En
ce Messie brisé, les Pères de l’Église verront
le Christ.
Et Irénée de Lyon lira dans ce verset une
prophétie de la passion : « L’Écriture nous
fait savoir que le Christ, tout en étant Esprit de Dieu, devait
se faire homme soumis à la souffrance, et manifeste en quelque
sorte surprise et étonnement devant ses tourments, de ce qu’il
devait supporter ainsi les tourments, lui à l’ombre de qui
nous avons dit que nous vivrions. Et l’Écriture appelle
ombre son corps, parce que comme l’ombre est produite par un corps,
ainsi la chair du Christ aussi a été faite par son esprit.
Mais par l’ombre elle signifie aussi l’abaissement de son
corps et sa facilité à être humilié, parce
que tout comme l’ombre des corps droits et debout est foulée
aux pieds, de même aussi la chair du Christ tombée à
terre a été pour ainsi dire foulée aux pieds dans
sa passion. » (Démonstration de la prédication apostolique
ch. 71, coll. Sources chrétiennes 62).
Cette lecture christocentrique des Lamentations s’est
imposée dans l’Église au point qu’elle intégrera
Les Lamentations dans les offices de la semaine sainte à partir
du VIIIe siècle, afin de favoriser la méditation de la
passion du Christ par les fidèles.
Mais cette interprétation chrétienne, qui
a souvent négligé le sens historique du texte, s’est
faite au détriment des interprétations juives, méconnues
et disqualifiées.
Aujourd’hui le dialogue judéo-chrétien
a permis de retrouver la pluralité des lectures. Ainsi face à
la souffrance, là où le christianisme confesse la présence
de Dieu à travers le Christ, le judaïsme exprime davantage
son absence, son exil. Par exemple dans le commentaire du Zohar sur
Les Lamentations (Le Zohar, Lamentations, Éditions Verdier, 2000),
le peuple pleure le départ de la Chekhina, – la présence
de Dieu, sa part féminine : « Nous interrogeons les chemins
et les sentiers, tous nous disent qu’ils ont entendu une voix amère,
sanglotante, qui pleurait sur ses enfants et ils ignorent où
elle s’en est allée. C’est à nous qu’il
appartient de pleurer, à nous qu’il revient de dire le chant
funèbre, nous embrasserons la poussière de ses pieds,
le lieu de sa demeure, nous embrasserons les murs du palais et nous
pleurerons amèrement. »
Mais dans un cas comme dans l’autre, ce qui est
requis de l’homme, c’est la fidélité. La fidélité
dans l’amour.
Car aux heures des immenses détresses, c’est
souvent dans le plus humble signe d’amour que Dieu trouve son refuge.

Florence
Taubmann