La prison est un sujet
de mode. De temps à autre, la prison fait événement.
Qu’il s’agisse de la manifestation d’une violence extrême,
d’une évasion spectaculaire, d’un témoignage
bouleversant ou d’un rapport accablant qui condamne notre pays
sur le traitement qu’elle réserve à ceux qui font
l’expérience de la privation de liberté, la presse
parle de la peine de prison. Chacun y va alors de son étonnement
et exprime des sentiments d’exaspération, de révolte
et parfois de violence contre des êtres de l’ombre qui n’ont
le plus souvent pour identité qu’un simple numéro.
Mais bien que ces êtres, sauf cas exceptionnel, soient ignorés
pour eux-mêmes, l’opinion publique, s’irrite, à
juste titre que la prison, en France, soit une telle honte pour la République
!
La privation de liberté est une véritable
peine : la prison est la reine des peines. C’est aussi le règne
de l’ombre. Métaphoriquement, les détenus sont mis
à l’ombre, ombre qui n’est jamais très éloignée
de la mort… La prison sent mauvais. Elle est douteuse, fait douter
et de soi et des autres. Elle est le lieu constant de la suspicion et
de l’indistinct. Comment faire pour distinguer le chien du loup
alors que l’on vit dans l’atmosphère entre chien et
loup ? Si les barreaux d’une échelle servent à gravir
une hauteur, les barreaux dans une prison servent de clôture.
Depuis des années, la prison, dépendant
du Garde des Sceaux et placée sous la responsabilité d’un
directeur de l’administration pénitentiaire, cherche à
devenir une administration comme les autres. Mais peut-elle y parvenir
quand elle garde des hommes et des femmes, des adolescents, des enfants
parfois, qui sont tous privés de la liberté d’aller
et de venir ? Comment admettre que des personnes placées sous
le contrôle de la justice soient regardées, non comme des
maudits de la terre, mais comme des « usagers » de la prison
?
Dans le mot « pénitentiaire », se
trouve la notion de « peine », terme qui évoque le
« tourment du martyre ». La France a récemment été
condamnée, non à cause de l’application des sanctions
imposées par les juges, mais par ce qui met la personne privée
de liberté en situation victimaire.
Nous pourrions citer de nombreuses situations contribuant
à nier les êtres, qu’il s’agisse de relation
d’irrespect, des conditions d’hygiène approximative,
de promiscuité insupportable, de violence subie ou commise, de
l’absence de moyens pour rester heureux, c’est-à-dire
vivant.
Rien pourtant n’ira jamais bien dans les prisons.
La raison de cet échec est simple. À côté
de la maladie et de la mort, la privation de liberté est le plus
grand des maux. Au fond de nous-mêmes, lorsque nous pensons «
prison », notre imagination se donne libre cours pour que le mal
commis soit éradiqué, c’est-à-dire extirpé
complètement et, pourquoi pas, par le moyen d’une souffrance
supplémentaire.
La présence de personnes supposées annoncer
la bonne nouvelle est indispensable aux yeux des Églises, elle
sonne juste quand les personnes visitées sont regardées
comme des frères et des sœurs. La fraternité humaine
est comme la terre de Canaan, elle est promise. C’est donc sur
la route éclairée par la grâce qu’il faut marcher,
y compris dans la vallée de l’ombre de la mort. Des amis
aumôniers opiniâtres viennent d’obtenir que les prisons
offrent un espace réservé au jardinage. Une belle utopie
qui prend forme en quelques endroits. Les pauvrettes prisons françaises
ouvrent, par cette autorisation expérimentale, un coin de jardin.
En persan, le jardin, paraît-il, se dit paradis. De quoi rêver
! 
Werner
Burki