Est-il envisageable
de voir en Dieu un ennemi ? Même Satan n’est pas vraiment
pris au sérieux de nos jours. Ce sont les hommes qui endossent
la responsabilité du mal, qu’il s’agisse d’événements
historiques ou même de cataclysmes naturels, souvent attribués
à des comportements prédateurs et inconscients. Dieu,
en tant qu’Amour, est innocent des maux qui ravagent notre Terre.
Aussi l’auteur des Lamentations nous surprend quand il établit
un réquisitoire contre Dieu. N’avait-il pas dénoncé
la culpabilité de Jérusalem et du peuple de Juda, et compris
la catastrophe politique qui s’est abattue sur eux comme un juste
châtiment ? Est-il en train de se contredire ?
La Parole biblique n’est pas un traité de
théologie systématique, c’est une Parole vivante,
aventureuse, une parole qui explore l’âme humaine et le ciel
avec une liberté inouïe. Du fond de son angoisse le prophète,
comme le psalmiste, laisse monter sa question d’homme révolté
: « Si punition il y a, n’est-elle pas démesurée
? Pourquoi cet excès de mal ?» La réponse par l’absurde
ou le néant lui est inconcevable, autant que l’athéisme.
Alors accuser Dieu, c’est encore le cri de la foi : il y a forcément
une Présence dans tout cela même si cette présence
ne signifie aujourd’hui que terreur et harcèlement.
La colère de Dieu, qui a hanté les consciences
chrétiennes pendant de longs siècles, nous est devenue
étrangère ; de Dieu nous ne voulons connaître que
la grâce, manifestée en Jésus-Christ. Mais peut-on
faire l’économie des ténèbres que nous traversons
parfois autant qu’elles nous traversent ? Les patriarches, les
prophètes, le Christ nous précèdent sur cette route
de l’histoire où tous les doutes sont permis : sur la bonté
de Dieu, sa volonté, son amour ou son abandon. Et peut-être
faut-il une conscience déchirée pour découvrir,
au bout de la route, que ce Dieu qui apparaît aujourd’hui
comme un ennemi, c’est le même que l’on prie, c’est
le même vers qui monte notre plainte. Le même : il entendra,
il répondra, certainement. 
Florence
Taubmann