Trois mères
se rencontrent et évoquent leur fils :« – Mon fils,
c’est un ange, il vient me voir au moins trois fois par semaine
et à chaque fois il a un petit cadeau pour moi.– Le mien,
il est bien mieux. Il m’aime vraiment, toutes les semaines il m’apporte
un bouquet de fleurs.
– Mon fils à moi, il m’aime encore plus,
son amour pour moi dépasse tout, chaque semaine il va voir une
personne qu’il paie pour lui parler de moi ! »
René est parmi ceux-là. À quarante
ans, avocat, il paraît réussir sa vie, alors que cela n’est
qu’apparence et qu’il sombre lentement dans un enfermement
que sa mère et son père entretiennent avec tendresse.
Sa mère ne manque pas d’attention. Elle est
fière de la réussite de son fils, qu’elle considère
comme étant un peu la sienne. Régulièrement, elle
lui prépare des petits plats car elle sait qu’avec son travail,
il n’a pas le temps de manger correctement. Elle pense à
lui acheter des chemises et parfois elle s’empare de ses draps
pour les remettre au propre.
René ne sourit plus de ces attentions dont il
ne sait pas se défaire. Il se sent à la fois envahi et
incapable de résister. Il parle de cette situation comme une
sorte d’étouffement, dont il ressent physiquement les effets,
mais il n’arrive pas à prendre le large et à respirer.
Lorsqu’il évoque cette situation avec son
père, celui-ci insiste pour que René ne se rebelle pas
auprès de sa mère. « – Je lui en parlerai »…
Et finit par ne rien dire ou si peu, comme pour maintenir en place un
système dans lequel, lui aussi, trouve un bénéfice,
celui de la paix de son ménage… au détriment de son
fils.
La situation vous paraît comique. Avec une intensité
moindre elle est pourtant fréquente. Des repas obligés
du dimanche chez les parents, aux coups de fils ou visites régulières
à ne pas oublier, comment évaluer l’amour de la soumission,
l’attachement de la dépendance. Quelles sont les justes
frontières des liens parents-enfants pour respecter quoi et qui
? Les parents sont-ils là pour leurs enfants ou les enfants,
comme René, pour leurs parents ? Qui prend soin de qui ? Et jusqu’où
?
Oser s’interroger sur la nature de ces liens, c’est
s’autoriser un peu plus de liberté et de vérité.
Chacun trouvera à sa façon son courage d’aimer.
En entrant l’autre jour dans une église catholique,
j’admirais une « vierge à l’enfant ». Je
suis resté touché par ce couple mère-enfant d’où
émanaient amour et distance, protection et liberté, une
autre manière d’amour parental.
Jean-Paul
Sauzède