La clef, comme objet,
m’agace ! À l’heure où je communique par internet
et GSM, où je paye par carte bancaire, où les puces (électroniques
évidemment) nous envahissent, voilà que j’ai encore
les poches trouées par cet objet antique : la clef. Je suis sûr
que ce sont les marchands de vestes qui ont des accords avec les serruriers…
Pensez donc, les premières clefs remontent à l’époque
égyptienne. Quant à celles d’aujourd’hui, elles
sont certes plus complexes mais restent un objet mécanique encombrant…
et indispensable. Qui n’a jamais perdu ses clefs ne connaît
pas le sens du mot « angoisse » !
En revanche, la clef comme symbole commence à
me plaire. Elle peut certes évoquer le bruit des trousseaux de
clefs en prison, ce bruit lancinant qui continue à hanter les
anciens détenus durant toute leur vie. Elle peut être un
terrible symbole d’enfermement : on cadenasse, on boucle. Circulez,
il n’y a rien à voir ! Non, ce symbole-là n’est
pas à mon goût. Je lui préfère la clef des
champs ou celle des songes, qui évoquent l’évasion
vers une liberté. Ce sont des clefs qui ne cessent d’ouvrir
des portes plutôt que de les refermer. Ce sont les clefs du poète,
celui qui nous emmène au pays de l’imagination, celui qui
fait éclore en nous notre propre imaginaire. Sa clef devient
la mienne, vers le pays de mes rêves. Il paraît que sans
rêve, on devient fou. Le poète devient alors le vaccin
contre nos folies. Il est le peintre de nos âmes.
Et puis, il y a aussi les clefs de la raison, celles
que l’on appelle les « clefs d’interprétation
». Devant un manuscrit ancien, devant un alphabet mystérieux,
devant un texte philosophique ardu, je ne peux rester nu, sans «
clef », sans « code » qui me permette de comprendre
un peu mieux. Il en va de même dans les relations humaines. Souvent,
pour comprendre l’autre, il me faut des « clefs » :
quelle est son histoire, sa culture, sa personnalité ? Bref,
les clefs peuvent rapprocher les humains et les rendre libres, même
si elles continuent à trouer mes poches… 
Jean-Marie
de Bourqueney