Après la Didachè
et l’Évangile selon Thomas, voici un troisième écrit
où se manifeste le désaccord entre l’histoire et
la théologie. L’Épître de Jacques figure dans
le Nouveau Testament, mais elle y entre timidement au ive siècle
et depuis lors c’est un écrit mineur, qui ne vaut que par
quelques détails (comme l’onction donnée aux malades).
D’ailleurs, Eusèbe de Césarée (vers 330) doute
lui-même qu’elle soit de Jacques, comme elle le prétend,
et tout est dit. On convient aujourd’hui qu’elle a été
écrite vers 80 et qu’elle n’est donc pas de Jacques,
mort en 62-63.
Mais la question n’est pas tranchée. L’analyse
de la lettre révèle une organisation soignée, un
deuxième niveau de sens, probablement destiné à
des chefs de communauté, et le souci de faire la synthèse
de plusieurs courants, dans lesquels on reconnaît ceux des apôtres
(2,1-13), de Paul (2,14-26) et des Hellénistes (3,1-18) : tout
cela fait penser à une œuvre qui pourrait bien, à
l’origine, être de Jacques et avoir été écrite
vers 60, au moment de la deuxième révision de la collection
des paroles de Jésus. On peut, du moins, en faire l’hypothèse
; et cette hypothèse est recevable, pour l’histoire.
Mais en théologie (au sens que nous avons dit),
elle risque de faire grincer bien des dents. D’abord, Jacques se
trouve remis en selle, alors que le personnage a été soigneusement
gommé pour éviter de faire de l’ombre à Pierre.
De plus, le texte de l’épître a été
révisé, et le double sens ancien n’est plus perceptible.
Il faudrait donc s’éloigner du texte édité
et en revenir au temps où, peu après les grandes lettres
de Paul, le christianisme tente d’éviter la rupture avec
les Hellénistes, au prix d’un affadissement de la théologie
de Paul, laquelle prévaudra seulement après la chute du
temple… La voie paraît bonne à l’historien ;
mais que penser de ces premiers théologiens, qui vont et viennent
dans des idées et des stratégies contradictoires ? Il
est plus prudent ou plus rassurant de gommer leurs hésitations
et de faire remonter les points centraux de la théologie aux
premières formes de l’écriture. 
Christian
Amphoux