Le déclin du
politique est un leitmotiv récurrent. Il suscite études
et articles de revues. Il entretient le pessimisme des élites,
quand l’opinion, elle, a décidé : selon un sondage
récent, les deux tiers des Français estiment que «
les hommes politiques ne se préoccupent pas – ou très
peu – de ce que pensent les Français ». Mais peut-on
réenchanter le politique, et comment ? s’est demandé
une poignée d’universitaires – sociologues, historiens,
économistes – à la fois français et étrangers,
tous réunis par Michel Wieviorka. De leurs débats, l’auteur
publie, en leur nom, un condensé assez nuancé pour faire
réapparaître leurs divergences et la complexité
du thème retenu *.
Car il y a crise : crise intérieure aux démocraties,
où les élus sont dépassés par l’évolution
de la structure sociale et par la poussée des inégalités.
Nous ne sommes plus au XIXe siècle, ni au XXe où, en gros,
s’opposaient deux grands groupes sociaux ; où les promesses
des idéologies faisaient naître les « grands récits
», comme le dit François Lyotard. Les idéologies
sont mortes. Apparaissent des sociétés plus complexes,
plus éclatées, où les hommes politiques sont mal
préparés à faire face à des demandes culturelles
: on ne peut traiter celles-ci avec les outils habituels, conçus
avant tout pour des demandes sociales et économiques. La montée
des individualismes, les pulsions, les violences religieuses viennent
encore compliquer le jeu.
Pourtant, notent les universitaires réunis ici,
tout n’est pas perdu, loin de là. Les institutions politiques
génèrent de nouveaux espaces à la démocratie
– telles les Cours constitutionnelles, les commissions indépendantes,
du type Stasi sur le voile islamique, en France. Voire la démocratie
directe. De leur côté, les nouveaux médias –
blogs et internet – offrent des lieux inédits d’échange
et de mobilisation. Peu structurés, certes, mais bien vivants.
À la subjectivité personnelle se mêle aujourd’hui
le culturel qui, autour de thèmes comme la religion, la femme
ou la procréation, réveille d’intenses débats.
Comme si la démocratie, loin de s’affaisser, changeait de
lieux et de formes.
Le déficit du politique, on s’en doutait,
a aussi ses causes externes. La surpuissance des États-Unis,
surtout depuis la chute de l’URSS, est source de formidables déséquilibres.
Elle met en relief la faiblesse européenne. Et pourtant, dans
le cas du conflit israélo-palestinien, elle est la seule à
pouvoir imposer un accord de paix à ses acteurs.
Plus que d’une vaste confrontation entre islam et
christianisme, prophétisée par Huntington, on parlera
de leur interpénétration, et certains intellectuels –
tel Ramadan – peuvent jouer, là, les truchements. La mondialisation,
tant conspuée, est reçue très différemment
d’un pays à l’autre, selon qu’on la voit de Turquie
(qui s’y adapte) ou du Mexique, qui l’associe rituellement
au voisin américain. Nos chercheurs notent que le refus du protocole
de Kyoto par les USA ne retient pas les autres démocraties de
s’y conformer. Souvent mal perçue dans les opinions, la
tutelle de Bruxelles sur les 25 ne l’empêche pas d’avoir
des effets très positifs sur l’extérieur, par les
règles du jeu qu’elle impose aux candidats.
Le réenchantement alors ? On le trouvera dans
l’emballement des jeunes pour l’humanitaire et les ONG qui
les structurent. Dans la vigueur du mouvement altermondialiste, souvent
piégé par l’utopie et la peine qu’il a à
s’articuler dans les enjeux mondiaux. Au reste, il n’est pas
seul : dans le monde entier, des milliers d’initiatives autonomes
et d’organismes tentent de donner corps à une grassroots
democracy (démocratie de base). Mais l’étude désigne
d’une part les possibilités qu’offre malgré
tout l’État-nation pour articuler un projet aux enjeux mondiaux.
Voire l’échelon local et régional. Elle veut croire,
de l’autre, à un aggiornamento des institutions elles-mêmes
; qu’elles soient plus attentives, demain, aux personnes : des
individus réels et non des êtres abstraits, dans les écoles,
les hôpitaux ou les prisons. Enfin, que soient redessinées
de manière neuve les relations entre le secteur public et le
privé. Une université, une école, un hôpital
confiés à des organismes privés, mais que l’État
paie : pourquoi pas ? Bref, le futur peut se réinventer. Et l’Europe,
devenir un « espace privilégié de renaissance des
idées et des formes de la démocratie ». 
Antoine
Bosshard
* Michel Wieviorka (ouvrage collectif), Le printemps du politique
– Pour en finir avec le déclinisme, Laffont, 2007.