Jésus est menacé dêtre
lapidé par les juifs. Il leur demande alors pour laquelle de
ses bonnes actions ils voudraient le lapider. Et eux de répondre
que ses bonnes actions ne sont pas en cause, mais seulement le fait
« quil se fasse Dieu ». En clair, ils lui reprochent
davoir un comportement qui lassimile à Dieu.
Une fois de plus, lidée ne vient pas de Jésus,
mais des juifs eux-mêmes. Sans doute ont-ils entendu cela de la
foule qui suivait Jésus. Tant il est vrai quun homme extraordinaire,
porté aux nues par ses admirateurs, a tendance à être
fait Dieu. Mais Jésus renvoie la balle. Il va chercher une phrase
du Psaume 82 : « Jai dit : vous êtes des Dieux »
pour retourner le compliment à ses adversaires. Phrase ennuyeuse,
en effet, car la pensée juive avait plutôt tendance à
placer Dieu très haut dans le ciel, loin des hommes et de leur
médiocrité. Ennuyeuse aussi parce que le compliment du
Psaume 82 sadresse à des juges qui font mal leur travail
Comment les
interlocuteurs de Jésus pourraient-ils être des Dieux ?
Celui-ci sexplique en rajoutant une phrase : « Il arrive
donc à la Loi dappeler Dieux ceux auxquels la Parole de
Dieu fut adressée. » Lévangéliste Jean
nous introduit ici dans sa conception du Logos : la sagesse de Dieu,
en pénétrant les hommes, les fait participer à
la divinité. Comme dit le prologue, ceux qui ont reçu
le Logos, la Parole (on pourrait traduire aussi la sagesse) sont nés
de Dieu. Rassemblés dans le Logos, il ny a plus de distance
entre la Parole et la personne qui la porte ; les deux sont divines.
Cette idée a été déclinée par les
Pères grecs, qui sappuyaient aussi sur le début
de la Genèse précisant que Dieu créa lhomme
et la femme à son image. Elle se résume dans cette phrase
célèbre : « Dieu est devenu homme pour que lhomme
devienne Dieu. » Ainsi Grégoire de Nysse écrivait
: « Lhomme est un petit Dieu en puissance. » Et Basile
de Césarée : « Lhomme est un animal appelé
à devenir Dieu. »
LÉglise orthodoxe a conservé, au centre de sa
théologie, cette « déification de lhomme »
dont le Christ est pour elle lorigine et le modèle.
Nous retirons de tout cela limpression dune limite un
peu floue entre lhumain et le divin. Ce nest pas vraiment
grave. Car de toute façon, nous ne savons pas ce quest
Dieu et nous ne savons pas ce quest lhomme. Mais le Jésus
johannique, en parlant à plusieurs reprises de ses uvres,
développe largumentation dans une direction assez précise
que nous pouvons résumer ainsi : croyez en ce que vous voulez,
du point de vue de mon statut de Dieu ou de fils de Dieu, mais croyez
surtout en mes uvres, en tout ce que je fais pour les hommes.
Et il conclut : « Ainsi vous connaîtrez de mieux en mieux
que le Père est en moi, comme je suis dans le Père. »
Cest donc ce que font les hommes pour le salut de leurs frères
qui rapproche leur statut de celui de Dieu, parce quils deviennent
co-ouvriers de Dieu, comme disait Calvin. Et Albert Schweitzer situait
Dieu dans le besoin de sauver lhomme. Si nous sommes pris par
ce besoin, nous sommes de Dieu. Il nous reste à travailler pour
le satisfaire, comme Jésus sy est engagé complètement,
jusquà être fait Dieu.
Aussi je voudrais terminer cette longue suite de citations par celle
dun philosophe russe du XIXe siècle, Vladimir Soloviev
: « Lhomme est le libre collaborateur de Dieu pour que le
Dieu-homme devienne Dieu-humanité. »
Henri
Persoz