Nos Églises se
vident-elles vraiment ?Pourquoi certains ne vont-ils au culte qu’une
seule fois par an ? En Alsace-Moselle où j’officie, le vendredi
saint voit une affluence exceptionnelle et unique dans toute l’année.
Pourquoi ou, plutôt, pour qui viennent ces « chrétiens
occasionnels » ?
Se rendent-ils au culte pour eux-mêmes, afin de
se donner bonne conscience et de réaliser leur bonne action de
l’année en pensant se mettre en règle avec Dieu ?
Sacrifient-ils au rite catholique de « faire ses Pâques
» et viennent-ils pour vénérer un mort ?
Je ne peux m’empêcher d’entendre Jésus
s’écrier du haut de la croix : « Père, pardonne-leur,
car ils ne savent pas ce qu’ils font… » Savons-nous
vraiment ce que nous faisons quand, à l’appel de Dieu, nous
nous rassemblons pour vivre la célébration du culte ?
Ne faut-il pas appeler ces paroissiens occasionnels à
venir s’engager au service du Christ vivant et à en témoigner
activement dans son Église et hors de ses murs pour le monde
?
L’Église : y entrer… ou en sortir ?
Quelle image de l’Église sous-tend cette
pratique épisodique ? Une Église doit-elle attirer à
elle des fidèles, de préférence en grand nombre,
ou est-elle « appelée à témoigner hors de
ses murs » selon le sens étymologique du mot Église
: appelée à sortir ? Les bancs apparemment vides du dimanche
sont-ils vraiment le signe d’une Église moribonde ? Je remarque
que les quinze ou trente paroissiens dominicaux sont rarement les mêmes.
Il y a un roulement dans les présents. Autrefois, l’Église
offrait, le dimanche matin, le seul lieu de rassemblement. De multiples
associations et rencontres assurent maintenant cette fonction de regroupement.
Le travail s’accompagne d’un stress immense
; il exige une mobilité et une disponibilité qui créent
de nombreux célibataires géographiques. La cohésion
familiale en souffre, les deux parents travaillent, on n’a pas
d’autres moments que les week-ends pour souffler un peu. De plus,
quel but poursuit l’Église : remplir des bancs ou appeler
les gens à s’engager au service des plus fragiles à
la suite du Christ ressuscité et lui prêter leurs mains
?
Une analyse commode prétend que s’il n’y
a plus personne aux cultes et messes, la faute en incombe aux permanents
de service ! Logique du nombre de notre société où
rendement, profit et bénéfices sont les maîtres
mots d’un bon fonctionnement. La chasse aux sorcières s’ouvre
à nouveau avec son corollaire indispensable : la quête
inlassable d’un bouc émissaire. Cette démarche est
alimentée par la culture télévisuelle des reality
shows et autres émissions de déballages intimes devant
un peuple passif de voyeurs, nouvelle version des jeux du cirque, où
seul compte l’audimat réalisé.
Nostalgie du temple plein.
Certaines fêtes chrétiennes et les rites
de passages importants de nos vies (baptêmes, mariages et enterrements)
rassemblent du monde. On constate que pour Noël, Pâques et
Pentecôte, ainsi que pour certains actes d’Église,
les temples se remplissent.
Pour les fêtes, peut-être la nostalgie idéalisée
d’autrefois favorise-t-elle le rassemblement dans les lieux de
culte ? Réentendre les textes bibliques fondateurs de notre foi
enfouie, rechanter les cantiques qui ont bercé notre enfance,
rassembler la famille pour partager un bon repas et surtout revoir le
temple presque plein à ces occasions emplit notre cœur de
fierté et fait vibrer notre fibre protestante. La société
a bien compris le profit à tirer de ces fêtes et de ces
événements rituels. La place de l’enfant roi alimente
rites et traditions en poussant à la consommation : à
Noël, échange de cadeaux sous le sapin ; à Pâques,
recherche des œufs, des poules, cloches et lapins en chocolat ;
à Pentecôte, fête des confirmations où, là
également, les cadeaux jouent un rôle non négligeable
et étonnent les confirmants eux-mêmes !
