L.Gagnebin : Quelle différence faites-vous
entre «athée» et «agnostique» ?
J.-P. Cléro : L’athée prétend savoir que
Dieu n’existe pas, que l’être appelé ainsi par
les croyants se réduit à quelque illusion : celle de croire
que l’on peut sommer l’ensemble des existants en attribuant
à Dieu la fonction d’en être l’auteur ; celle
de fantasmer, à travers cette création fictive, la figure
d’un Père dont on aurait la nostalgie ; ou celle de doubler
le cours du monde d’une intelligence supérieure et bien
intentionnée à l’égard de l’homme. La
réfutation de ces positions, qui ne sont guère chrétiennes,
ne permet pas d’établir l’inexistence de Dieu. Prudemment,
l’agnostique prend acte que, de Dieu, il n’y a point de savoir
; mais il ne déclare pas impossible qu’on puisse faire une
place à la foi et à la révélation selon
des signes. Simplement, il n’a pas lui-même cette foi et,
s’il peut lire les textes de la Bible et tenter de les interpréter
sans chercher à les transcrire en quelque discours rationnel,
il n’y adhère pas et ne leur accorde pas la valeur sacrée
qu’il suppose leur être accordée par les croyants.
Votre position ne se rapproche-t-elle pas de
cette affirmation d’André Malet : « N’est pas
seulement athée tout savoir qui nie Dieu, mais, beaucoup plus
profondément, tout savoir qui prétend savoir sur Dieu
» ?

Jean-Pierre Cléro
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On parle sans doute d’autre chose que de Dieu, lorsqu’on
prétend savoir ce qu’il est ou qu’il existe. Mais la
question est rendue difficile par l’impossibilité de séparer
croire et savoir : il faut bien que la croyance sache de quoi elle est
croyance et elle ne peut le faire sans développer un certain
savoir d’elle-même ; ainsi la bonne formulation de la difficulté
se trouve chez un personnage de Dostoïevski qui déclare
: « Si Stavroguine croit, il ne croit pas qu’il croie ; si
Stavroguine ne croit pas, il ne croit pas qu’il ne croie pas. »
Il faut identifier ce qu’on croit ; ce qui veut dire qu’on
n’échappe pas à la philosophie quand on croit en
Dieu, et que le dépassement du savoir par la foi est problématique.
Que représente Jésus pour vous
?
Il est celui qui ouvre une voie singulière ; qui pose les signes
absolument résistants, irréductibles au concept, d’un
chemin d’existence, mais dont les éthiques de nos contrées
ont, néanmoins, depuis deux millénaires, cherché
la raison. Non sans résultat d’ailleurs, puisque quand bien
même leurs fondements seraient extrêmement éclatés,
nos évaluations morales, sinon nos actes mêmes, manifestent
une certaine convergence. Rares sont ceux qui affichent que la guerre
vaut mieux que la paix, que la haine vaut mieux que l’amour, que
l’inégalité vaut mieux que l’égalité
; les situations sont toujours dialectiques et compliquées :
elles trouvent toutefois du côté des valeurs chrétiennes
leur boussole. L’étonnant est que cette universalité
se gagne par une figure individuelle qui me sollicite moi-même
comme individu.
Dans le concert des christianismes, en quoi
le protestantisme vous parle-t-il plus spécialement ?
Mon intérêt pour divers problèmes éthiques
et juridiques me pousse à observer de près les positions
des protestants sur les questions qui se posent aujourd’hui à
nos sociétés. L’Église réformée
m’apparaît comme une église chrétienne moderne,
qui ne subordonne pas son point de vue à quelque conception hiérarchique
et à un carcan dogmatique qui en dévoieraient la réflexion
; elle lance des ponts entre la culture chrétienne, la conscience
privée et les sociétés qui affrontent des situations
issues de techniques, d’institutions, de demandes, de désirs
nouveaux. 
par Jean-Pierre
Cléro,
Propos recueillis par Laurent
Gagnebin