La presse people, c’est
Paris Match, Point de vue, VSD, Gala, Voici, Public, Closer et d’autres
magazines encore, que mon kiosquier désigne d’un geste fataliste
et qui montent à l’assaut de son étal, bien visibles
avec leurs couvertures criardes et saturées d’informations.
Un afflux de titres impressionnant, sans compter ceux que l’on
annonce pour les mois à venir ! C’est ce qu’on appelle
la presse échotière, la presse d’indiscrétions,
dans le monde médiatique. En un mot, la presse people.
De la presse échotière à la presse
people
Mais d’abord, pourquoi cet anglicisme people ? Utilisé
en France à partir des années 90 avec des publications
comme Voici ou Gala, ce mot people se veut manifestement un coup de
vernis « branché » sur une presse échotière
déjà ancienne et plutôt poussiéreuse comme
Ciné-Miroir, Cinémonde... On utilise désormais
un ton nouveau, plus relâché, une mise en page éclatée
où l’image, détournée, remontée, a
une place centrale. Elle justifie et consolide l’information :
« Elle a le ventre un peu rond ? Est-elle enfin enceinte ? »
L’air un peu hébété sur un cliché flou
? « Il traverse une mauvaise passe. » Le rôle des
paparazzi et autres pourvoyeurs d’images volées, ou posées,
de la vie privée des célébrités, est devenu
incontournable. Enfin et surtout le champ des personnalités surexposées,
ces gens en vue du moment, s’élargit : au monde des princes
et princesses, dont lady Diana fut l’icône médiatique
incontestée, et des vedettes de cinéma, s’ajoutent
les sportifs comme le footballeur anglais David Beckham et sa femme
Victoria, les stars ô combien éphémères de
la télévision, les présentateurs et autres animateurs
du petit écran, et dernièrement les hommes et femmes politiques
et leur famille... En fait les people, on dit même les beautiful
people, c’est-à-dire les gens que désigne cette presse
éponyme « constituent une élite, un monde privilégié
; ils sont à la mode, célébrés dans les
médias et leur existence dorée est inaccessible à
la majorité. Or, par une sorte de paradoxe, ces personnages-là
sont très... populaires. On pourrait même avancer l’idée
que leur inaccessibilité est à la mesure de leur popularité
», relève un spécialiste des médias (Philippe
Marion : « De la presse people au populaire médiatique
». Revue Hermès n° 42, CNRS éditions) .
Information ?
La presse people prétend donner au commun des
mortels des informations exclusives, vraies ou fausses, peu importe,
de ces étoiles inaccessibles, de leur intimité, surtout
amoureuse dans leurs villas de rêve ou sur leur yacht, où
nous sommes invités, le temps d’une photo ou d’un potin,
à jeter un oeil furtif. En réalité, ne soyons pas
dupes, il s’agit avant tout d’une « mise en scène
» permanente de ces prétendues informations et de leur
dévoilement. Mise en scène à laquelle se prêtent
souvent les célébrités du moment parce qu’elle
leur permet de construire leur image ou de rester présentes,
lorsqu’elles sont en perte de célébrité, dans
le cœur des gens. Quitte à dénigrer cette presse
échotière, à s’en plaindre, à lui faire
des procès pour atteinte à la vie privée ! Dans
ce registre de l’information indiscrète, le magazine se
joue souvent de la curiosité de son lecteur, parfois avec humour
et l’invite fréquemment à faire preuve de sens critique.
Ainsi, l’annonce en une que tel acteur « quitte le domicile
conjugal », alors que l’information en page deux se réduira
à une nouvelle dérisoire : il quitte sa maison pour accompagner
sa fille au jardin public. Ou encore la critique drôle et sans
concession d’un dérapage vestimentaire ou de conduite, sanctionné
par une photo. Et un commentaire acerbe…
On relèvera aussi que dans nombre de ces publications
people se retrouve ce qu’un chercheur appelle « l’effet
de compensation symbolique » (Revue Réseaux n° 23,
consacrée aux « récits médiatiques ».
Voir l’article de Jamil Dakhlia « L’image en échos.
