Après la Didachè
(voir le numéro précédent d’Évangile
et liberté), voici un second exemple : l’évangile
selon Thomas (EvTh). Sa découverte est postérieure à
la théorie qui distingue deux sources des évangiles, une
source narrative (qui serait Marc) et une collection de paroles de Jésus.
Justement, l’EvTh est une collection de paroles attribuées
à Jésus et sans cadre narratif ; mais ces paroles n’ont
pas (non plus) la bonne théologie, si bien que l’on convient
de retarder à la fin du iie siècle la rédaction
de la collection, malgré son caractère archaïque,
sans s’interroger sur les antécédents de la rédaction
finale du livret.
En réalité, le témoignage de Papias
(déb. iie s.) permet de situer peu de temps après le tout
premier catéchisme la mise par écrit des paroles de Jésus
en araméen. Puis survient, d’après Actes 6, la dissidence
des Hellénistes et leur départ de Jérusalem vers
le sud, sans doute pour aller fonder à Alexandrie l’école
où se formera Apollos (Ac 18,24-28). Tout porte à croire
que le mot « évangile » naît dans cette dissidence
: Philippe, qui en est le leader, est le premier « évangéliste
» (Ac 21,8). Or, il manifeste les mêmes tendances à
la gnose et à l’encratisme* (Ac 8) que l’EvTh.
L’EvTh serait, en somme, la première version
grecque (révisée) des paroles de Jésus, qui remonterait
à la fin des années 30 et aurait servi de base à
un enseignement dissident, prônant notamment le salut par la connaissance
au lieu de la loi. Les Hellénistes, dans ces conditions, apparaissent
plus nettement ; on peut approcher leur théologie et voir comment
leur mouvement se rattache aux tout premiers temps de la première
communauté.
Pour l’histoire, cette hypothèse est plausible,
mais elle ne fait pas l’affaire des théologiens (au sens
limité déjà précisé dans le numéro
précédent) : donner corps à une dissidence antérieure
aux textes fondateurs risquerait de légitimer ceux qui seraient
tentés d’en partager les idées. Cela part d’un
bon sentiment, mais le caractère dissident de ce courant est
suffisamment net : une deuxième révision grecque des paroles
a été entreprise sans doute vers 60, à Jérusalem,
elle subit alors l’influence de Paul, et c’est dans ce dernier
état qu’il faut chercher la source de paroles utilisées
ensuite par les évangélistes (dite « source Q »).

Christian
Amphoux
* Doctrine des encratistes qui tenaient la matière pour
abominable, pratiquaient une ascèse radicale et s’abstenaient
de tout plaisir charnel.