(à propos de l’Adoration des
Mages, par Sandro Botticelli, 1475, Florence, Galerie des Offices)
Nous sommes à Florence en
1475. La cité de l’Arno est en ébullition. Sous la
houlette de la famille Médicis, notamment de Laurent le Magnifique,
peintres, philosophes, sculpteurs, théologiens travaillent ensemble.
C’est l’ère de la créativité ! Des noms
et des génies se rencontrent : Pic de la Mirandole, Filippo Lippi,
Marsile Ficin, Sandro Botticelli.
Les manuscrits de Platon ont été redécouverts il
y a quelques années. Tous y voient un chemin : celui de la Renaissance.
Enfin réconcilier l’Antique et le Biblique, la philosophie
et la théologie, la raison et la foi. Jusqu’alors la philosophie,
notamment celle d’Aristote, était utilisée comme
outil pour servir la théologie. Désormais, elle sera partenaire,
tout autant que l’art. On ne dira jamais assez combien la Réforme
protestante, quelques décennies plus tard, devra à cette
« redécouverte » de Platon.
Sandro Boticelli nous invite à entrer dans son tableau. C’est
lui, à droite, vêtu de jaune, qui nous regarde, comme pour
nous faire participer à cette étrange scène. La
seconde moitié du XVe siècle italien utilisera beaucoup
cette méthode : le spectateur devient acteur du tableau. Celui-ci,
même figuratif, n’est pas simple représentation quasi-photographique
d’un événement ; il devient univers spirituel et
philosophique dans lequel je peux cheminer.
Revenons à Florence. Tous sont là : la famille Médicis
(même ceux qui sont déjà morts), Pic de la Mirandole
(l’homme au chapeau rouge), et bien d’autres. Tous ces puissants
sont aux pieds de Jésus. Comme si nos puissances humaines devenaient
soudainement humilité… Les décors antiques (ruines
du fond) se mêlent à l’ambiance biblique d’une
simple étable. De l’ancien renaît la vie : les plantes…
et Jésus. Celui-ci devient « nouveau-né »,
et non plus simple répétition d’un dogme suranné.
Quant à Joseph, étonnement situé dans la composition,
il est représenté en pleine méditation, en pleine
réflexion. D’ailleurs, il ressemble étrangement à
un autre personnage : Platon. Si l’on regarde, par exemple, le
célèbre tableau de Raphaël, l’école d’Athènes,
peint quelques années plus tard, on y retrouve ce vieil homme
sage à la barbe fournie. Joseph et Marie deviennent ainsi Platon
et la Bible, en harmonie avec le décor.
Chez ce peintre, en tout cas dans la première partie de sa
carrière, la lumière est extérieure ; elle est
tour à tour l’Idée (au sens de Platon) que je cherche
et le Dieu qui m’inspire. L’étoile est ici en bordure
de tableau, en haut. Son rayon « tombe » sur Jésus.
Mais il « traverse » auparavant Joseph / Platon. Comme si
la lumière de la foi « traversait » la raison. Les
puissants et les savants viennent adorer ce nouveau-né révélé
par la lumière divine et par cette Renaissance de la philosophie.
Ce tableau m’a touché au-delà de ses aspects artistiques
et historiques. Il est devenu emblème de ma foi. Il nous propose
un chemin. Tout d’abord il nous rappelle l’indispensable actualisation
(ici au XVe siècle, pour moi au XXIe siècle). Nos convictions,
théologiques ou autres, sont vivantes, incarnées et évolutives.
De plus, Botticelli, et avec lui tous les artistes et les philosophes
de Florence de la seconde moitié du XVe siècle, tentent
à leur manière de réconcilier spiritualité
et recherche intellectuelle. Pourquoi la raison est-elle si souvent
laissée aux vestiaires de nos Églises ? Je suis convaincu
que cette tentative florentine fut la préfiguration de ce que
les protestants libéraux on toujours cherché à
affirmer : la réconciliation de la foi et de la raison 
Jean-Marie
de Bourqueney