Ces fêtes et ces rites de passage demeurent encore
des événements marquants dans notre existence et incitent
les personnes à rejoindre les communautés pour partager
joies et peines à la recherche de racines fondatrices qui donnent
un sens à leur vie.
Église : abri ou témoignage risqué
Chaque dimanche, le temple abrite au mieux 30 personnes
sur 280 familles inscrites sur le fichier paroissial. J’ai écrit
« abrite » ! Vivons-nous notre foi comme un refuge ? L’Église
devient une pompe à essence où nous faisons le plein ponctuellement.
Nous sommes spectateurs et consommateurs sans nous impliquer concrètement
pour que l’Église vive et témoigne hors les murs,
suivant le risque de sa vocation.
« Fais que je cesse de blâmer l’Église
pour me dispenser moi-même d’y travailler », comme
le dit André Dumas dans Cent prières possibles. Je reviens
d’un échange de pasteurs en Zambie où j’ai constaté
l’effort, la fidélité et la participation active
dans l’Église et pas seulement au culte ! Certains paroissiens
marchent 10 heures à l’aller et autant au retour pour partager
le culte en communauté.
Alors peut-être en France nous moquons-nous de
Dieu ? Et, du même coup, nous nous égarons nous-mêmes,
nous perdons l’essentiel de notre existence, le sens de notre vie
qui est le partage de notre foi et de notre vie avec les autres.
Individualisme et solidarité
Comment répondre à l’appel de Dieu,
en solitaires… ou en solidaires ?
Les personnes rencontrées lors des préparations
des actes d’Église confessent spontanément : «
Je suis croyant, pas pratiquant ». Peut-on croire seul dans son
coin, sans faire circuler autour de nous cette Parole qui nous fait
vivre ? La foi se réduit-elle à une affaire privée
entre Dieu et nous ? C’est souvent l’alibi qu’on fournit
: « Je ne viens pas au temple, mais je crois en Dieu, je prie,
je suis engagé dans des associations humanitaires. » Je
: sacré individualisme ! La dimension communautaire du partage
– le nous – ne manque-t-elle pas ? Nous cédons à
l’inertie et la passivité. Il est beaucoup plus confortable
de demeurer chez soi que de faire l’effort de sortir pour participer
à un culte ou à une étude biblique.
Certes, notre société n’a pas la même
notion du temps qu’en Afrique. Posons-nous, cependant, la question
: qu’est-ce qui nous fait vivre ? Ou, plutôt, qui nous fait
vivre ? Et que sommes-nous prêts à offrir à l’Église,
argent, énergie, forces, imagination, idées ?
Simplicité de la prière à retrouver.
En Zambie, la prière est vivante ; elle se partage
dans tous les groupes d’Église. Les paroissiens, à
la demande du pasteur le matin même, prient spontanément
pour une louange, un pardon, une intercession. Qu’est-ce qui nous
retient de prier à haute voix ? La peur de ne pas trouver les
mots, la crainte du jugement des autres ? La prière devient alors
affaire de spécialistes. Retrouvons la faim du partage de la
Parole et de la prière communautaire. Arrêtons de compter
et de nous lamenter en ressassant notre passé protestant idéalisé
; retrouvons plutôt l’audace des tutoyeurs de Dieu qu’ils
étaient. Le monde attend de nous une parole forte. L’Église
n’est-elle pas le rassemblement des chercheurs de Dieu, témoins
actifs de l’amour du Christ « large, long, haut et profond
» (Eph 3,14-21) ?
« Gémir ou agir » (Abbé Pierre).
Demeurerons-nous des chrétiens gémissants
ou serons-nous des chrétiens agissants ?
Si nous voulons être fidèles au Christ ressuscité,
il nous faut bouger, nous lever, nous réveiller ! C’est-à-dire
: ressusciter. L’apôtre Paul le disait aux chrétiens
d’Éphèse (5,14) : « Réveille-toi, toi
qui dors, relève-toi d’entre les morts et le Christ t’éclairera
! » 
Anne-Lise
Salque