À l’occasion de la coupe du monde
de rugby, qui se déroule cette année en France (en septembre
et octobre), Vincens Hubac, qui a pratiqué ce sport, souligne
les aspects qui le rapprochent de la religion.
Rugby, coupe du monde
Fête moderne,
mais aussi affrontement et nationalisme, voire forme larvée de
guerre, des milliards engagés, le sport dépasse largement
ce qu’il représente pour être spectacle, enjeu économique,
politique et sociologique. Le sport moderne prend même des accents
religieux. Le langage trahit cet état de fait : la grand’messe
du Foot ou l’idole que devient tel ou tel joueur… Le rugby
occupe une place de choix. Ce sport de voyous joué par des gentlemen
a bien évolué depuis que William Webb Ellis, au collège
de Rugby, a pris le ballon de football pour le porter à la main
dans l’en-but adverse ! L’anglomanie de la fin du XIXe siècle
a permis d’exporter ce sport dans des contrées peu favorisées
de l’époque, Sud-ouest, montagnes, pour occuper les jeunes.
Le rôle des institutions a été décisif. Après
Le Havre, Rouen et Paris la greffe a donc pris et la France est devenue
une nation majeure de ce sport.
Amateur pendant longtemps, il est passé professionnel
depuis une trentaine d’années. Ce professionnalisme s’accompagne
de la mise en place de la coupe du monde, que la France organise cette
année. La dimension religieuse se met de plus en plus en place,
côté joueurs et côté public.
Le
calendrier d’une grande équipe présentant ses joueurs
nous montre la dérive religieuse. Le document présente
les « dieux du stade » : des corps impeccables, véritables
sculptures, des photos un peu surréalistes, épreuves d’artistes.
Les hommes présentés ne sont plus le commun des mortels,
ils sont autres, sortes de demi-dieux. Le phénomène de
l’idolâtrie des sportifs trouve ici son achèvement.
Cet aspect du joueur déifié se comprend ; les qualités
physiques exigées pour pratiquer le rugby de haut niveau sont
exceptionnelles : qui peut normalement suivre le rythme d’un match
en encaissant les chocs que doit subir un joueur ? Sport très
« physique » le rugby demande ascèse et sacrifice.
Ce dernier mot est souvent employé dans les vestiaires, surtout
pour les avants qui participent à la conquête du ballon.
C’est aussi une pratique communautaire. Seul, un joueur ne peut
rien faire, ce qui n’exclut pas le talent du joueur. On joue au
rugby avec les autres. Dieux du stade, sacrifice, ascèse, communautaire,
le rugby a un langage religieux. Chacun sait aussi qu’il peut jouer
avec sa vie, les accidents sont graves et les séquelles très
nombreuses chez les anciens joueurs. Le joueur de rugby moderne est
à part dans le « monde d’ovalie ».
Le public est marqué par l’aspect religieux
de ce sport. La Mecque du Rugby, chacun le sait, c’est le stade
de Twickenham, près de Londres ! Le temple du Rugby en France
hier à Colombes, aujourd’hui au Parc. Il y a aussi un langage
incompréhensible pour ceux qui sont à l’extérieur
: le pack, l’en-avant, le raffut, le plaquage, la passe redoublée,
l’up and under… Lieux ésotériques aussi Landsanroad,
Twickenham, l’Arms Park, Sauclières. Dans ces lieux fréquentés
par des « adeptes » se pratiquent des rites parfois curieux.
Que penser des chants guerriers des équipes du Pacifique et de
celle de Nouvelle-Zélande (les All Black) ? Que penser des chants
gallois, souvent des cantiques, pour soutenir les « diables rouges
» ?
Nous préférons en France la musique des
Bandas de Bayonne ou les chants des Pyrénées. Tout ce
rituel spécifique au rugby se passe dans un respect pour le moins
signifiant : pas de hooligans ici (la violence sur le terrain est peut-être
suffisante, voire expiatoire), des spectateurs jusqu’au bord des
terrains ; dans le temple de Twickenham on communie dans le respect
et le silence et on apprécie le sacrifice des avants !…
On comprend mieux la réflexion qui assène
cette vérité : le rugby c’est une religion pour ceux
qui le pratiquent… une religion qui avait son pape, l’abbé
Pistre de Castres et sa chapelle au Pays Basque !
Cet aspect religieux que l’on retrouve dans les
« grandes messes » du rugby protège peut-être
ce sport de certaines dérives, en fait un monde à part
folklorique et bizarre qui retrouve peut-être tout son sens dans
les 3es mi-temps où s’expriment la fête des fous,
la fraternité et un certain art de vivre. 
Vincens
Hubac