Dans l’immense
hall de la nouvelle Gare du Nord, je marchais pensivement, lorsque je
reçus un assez violent coup de poing à l’épaule.
Cela doit être, me suis-je dit, un ami trop costaud qui m’interpelle
à sa manière. Tournant la tête vers l’auteur
du coup, il ne me rappelait personne et n’avait pas l’air
non plus de me reconnaître. C’était une jeune femme
qui ne demandait rien, sauf peut-être que l’on fasse attention
à elle. J’étais surpris, ne comprenant pas bien ce
qu’il s’était passé, me demandant si je ne l’avais
pas trop « approchée » par mégarde, perdu
dans mes pensées. Nos regards se croisèrent. Le sien était
à la fois agressif et pitoyable, comme si cette femme n’avait
pas d’autre moyen pour se faire regarder que de frapper.
Comme j’étais en avance à mon rendez-vous,
je m’arrêtai cinquante mètres plus loin et me retournai
pour mieux comprendre. Elle envoyait un coup de poing à tous
les hommes passant près d’elle. Ils n’avaient pas l’air
surpris. Certains regardaient furtivement la femme, puis passaient leur
chemin. D’autres ne se retournaient même pas, comme s’ils
recevaient ce coup salutaire tous les matins, pour se réveiller
de la somnolence du voyage. Une des jeunes victimes passa ensuite près
de moi. Je l’interpellai, lui signifiant que j’avais subi
le même traitement et m’en étonnai. Il était
surpris de ma surprise, considérant que je n’étais
pas à la page, que je sortais de ma campagne : « Ces coups-là
sont courants de nos jours, il ne faut pas y prêter attention
», me fit-il comprendre.
Petite violence de tous les jours, sans conséquence,
sans gravité, juste pour casser l’isolement dans lequel
chacun se trouve enfermé. Une violence qui n’est même
plus de la violence. Autrefois, on se serrait la main. Aujourd’hui,
on s’embrasse ou l’on cogne. Langage du temps qui n’émeut
plus personne.
Et moi ? Aurais-je dû revenir sur mes pas ? Lui
parler ? Tendre l’autre joue ? Comme le lévite, sur la route
de Jérusalem à Jéricho, je passai à bonne
distance. Personne n’a été le prochain de cette femme.
