Méfions-nous de ces interprétations
trop occidentales du bouddhisme ; on le comprendra peut-être dautant
mieux que lon acceptera la part, parfois essentielle, qui nous
en échappe. Méfions-nous aussi de ces « bouddhistes
» qui se disent tels sans avoir jamais accédé à
cette donnée fondamentale de la conversion caractérisant
une sagesse qui, pour être véritablement vécue,
exige un retournement coûteux et total : dans notre existence,
notre esprit, notre pensée, nos conduites.
Jai lu, offert par une amie, le livre intitulé Le Dalaï-Lama
parle de Jésus, titre inexact, puisquil sagit là
de pages des évangiles que le Dalaï-Lama explique à
sa manière sans jamais prétendre quil pourrait parler
de Jésus lui-même. Et cette manière, elle, est décisive
; elle pose en effet des questions de méthode de la plus haute
importance pour un authentique dialogue interreligieux. Cest à
elles seules que je veux mattacher ici ; jen relève
quatre.
Le lieu doù lon parle
Ce qui me frappe, cest que le Dalaï-Lama commente les textes
évangéliques à partir dun éclairage
intégralement bouddhiste. Il reste là où il est.
Il ne fait pas comme sil pouvait prétendument accéder
à une compréhension chrétienne ou abstraite et
universelle des choses. Peut-on dailleurs vraiment faire différemment
? Le chrétien peut-il comprendre lAncien Testament en oubliant
sa tradition et peut-il faire, lui, une lecture juive de ces pages ?
Que dire de nos approches cuméniques de la Bible, alors
que catholique, orthodoxes et protestants sont si différemment
situés ! La meilleure façon de se comprendre et de senrichir
mutuellement sera peut-être de rester tout simplement soi-même,
cest-à-dire à sa place. Les différences assumées
inclineront davantage à des proximités que de trop rapides
et superficielles ressemblances.
Un pluralisme assumé
Jai admiré avec quel calme le Dalaï-Lama donne ses
interprétations en insistant sur le côté partiel
de son approche et en rappelant alors que le bouddhisme nest pas
unanime, est caractérisé par des écoles de pensée
différentes et parfois même opposées. Cela lui paraît
tout à fait normal et il ne cherche pas à imposer son
point de vue comme le seul autorisé et valable. Quelle belle
leçon pour un christianisme si peu enclin, dans son histoire,
à accepter le pluralisme, la diversité, et toujours tenté
par un doctrinarisme (comme disait Wilfred Monod) monolithique et par
un autoritarisme totalitaire !
Une lecture symbolique
Comme il est réjouissant aussi de voir le Dalaï-Lama lire
tel récit évangélique de démons et de guérisons
en adoptant tout naturellement une approche historico-critique, déprise
de tout fondamentalisme : « Je pense que ce sont là des
termes et des façons de parler en usage à une époque
donnée, dans un environnement donné [
] La mention
de la guérison des malades ne doit pas être prise au sens
littéral. »
Foi et raison
Exemplaire enfin, cette volonté du Dalaï-Lama de montrer
que « le bouddhisme souligne sans cesse le besoin dallier
la foi et la raison pour avancer sur la voie spirituelle ». Rien
de cette vaine et nuisible opposition entre théologie et philosophie
: « La foi doit être fondée sur la raison et la compréhension.
» On croirait entendre Albert Schweitzer. Dans cette perspective,
la conviction trouve sa solidité et son ancrage dans le raisonnement.
Il cite une sentence tibétaine : « Une personne dont la
foi nest pas enracinée dans la raison ressemble à
un torrent que lon peut diriger nimporte où. »
On ne saurait mieux dire.
Laurent
Gagnebin