Selon Paul, puis Luc, le Christ,
lors de son dernier repas, offrit le pain et le vin, et prononça
cette parole bien connue : « Prenez et mangez, ceci est mon
corps donné pour vous... Faites ceci en mémoire de moi.
»
En général, cette phrase, est comprise comme l’institution
du rite ou du sacrement de la sainte Cène, ou de la Communion.
Le Christ aurait, non seulement fait ce repas particulier, mais il
aurait, en plus, invité ses fidèles à refaire
la même chose, à réitérer ce geste.
Les protestants sont tout particulièrement sensibles au «
en mémoire de moi », et la Cène est souvent présentée
comme un simple mémorial. Dans cette perspective, l’efficacité
du rite ne réside pas en lui-même, mais en ce qu’il
nous rappelle le geste du Christ et son don parfait et total. Le Christ
a accepté de se sacrifier pour sa mission, pour son enseignement,
donnant sa vie pour nous et par amour pour nous. Participer à
ce sacrement, c’est se rappeler qu’il est la vraie nourriture
de notre existence, qu’il est le pain de vie, et que nous devons
le mettre en nous si nous voulons vivre vraiment.
Ainsi, ordinairement, « Faites ceci en mémoire de moi
» est compris comme l’ordre de consommer le Christ (spirituellement
bien sûr), régulièrement, comme les Apôtres
ont consommé le pain et le vin que le Christ leur tendait lors
de son dernier repas. Se souvenir de son ordre, serait nous rappeler
que nous devons ainsi nous nourrir régulièrement du
Christ, mettre en nous sa vie et son enseignement.
Cela est la manière habituelle de comprendre.
Et pourtant, il y a une autre manière toute différente
de comprendre cet ordre, qui n’est peut-être pas plus fausse.
Le Christ dit : « Prenez et mangez, ceci est mon corps donné
pour vous... Faites ceci en mémoire de moi. » Que faut-il
faire exactement en mémoire du Christ ? Quel est ce «
ceci » qu’il nous faut reproduire ?
Ordinairement, si quelqu’un fait quelque chose et dit ensuite
: « Faites-le en mémoire de moi », ne penserons-nous
pas qu’il nous demande de faire nous-mêmes ce qu’il
a fait a titre d’exemple ?
Le sens de ce commandement du Seigneur ne serait-il donc pas que
nous devons nous-mêmes nous donner à manger aux autres,
que nous devons nous-mêmes dire aux autres : « Prenez
et mangez en tous, ceci est mon corps... » ? Nous devons nous-mêmes
nous offrir en sacrifice pour les autres, et tâcher d’être
la nourriture de leur existence.
Or, aujourd’hui, les chrétiens, au lieu de dire aux
autres : « Mangez-moi donc, voici mon corps, voici mon sang...
» disent : « Voici le corps du Christ... » Au lieu
de s’offrir eux-mêmes en sacrifice pour le monde et pour
les autres, ils disent : « Jésus s’est offert en
sacrifice. » Au lieu d’obéir au commandement du
Christ : « Aimez vous les uns les autres comme je vous ai aimés
», et donc d’aimer leur prochain, ils se contentent de
dire : « Jésus vous aime... »
Mais Paul exhorte lui-même à « offrir vos corps
comme un sacrifice vivant, saint, agréable à Dieu, ce
qui sera de votre part un culte raisonnable » (Rm 12,1). Le
Christ dit : « Vous êtes le sel de la Terre » (Mt
5,13), c’est nous qui devons être mangés par les
autres.
Être chrétien à la suite du Christ, ce n’est
pas être consommateur, mais être consommé. Ce n’est
pas seulement être éclairé, mais aussi éclairer,
ce n’est pas seulement être aimé, mais aussi aimer...
Ce n’est pas regarder le Christ porter sa croix, mais aussi,
et peut-être surtout, porter sa propre croix et le suivre sur
ce chemin. Ce n’est pas tant de recevoir que de donner, d’être
pardonné que de pardonner, d’être sauvé que
d’apporter le salut.
Le Christ est le Chemin, mais un chemin n’est pas fait pour
être regardé ni même admiré ou adoré.
Un chemin est fait pour être suivi.
La croix du Christ n’est pas un spectacle misérabiliste,
c’est un envoi en mission. 
par Louis
Pernot