair,
lui qui est au dessus de tout,
Dieu béni éternellement.»
Mais on peut aussi mettre la ponctuation de manière
à lire:
«Eux dont est issu le Christ selon la chair.
Celui qui est Dieu
au dessus de tout
est béni éternellement.»
Je n’ai trouvé que la version Stapfer (1911)
pour privilégier la deuxième hypothèse. La différence
est colossale. Dans le premier cas, Jésus est Dieu; dans le second,
il ne l’est pas. On comprend que toutes les traductions se soient
précipitées sur la première hypothèse. Pour
une fois que Paul aurait dit que Jésus était Dieu, il
fallait en profiter. Mais justement, pourquoi l’apôtre n’aurait-il
dit qu’une seule fois, dans l’ensemble de ses lettres, que
Jésus était Dieu? Nulle part ailleurs, Paul ne fait la
confusion. Pour lui, Dieu est notre Père et le Père de
Jésus Christ (Ro 1,2-3) et Jésus est le fils de Dieu (Ro
1,19). Dans l’ensemble de sa pensée épistolaire,
Paul maintient toujours une distinction nette entre Dieu et Jésus.
La seule concession qu’il fait est dans la fameuse ode aux Philippiens,
qui d’ailleurs n’est pas de lui, dans laquelle il précise
que Jésus est «en forme» de Dieu. Si justement il
est «en forme», ou à «l’image»,
comme dit la Genèse de l’homme, c’est qu’il n’est
pas Dieu.
À cause de l’ensemble de ce contexte, il
est évident pour moi que la deuxième hypothèse
est la bonne. Le Christ est le Christ. Dieu est Dieu, au dessus de tout,
béni éternellement. Et le choix de la ponctuation pour
traduire le Second Testament n’est pas toujours correct ni innocent.
Henri
Persoz