Le chapitre 27 du livre des Actes fait le récit
du naufrage du bateau sur lequel Paul vogue vers Rome pour son procès.
Au-delà du réalisme haletant de ce récit, se
cache peut-être la métaphore hardie d’un salut universel.
Tous sauvés ? Actes 27,27-44
Ce passage se signale
d’abord par son abondant vocabulaire technique de navigation, dont
plusieurs hapax (termes n’apparaissant qu’une fois dans le
Nouveau Testament) : canot, ancre, nager, jeter la sonde, gréement,
proue et autre voile d’artimon… Puis il y a ce style dramatique
digne d’un scénario de film d’action : on oublierait
presque qu’il ne s’agit pas d’un roman d’aventures,
mais bien d’un écrit fait pour donner à croire, à
se faire une image d’un Dieu apparemment occulté par les
manœuvres du bateau en péril.
Tout ce passage se prête à un jeu de double
lecture. Les marins cherchent à s’échapper avec les
canots, mais Paul les en empêche : « Si ces hommes ne restent
pas à bord, vous ne pouvez pas être sauvés. »
Logique, on a besoin des marins pour manœuvrer. Puis Paul invite
tout le monde à se restaurer. Logique, il est vital de refaire
ses forces pour affronter la tempête : « Il y va de votre
salut », déclare Paul. Or une suite de verbes, qui n’est
pas là au hasard : prendre du pain, rendre grâce, rompre
le pain donne une tout autre couleur à ce casse-croûte
qui semble une Cène… L’excédent de blé
est ensuite jeté à la mer. Logique, il faut alléger
le bateau. Mais n’est-ce pas aussi une marque de confiance en Dieu
? Une image des Hébreux en perdition dans le désert et
qui ne thésaurisent pas la manne...
Trois fois dans ce court épisode apparaît
le verbe sôzein/diasôzein, sauver, avec une double lecture
: sauver sa vie du naufrage ou accéder au Salut. Dieu avait promis
en songe à Paul que personne ne périrait dans le naufrage
(27,21-26) mais peut-être se passe-t-il quelque chose de plus
que l’heureuse issue d’une fortune de mer. Peut-être
ce bateau en détresse est-il une figure d’un monde qui ne
l’est pas moins. Ce n’est pas la petite barque des pécheurs
du Lac de Génésareth où tous sont des amis soudés
autour du Maître. C’est un gros bâtiment avec 276 personnes
à bord, qui ne se sont pas choisies. Leur diversité de
qualité et d’intérêts – marins, soldats,
prisonniers – fait de ce bateau un monde en miniature où
tous sont embarqués et désormais solidaires de destin.
C’est cette solidarité et non plus le besoin
d’une compétence qui dicte l’obligation de garder les
marins à bord. Les filins des canots sont coupés, plus
d’échappatoire ! On ne peut se sauver tout seul en abandonnant
les autres. Risquera-t-on cette hypothèse : en se désolidarisant,
les marins se mettent en faute vis-à-vis des autres. En ne les
retenant pas à bord, le centurion et les soldats les laissent
à leur erreur et par là, se mettent eux aussi en faute.
Tous sont mutuellement responsables les uns des autres. Aucune panique
ne justifie les abandons et encore moins le massacre auquel les prisonniers
échappent de justesse (v. 42).
On songe à une autre tempête : certes, les
enjeux théologiques sont tout autres, mais on regrette qu’aucune
autre solution n’ait été trouvée sinon de
jeter Jonas par-dessus bord… Ici, l’heureux dénouement
s’exprime encore dans l’ambivalence : « sains et saufs
», mais derrière les rescapés se profilent les sauvés.
Tous invités à ce repas salutaire qui n’exclut personne,
ni les lâches marins ni les romains garde-chiourme. Tous au bénéfice
d’un salut qui n’aurait d’autre condition que de se serrer
les coudes et de refuser que le destin des uns soit différent
de celui des autres.
On ne peut tirer plus qu’il ne convient de cette
métaphore du bateau-monde, car après le naufrage, l’histoire
continue. Mais le temps de ces quelques versets, on se prend à
rêver à la négation de l’enfer, ce pendant
étrange, voire choquant, à la puissance de la grâce.
Oublier la trop humaine justice rétributive : et si toute fin
ne pouvait être que bonne ? 
Christine
Durand-Leis