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Numéro 189 - Mai 2005
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Deux exemples nous montrent que, jouant sur la ponctuation, les traducteurs de la Bible peuvent orienter le sens du texte, et même le changer complètement !

Ponctuation trahison ?

Les textes originaux de la Bible, Premier comme Second Testament, ne comportaient pas de ponctuation, car l’usage de ce complément à l’écriture date du Moyen Âge. Pas de ponctuation, pas de majuscules non plus, de sorte qu’on ne sait pas trop où s’arrêtent les phrases principales et comment se répartissent les subordonnées. Parfois les séparations peuvent se retrouver sans ambiguïté. Parfois, plusieurs solutions sont possibles, et suivant que l’on dispose un signe de ponctuation à tel ou tel endroit, on change le sens. Quel est le sens original, celui de l’auteur? Le contexte peut aider à le retrouver. Mais il arrive que le traducteur profite de ce degré de liberté pour orienter le sens vers la théologie la plus convenable, la plus orthodoxe.

On connaît l’exemple célèbre de la citation d’Ésaïe 40,3 au début des évangiles. Si nous reprenons le texte de Marc (1,3) sans mettre de ponctuation:

«Une voix crie dans le désert préparez les chemins
du Seigneur rendez droit ses sentiers»

Le désert se rapporte-t-il à l’endroit où crie la voix (deux points après «désert») ou à l’endroit où les chemins doivent être préparés (deux points après «crie»)?

Si l’on revient à Ésaïe, il n’y a pas d’ambiguïté. Car, comme bien souvent, les phrases vont par paire:

«Une voix crie
Dans le désert préparez un chemin pour le Seigneur
Dans la steppe nivelez une chaussée pour notre Dieu»

Il est évident ici que c’est le chemin qui doit traverser le désert (pour permettre aux juifs libérés à Babylone de rejoindre Jérusalem). Cependant, les traductions du Second Testament considèrent toutes que c’est la voix qui crie dans le désert, puisqu’elle est devenue celle de Jean-Baptiste. Elles s’appuient sur la Septante (traduction en grec de Premier Testament) qui indiquerait cela; Marc aurait repris le texte et le sens de la Septante. Cependant, celle-ci ne comportait pas davantage de ponctuation. Donc elle ne pouvait rien préciser. Il est vrai qu’elle omet «dans la steppe», expression qui justement obligeait à mettre le chemin dans le désert et non pas la voix. Jean-Baptiste étant présenté comme un homme «du désert», il est possible, en effet que les évangélistes aient cru que la voix criait dans le désert. Toujours est-il que par un simple déplacement de la virgule, on transforme la nécessité de rassembler le peuple d’Israël en une attente messianique..

Nous allons voir un autre exemple, dans Romains 9,5. La très grande majorité des traductions mettent la ponctuation de manière à ce que l’apôtre Paul écrive, en parlant des Israélites:

«Eux dont est issu le Christ selon la chair,
lui qui est au dessus de tout,
Dieu béni éternellement.»

Mais on peut aussi mettre la ponctuation de manière à lire:

«Eux dont est issu le Christ selon la chair.
Celui qui est Dieu
au dessus de tout
est béni éternellement.»

Je n’ai trouvé que la version Stapfer (1911) pour privilégier la deuxième hypothèse. La différence est colossale. Dans le premier cas, Jésus est Dieu; dans le second, il ne l’est pas. On comprend que toutes les traductions se soient précipitées sur la première hypothèse. Pour une fois que Paul aurait dit que Jésus était Dieu, il fallait en profiter. Mais justement, pourquoi l’apôtre n’aurait-il dit qu’une seule fois, dans l’ensemble de ses lettres, que Jésus était Dieu? Nulle part ailleurs, Paul ne fait la confusion. Pour lui, Dieu est notre Père et le Père de Jésus Christ (Ro 1,2-3) et Jésus est le fils de Dieu (Ro 1,19). Dans l’ensemble de sa pensée épistolaire, Paul maintient toujours une distinction nette entre Dieu et Jésus. La seule concession qu’il fait est dans la fameuse ode aux Philippiens, qui d’ailleurs n’est pas de lui, dans laquelle il précise que Jésus est «en forme» de Dieu. Si justement il est «en forme», ou à «l’image», comme dit la Genèse de l’homme, c’est qu’il n’est pas Dieu.

À cause de l’ensemble de ce contexte, il est évident pour moi que la deuxième hypothèse est la bonne. Le Christ est le Christ. Dieu est Dieu, au dessus de tout, béni éternellement. Et le choix de la ponctuation pour traduire le Second Testament n’est pas toujours correct ni innocent. feuille

Henri Persoz

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