Quand Jésus
cite Deutéronome 6,4-5 : « Tu aimeras l’Éternel
ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta
force », il ajoute « de toute ta pensée ».
Il disqualifie ainsi explicitement une foi qui mépriserait ou
négligerait la pensée.
Sont-elles compatibles ? La pensée, dit-on, veut
comprendre, elle demande rigueur et clarté, elle met en doute,
alors que la foi accepte l’incompréhensible, se réfère
à des mystères obscurs et se soumet à une révélation
qui la dépasse. Quand ils se disent « libres penseurs »,
les incroyants laissent entendre que les religieux ne pensent pas librement
(ce qui, hélas, est parfois le cas). De leur côté,
des croyants récusent la raison, la science, la sagesse, accusées
de relever de l’orgueil humain (ce qui, hélas, n’est
pas toujours faux). Pour les uns comme pour les autres, par nature,
la pensée serait irréligieuse et la foi irrationnelle.
Il faut refuser catégoriquement cette opposition.
Seule une foi intelligente et savante préserve d’une religion
obscurantiste qui blasphème Dieu et déshonore l’homme.
Même, et peut-être surtout, quand elle secoue, critique
et conteste la foi, la pensée l’oblige à s’approfondir
et l’empêche de tomber dans la superstition et le fanatisme.
Foi et pensée, y compris quand elles sont en débat, loin
de se nuire, se fécondent et se corrigent mutuellement. Albert
Schweitzer nous invite justement à les associer dans ce qu’on
pourrait appeler, en reprenant une expression de Paul (Rm 12,1), un
« culte raisonnable » (le mot employé en grec est
« logique »). Ne crions pas à l’intellectualisme
dès qu’on nous demande un effort de réflexion. On
n’aime vraiment Dieu, on ne reçoit fidèlement l’Évangile
que si, avec toutes les exigences de la raison, on pense sa foi. 
André
Gounelle