Je n’ai encore
jamais rencontré de sage-femme ayant pour vocation première
la prise en charge des interruptions volontaires de grossesse (IVG).
Choisir de devenir sage-femme, c’est choisir d’accompagner
la naissance, de mener à la vie. Mais vivre cette profession
c’est accompagner les femmes dans l’immensité du champ
qu’elles occupent. La sage-femme se doit de soutenir les femmes
dans les choix et le vécu de leur vie intime.
Notre société et ses lois ont émancipé
les femmes dans de nombreux domaines. Elles gèrent, organisent,
décident... Elles évaluent aussi et savent très
bien, en tant que femme et mère, quelles sont les limites appréciables
de leur vie. Pour certaines, l’annonce d’une grossesse n’est
pas la bienvenue pour des raisons propres à chacune, sans compter,
bien sûr, les grossesses issues de viols ou d’incestes.
Ainsi je me souviens de cette femme de vingt-six ans
qui est arrivée dans notre service, enceinte de dix semaines,
pour des vomissements incoercibles de début de grossesse. La
cause est souvent due à un facteur psychique : contexte familial
perturbé, difficultés socioprofessionnelles ou troubles
liés au désir de grossesse. Le traitement est draconien
du fait des conséquences graves que peut entraîner l’état
de dénutrition : isolement dans la pénombre avec interdiction
totale des visites (mari, mère) ; arrêt de toute prise
alimentaire ; nutrition parentérale (NDLR : « par injection
») ; traitement médical ; soutien psychologique si possible.
Après dix jours, murée dans un silence
total, la jeune femme décide de se confier à une sage-femme
et lui fait part des problèmes posés par l’annonce
de cette grossesse : déjà deux enfants en bas âge,
l’arrivée quelques semaines auparavant d’une promotion
professionnelle prometteuse alors que le couple connaît des difficultés
financières, et cette troisième grossesse imprévue
qui remet en question, pour elle, la vie entière d’une famille.
Sans influence extérieure, avec son époux, elle a fait
calmement le choix d’interrompre sa grossesse. Dans les heures
qui ont suivi cette décision, sa pathologie a « miraculeusement
» disparu. Certains resteront sceptiques mais pas moi !
Quand certains réduisent l’existence de la
femme au fait d’être mère, en écartant son
droit et son désir, ils sont bien loin d’imaginer les conséquences
d’une grossesse non désirée menée à
son terme. Certes, quand l’enfant paraît cela peut être
une révélation, un amour passionné, un regret éternel
d’avoir imaginé interrompre la grossesse. Mais parfois une
telle grossesse présage un avenir catastrophique pour l’enfant
à naître avec la culpabilité comme fardeau quand
ce n’est pas l’enfant qui est lui même le fardeau.
Il est bien évident qu’une IVG n’est
pas sans impact psychologique pour toute femme qui choisit d’interrompre
une grossesse, d’autant plus quand la décision est prise
dans l’urgence. C’est pourquoi l’entretien préalable
avec le médecin ne doit pas être négligé.
Souvent il faut proposer un soutien psychologique par la suite tant
l’hospitalisation est courte : une journée. Une hospitalisation
si réduite n’est pas suffisante pour gérer un accompagnement
global des femmes. À nous, peut-être, d’envisager
de nouvelles perspectives dans ce domaine même si ce n’est
pas forcément notre rôle premier ?
Quelques années plus tard, je retrouve certaines
de ces femmes pour une naissance. Leur vie a évolué ;
elles ne sont pas pour autant différentes mais plutôt épanouies.
Quelques-unes reparlent de leur histoire passée sans remords
ni regrets, en toute simplicité. D’autres la laissent de
coté comme une sorte de tabou. En effet certaines sont parfois
seules à porter « leur secret », inconnu de leur
famille.
Elles ont toutes tourné la page à leur
manière mais ce que ces femmes ont en commun, le jour où
elles reviennent pour accoucher, c’est ce petit trait caractéristique
du bonheur qui émane de leur visage et pétille dans leurs
yeux. 
Karine
Merrien