Choqués
par les propos violents contre les ennemis, nous opposons souvent le
Dieu du Premier Testament et celui de l’Évangile. L’un
pousserait la justice jusqu’à la vengeance ; l’autre
ne serait qu’amour et miséricorde. Pourtant, « c’est
seulement quand on admet la colère et la vengeance de Dieu envers
ses ennemis comme des réalités valables que l’on
peut pardonner et aimer ses ennemis. Celui qui veut immédiatement
passer au Nouveau Testament n’est pas chrétien à
mon avis », écrit Dietrich Bonhoeffer dans Résistance
et soumission. Il sait de quoi il parle, et ne confond pas nos conflits
quotidiens avec la véritable expérience de la haine et
de la fureur exterminatrice. C’est sans doute à ce niveau
que l’on doit entendre la prière contre l’ennemi. Car,
selon de nombreux témoignages, un lien atroce risque de tenir
la victime rivée à son bourreau pour sa vie entière.
La prière contre l’ennemi peut apparaître comme une
étape, nécessaire pour certains, du dénouement
de ce lien. En demandant à Dieu justice, réparation, protection,
elle crie une souffrance, elle dénonce le mal qui terrasse l’humain
en l’homme, elle hurle contre l’inhumanité du bourreau.
Mais en même temps elle témoigne d’un renoncement
à la vengeance personnelle, car elle signifie que l’être
écrasé et humilié s’en remet avec force et
espérance à la vérité du jugement de Dieu.
Or qui rencontre-t-elle cette prière terrible
? Un Dieu juste et aimant. Un Dieu qui ne peut être l’ennemi
d’aucun homme. Un Dieu qui fait pleuvoir sur les bons et sur les
méchants. N’y aurait-il donc aucune réparation pour
l’homme assoiffé de justice ? Dieu serait-il indifférent
au mal ? Au paroxysme du scandale s’ouvre pourtant la voie d’une
réparation plus profonde, celle qu’expriment les paroles
de Jésus sur la croix : « Père, pardonne-leur ils
ne savent pas ce qu’ils font ! » Mais pour atteindre en soi
ce niveau de véritable intercession pour l’ennemi, il faut
peut-être avoir parcouru tout ce chemin de guérison qui,
pour certains d’entre nous, passe par la colère, le désespoir,
la prière contre l’ennemi et la demande de justice et de
réparation. Sur ce chemin le texte des Lamentations, comme certains
psaumes, nous aide à nous battre contre la haine. 
Florence
Taubmann