Ce n’est pas d’aujourd’hui que
les familles sont un peu compliquées et que l’on peut
avoir plusieurs pères suivant la définition que l’on
donne à ce mot. L’exemple de Jésus de Nazareth
est peut-être le plus célèbre.
Combien de pères pour Jésus ?
Si l’on se réfère
à la tradition chrétienne, Jésus a été
conçu du Saint Esprit. Donc il n’a qu’un Père,
Dieu lui-même. Joseph n’aurait été que l’époux
de Marie, chargé de l’intendance. Il lui a fallu trouver
un lieu pour la naissance, organiser la fuite en Égypte, puis
le rapatriement à Nazareth, subvenir ensuite aux besoins de l’enfant.
Il était bien dévoué cet homme ! Après la
présentation au temple, il disparaît d’ailleurs des
récits bibliques. La naissance fut donc miraculeuse, comme il
convenait aux grands personnages de ce temps-là. Pas d’autre
Père possible que Dieu.
Cependant les récits de Matthieu et de Luc, qui
sont les seuls à évoquer les circonstances de la naissance
de Jésus, ne sont pas si nets, et bien différents l’un
de l’autre. Pour Luc, Joseph est très clairement le père
de Jésus. On le voit sur la généalogie qui passe
par Joseph (3,23), mais aussi lors de la présentation au temple
(2,33) ou le père et la mère de Jésus sont explicitement
cités (L’évangéliste Jean appelle aussi Jésus
le fils de Joseph (1,45 ; 6,42). Si l’on relit d’ailleurs
la fameuse « Annonce faite à Marie » (Luc 1,26-38),
rien ne dit vraiment que Joseph n’ait pas été le
père biologique de Jésus. En effet, Marie dit à
l’ange « Comment pourrais-je tomber enceinte, puisque je
ne connais pas d’homme ? ». L’ange répondit «
L’Esprit Saint viendra sur toi », comme il a coutume de venir
sur certaines personnes, notamment la cousine de Marie, Élisabeth.
Il n’est pas dit que l’Esprit Saint allait lui-même
s’occuper directement de la conception du futur Messie. Dans toute
la Bible, l’Esprit Saint inspire les hommes, les guide vers le
bien ; mais il ne fait pas le travail à leur place, fût-il
agréable. Comment le pourrait-il d’ailleurs ? L’Esprit
reste l’Esprit.
Donc, la position de Luc est raisonnable : Joseph est
bien le père biologique de Jésus. Dieu est un Père
spirituel. Le titre de Père attribué à Dieu était
courant dans de nombreuses religions de l’époque. Et Jésus,
à plusieurs reprises, rappelle que ses interlocuteurs sont enfants
de Dieu (Notre Père, qui es aux cieux…). Il s’agit,
dans la mentalité hébraïque, d’une métaphore,
d’un sens figuré. Alors que, sous l’influence de la
mythologie grecque, qui n’est pas effarouchée par la rencontre
intime entre un dieu et une femme de ce monde, on se mit à imaginer
que Jésus parlait de son Père dans un sens littéral.
En résumé et pour l’instant, Jésus n’a
que deux pères.
Mais la question se complique avec Matthieu (1,18-24).
Car, dans le récit de l’évangéliste, Joseph
s’est aperçu que Marie était enceinte, mais pas de
lui. Il avait donc résolu de la répudier secrètement.
Ceci fit dire à Celse, un auteur païen du deuxième
siècle, que Marie avait « fauté » avec un
autre homme, un soldat romain, pour être plus précis dont
il va jusqu’à donner le nom : Panthéra. Celse avait
repris cette idée d’une tradition juive pas spécialement
favorable au christianisme. D’autres ont prétendu qu’en
l’absence de Joseph, un imposteur s’était fait passer
pour l’ange et avait abusé de la crédulité
de Marie. Ces dernières hypothèses, pas plus solides que
d’autres, sont cependant étayées par l’appellation
« fils de Marie » que l’on retrouve chez Marc (6,3)
et qui est assez rare dans le judaïsme ancien, ou l’on est
plutôt fils de son père ; l’expression « fils
de sa mère » étant réservée aux personnes
nées de père inconnu.
L’idée a été reprise par quelques
théologiens contemporains, surtout américains, qui considèrent
que cette naissance illégitime entre dans le dépouillement
total dont a été revêtu le fils de Dieu. De sa naissance
à sa mort il aura été un condamné. Nous
en serions donc à trois pères : un père biologique
inconnu, un père légal Joseph, un père spirituel,
Dieu lui-même. Cela commence à devenir compliqué.
L’évangéliste Jean a eu bien raison
d’éviter tous ces détails sans importance et de rappeler
que le vrai commencement du ministère de Jésus est à
rechercher dans cette Parole qui se confond avec Dieu lui-même
et qui éclaire tout homme. 
Henri
Persoz