Les concepts de jugement
et de jugement dernier ont souvent été utilisés
pour nourrir ce que l’historien Jean Delumeau appelle la «
pastorale de la peur ». Dieu est utilisé comme un épouvantail
pour effaroucher les consciences et pour les soumettre à un ordre
doctrinaire ou moral. Mais ce n’est pas parce que son usage pervertit
une notion que celle-ci devrait être rejetée. L’idée
de jugement divin exprime celle, éminemment biblique, que Dieu
est parfois en colère contre un monde barbare. La Bible montre
que ce jugement ne s’applique pas tant à une personne qu’au
mal qui la ronge ou qu’elle commet.
Le Dieu juge est celui qui refuse de fermer les yeux sur
le mal et la souffrance. L’image de ce Dieu appelle une prédication
de résistance contre le mal et refuse de nous laisser les bras
croisés devant la souffrance. La notion de jugement dernier peut,
quant à elle, servir l’idée que nous n’avons
pas le dernier mot sur nous-mêmes et sur les autres. Le sens ultime
de notre existence nous échappe. S’il convient parfois de
faire preuve d’esprit critique, ce jugement reste relatif et incomplet.
Ainsi, celui qui est jugé n’en est pas prisonnier, il n’est
pas réduit à l’opinion émise à son
sujet. D’une manière plus existentielle, le jugement dernier
peut désigner ce moment charnière de nos vies où
soudainement nous comprenons l’erreur que nous avons faite, cet
instant fatidique où nous prenons la pleine mesure d’une
faute commise. Plus rien ne sera désormais comme avant. Cette
expérience, douloureuse peut-être, est parfois le passage
obligé vers une réconciliation avec soi-même qui
seule peut nous remettre debout.
Raphaël
Picon