On ne le dira jamais
assez : avant la révolution du téléphone portable,
qui a individualisé la communication, il y eut la révolution
du rasoir « jetable ». Souvenez-vous, c’était
hier. Révolution de la modernité pour les uns, grand gâchis
pour les autres. Il y eut de vrais débats sur le sujet ! C’était
hier, et cela nous paraît pourtant si loin… Aujourd’hui
tout est jetable : l’ordinateur (qui vaut pourtant une fortune),
la montre, le téléphone, les porte-avions… Même
les personnes sont jetables : 50 % de divorces, contrats de travail
précaires, travail au noir, esclavagisme des populations fragiles,
ministres « fusibles » (jolie expression pour un être
humain !), … Ce monde de l’éphémère angoissé,
que certains appellent « l’hypermodernité »,
ne nous invite guère à l’élaboration de perspectives…
Mais il est un domaine où, peut-être, la
notion de « jetable » a du bon : la théologie ! D’abord
parce que bien des théologies doivent être jetées,
tant elles sont éloignées de l’amour prêché
par le Christ. Mais allons plus loin : est-ce que, intrinsèquement,
toute théologie n’est pas vouée à l’éphémère
et à la corbeille ? Une « théologie » est
une « parole sur Dieu ». Peut-on LE dire de manière
infaillible, universelle et éternelle ? Je crois plutôt
que chaque théologie, si enracinée soit-elle dans l’histoire
qui la précède, est une parole forcément contextuelle
et donc jetable. Pense-t-on Dieu ou l’être humain aujourd’hui
comme aux temps d’Augustin, de Thomas d’Aquin ou de Calvin
? Toute théologie se risque à la précarité.
Ce devrait être le secret de son humilité. L’arrogance
appartient à ceux qui disent le « définitif ».
Jésus lui-même s’est adressé à des personnes
précises, Paul à des Églises différentes.
Chaque livre de théologie pourrait commencer par
la première phrase des Nourritures Terrestres d’André
Gide :
« Et quand tu m’auras lu, jette ce livre,
et sors.
Je voudrais qu’il t’eût donné le désir
de sortir –
sortir de n’importe où, de ta ville, de ta famille,
de ta chambre, de ta pensée. » 
Jean-Marie
de Bourqueney