Formes et contenus du récit people »). Plus simplement
dit, il s’agit pour le magazine d’amener ses lecteurs à
comparer leur vie de gens ordinaires à celle des célébrités
et de montrer que, finalement, l’argent, l’esbroufe des vedettes,
ne font pas le bonheur, que les aventures douloureuses, les trahisons,
divorces, insuccès professionnels et autres malheurs ne leur
sont pas épargnés. « Le fait d’exposer cette
tristesse des people semblerait être un moyen d’établir
une sorte de prime à la consolation des lecteurs. » Toute
l’ambiguïté de la presse people est là : objectivement
complice des conduites tapageuses qu’elle médiatise par
la photo, elle ne cesse d’exalter en même temps la fidélité
conjugale et le bonheur familial à durée garantie !
Vers une généralisation de la presse people
Va-t-on vers une « peoplelisation » de notre
société ? La réponse est oui ! Il semble de moins
en moins possible de cantonner le people dans une catégorie médiatique
précise. Et au-delà de la presse spécialisée
dont c’est l’unique fonds de commerce, ou de rubriques journalières
très alimentées en faits people sur le Net, l’approche
people se retrouve désormais dans la grande presse, des hebdomadaires
d’actualité aux quotidiens. Par capillarité, des
organes de presse comme Le Monde, Le Figaro, Libération, etc.
sont conscients d’attirer un nouveau public et d’augmenter
leurs ventes en posant le pied sur le terrain people. Des rubriques
comme « Les gens », « Ces gens-là » et
d’autres fleurissent. Mais le people s’est enrichi de la politique,
des relations internationales... Témoin cette confidence, citée
par un sociologue des médias, d’un photographe d’actualités
à qui son journal demandait aujourd’hui des clichés
« plus sexy », plus « people » des hommes et
femmes politiques et chefs d’État ! Leur vie privée
intéresse et ils jouent le jeu, plus ou moins contraints. Influence
américaine où l’on ne craint pas de s’exposer
? Paris-Match est un précurseur en la matière qui a bâti
son succès sur cette approche people, à mi-chemin entre
presse d’actualité et presse d’indiscrétion,
même si les indiscrétions sur la vie privée des
people se sont longtemps faites avec l’accord tacite ou négocié
des intéressés.
Un jeu de société
Pourquoi cet engouement pour le récit people ?
Pour l’exotisme social et géographique, sûrement.
Pour s’évader dans un monde de rêve, vivre par procuration
un conte de fées quasi permanent, même si la tragédie
n’en est pas toujours absente. Un monde de tonalité globalement
rose... comme on lit la presse du cœur ou les romans d’amour
Harlequin ! Une manière de se détendre, de prendre du
plaisir à perdre son temps futilement dans un monde qui en donne
peu d’occasions, d’oublier les duretés de l’existence.
Une mise entre parenthèses, lucide, de la vraie vie, pour un
instant hors du temps. Car, au vu des enquêtes sur la presse people,
il ressort que les lecteurs ne sont pas dupes, ils ne se sentent en
rien engagés dans un processus de vie par procuration : «
Je me dis que leur vie, c’est leur vie et que c’est impossible
que certaines choses de leur vie m’arrivent, comme l’argent.
Eux c’est eux et moi c’est moi », dit une lectrice interrogée.
Il demeure que les lecteurs de cette presse aiment qu’on
leur raconte des « histoires » même s’ils sont
conscients qu’elles sont hautement sujettes à caution. Le
style échotier qui sait mélanger habilement la fiction
au vrai, le réel au vraisemblable et au faux en un brouillage
savant, engendre un plaisir ludique individuel et collectif. Composer
sa propre vérité est une démarche individuelle.
Mais quand la presse people fournit les informations discutables et
discutées d’une conversation people, c’est un authentique
« jeu de société », de cohésion sociale
qui se met en place. « Dans ce plaisir de la devinette collective
réside peut-être l’une des clés de l’engouement
pour le récit échotier. » Et qui n’a jamais
discuté, à perte de souffle parfois lors d’un dîner
cet été, sur le sort préoccupant de deux couples,
celui d’un présentateur de journal télévisé
et celui d’un homme politique français ? 
Claudine
Castelnau