J’ai eu le privilège
et la joie de participer au jury international qui, au festival de Cannes,
décerne chaque année le Prix œcuménique. Ce
jury, composé de six membres catholiques et protestants originaires
d’Allemagne, de France, de Hongkong, d’Italie et de Suisse,
a retenu pour cette récompense 2007 le film De l’autre côté
qui faisait partie de la sélection officielle du Festival.
Fatih Akin, réalisateur allemand d’origine
turque, a élaboré un scénario complexe mais bien
construit, qui met en scène deux familles et six personnages
aux destins entrelacés. Ainsi, un Turc originaire des rivages
de la mer Noire enseigne la langue allemande à Brème,
une étudiante, dont la mère vit à Brème,
se soulève contre le régime en Turquie... Beaucoup d’actes
manqués, de retrouvailles impossibles, de révélations
tardives, d’accidents, jalonnent ces vies. Un véritable
chassé-croisé des personnages et des situations s’établit
entre l’Allemagne et la Turquie. Dans le cadre de cette fiction,
le cinéaste maîtrise les caractéristiques politiques,
humaines et psychologiques qui conditionnent l’existence : l’absence
d’une mère, d’un père et le besoin de filiation,
le ressentiment et l’amour, la haine et le pardon.
Fatih
Akin s’adonne à un véritable métissage des
cultures. Avec sa force émotionnelle, son humanisme exacerbé,
sa volonté de combattre les préjugés, il fait évoluer
ses personnages – l’intellectuel solitaire, le macho traditionnel,
la progressiste méfiante, la fervente combattante, l’utopiste
occidentale et la prostituée paumée – vers des conceptions
plus ouvertes, plus nuancées leur permettant de sortir de leurs
impasses et d’accéder à une forme de sérénité.
Ce changement individuel se heurte malgré tout
aux contraintes de la société et rend le devenir incertain
peut-être même illusoire. Le seul espoir semble résider
dans l’acceptation de l’étranger, de l’Autre,
ainsi perdre quelqu’un c’est aussi trouver quelqu’un
d’autre. Il ne s’agit pas d’un simple substitut, mais
d’une situation symbolique : le transfert se produit par des objets
(un livre permet au père de se rapprocher de son fils), par un
lieu (les rivages de la mer Noire représentent la paix intérieure),
par la mort (avec la mère de sa petite amie un des personnages
retrouve ce qui a disparu avec la mort de sa propre mère).
Akin insère son histoire dans un cadre politique
où la Turquie et l’Allemagne ont une histoire commune d’amour
et de répulsion. Les relations humaines et les opinions de chacun,
sont subies, souvent dépendantes d’un contexte plus général
qui influe sur la justice et les idéaux. Il en ressort autant
de conceptions personnelles de la foi que de protagonistes, ce qui suscite
la méfiance entre les gens.
Le réalisateur nous dit avec force que, lorsque
les hommes ouvrent leur cœur, échangent, arrivent à
se comprendre, leurs obsessions s’effacent. Compte tenu des cultures
et des croyances, des sacrifices s’imposent, il faut du temps et
de la distance pour que le dialogue, le pardon et l’amour s’instaurent.
Nous devons passer de « l’autre côté »
par rapport à nous-mêmes, effectuer un déplacement
au sens propre et au sens figuré.
Il s’agit d’un chef-d’œuvre qui répond
parfaitement à l’esprit du jury œcuménique.
Je suis très heureux que nous lui ayons attribué ce prix
et que le lendemain, dans le cadre de la compétition officielle,
il ait reçu le prix du meilleur scénario. 