Nous mettons souvent des limites
et des conditions à l’amour : « Je t’aime si
tu fais ce que je te dis. » Mais ce n’est pas l’autre
comme autre, tel qu’il est, dans son altérité, que
nous aimons ; c’est nous-même, c’est ce que nous voudrions
que l’autre soit, et non ce qu’il est, avec ses limites comme
nous. Quelle prétention exorbitante ! Souvent nous attendons
que l’autre change pour l’aimer, alors que l’autre attend
que nous l’aimions pour changer.
Or Jésus n’a pas attendu que cette femme soit juste ou
parfaite pour l’aimer. À ce compte, Jésus n’aurait
aimé personne s’il avait attendu que les hommes soient justes
et sans péché. C’est pourquoi il déclare aux
Pharisiens qui se prétendent justes : « Que celui d’entre
vous qui n’a jamais péché lui jette la première
pierre » (Jn 8,7). L’Évangile n’est pas d’abord
une morale, mais une Bonne Nouvelle : pour les pécheurs que nous
sommes tous, plus ou moins. Jésus ne cesse de dire qu’il
est venu non pour les justes (qui n’existent pas à proprement
parler, par rapport au seul Juste qu’est Dieu – « Il
n’y a pas de juste, pas même un seul » [Rm 3,10]),
mais pour les pécheurs, ou encore qu’il est « venu
non pour les bien-portants, mais pour les malades ».
Jésus
commence par rejoindre cette femme et par l’aimer telle qu’elle
est, sans condition préalable. Il ne lui dit même pas :
je t’aime si tu ne commets plus d’adultère. Non, la
grâce est absolue. Il commence par lui manifester gratuitement
son amour, et refuse de l’identifier ou de la réduire à
l’acte qu’elle a commis. Il la considère dans sa dignité
de femme : « Femme […], moi non plus, je ne te condamne pas.
» Il ne lui dit cependant pas que commettre l’adultère
n’est rien. Mais ce n’est qu’après lui avoir d’abord
manifesté gratuitement son amour sans condition qu’il lui
dit à la fin : « Va, et désormais ne pèche
plus » (Jn 8,11). Il ne commence pas par lui faire la morale,
comme les Pharisiens. Mais parce qu’il aime cette femme, parce
qu’il sait qu’elle vaut mieux que ce qu’elle a fait,
il l’appelle à renoncer à ce chemin de mort. En d’autres
termes, Jésus ne lui dit pas : « Je t’aime si tu ne
commets plus d’adultère » ; mais : « Parce que
je t’aime, ne commets plus d’adultère ». C’est
ainsi que, se sachant aimée, cette femme pourra changer de vie.
Si nous nous adressons à quelqu’un loin de l’Église
en lui présentant l’Évangile comme une morale en
lui disant : « Dieu t’aime si tu observes ses commandements
», ce qui n’est certes pas faux pour qui a déjà
rencontré Dieu et qui sait que « ce n’est pas nous
qui avons aimé Dieu, mais que c’est lui qui nous a aimés
» (1 Jn 4,10) – mais pour celui-là seul ! (Et encore,
Jésus demande à celui-là d’aller plus loin
en vendant tout ce qu’il possède pour le suivre !) –,
nous risquons de mettre des limites à l’amour et au pardon
de Dieu et finalement d’annoncer une loi humaine sous le nom de
« Dieu » ou de « morale de l’Église ».
Et nous risquons de décourager et de désespérer
des personnes, voire de les condamner. Ce n’est plus alors l’Évangile
du pardon et de la grâce que nous annonçons, mais un carcan
de règles morales, coupé de sa sève, servant à
accuser et finalement à condamner quelqu’un.
Si, en revanche, nous ne nous contentons pas seulement de dire mais
de donner à sentir par notre comportement et notre amitié
– inspirés de l’Évangile de la femme adultère
– que Dieu accueille cette personne d’ores et déjà
telle qu’elle est, et que c’est parce qu’il l’aime
gratuitement et sans condition que Dieu l’appelle à choisir
la vie plutôt que la mort, alors nous annoncerons la Bonne Nouvelle
du salut. 
Arnaud
Corbic