Depuis la publication,
en juillet 2007, du texte de la Congrégation pour la doctrine
de la foi réaffirmant que l’Église catholique est
la seule et unique Église du Christ et qu’elle détient
la vérité en plénitude, le troisième rassemblement
œcuménique européen de septembre à Sibiu,
en Roumanie, a un peu calmé les esprits. La déclaration
du Vatican avait en effet suscité dans le monde entier, depuis
les simples fidèles jusqu’aux officiels des Églises
protestantes, un immense émoi. Cela dit, Rome n’a fait
que répéter ce qu’elle a toujours affirmé.
Ce rappel n’a rien d’étonnant et, tout compte fait,
il est honnête, comme l’a remarqué Mgr Cyrille de
Smolensk, responsable orthodoxe des relations extérieures du
Patriarcat de Moscou, préférant ce langage à
celui de la diplomatie ecclésiastique. Les illusions sont ici
dissipées. Le réveil est peut-être brutal pour
ceux qui pensaient que le concile de Vatican II avait ouvert d’autres
perspectives. Le cardinal Walter Kasper, président du Conseil
pontifical pour l’unité des chrétiens, n’a-t-il
pas eu raison de déclarer : « Un œcuménisme
douillet ne nous mènerait pas loin ; le seul moyen d’avancer
est le dialogue dans la vérité. » ?
La définition romaine de l’Église
n’a rien à voir avec la nôtre. L’Église
romaine a choisi, au cours des siècles, de se définir
à travers l’assemblée des évêques,
dont le premier est le pape, et cela dans un modèle pyramidal,
hiérarchique et monarchique. Les protestants privilégient
un modèle collégial et démocratique qu’ils
estiment plus ancien et conforme aux premiers témoignages de
la Bible et des Pères. Rome défend une succession apostolique
historico-matérielle à travers une chaîne ininterrompue
d’impositions des mains faites par les évêques et
commençant avec Pierre et les apôtres pour se prolonger
indéfiniment jusqu’aux prêtres de tous les temps.
Nous défendons une succession apostolique comprise comme une
fidélité des croyants, spirituelle et théologique,
au témoignage biblique et apostolique, fidélité
que ne saurait garantir une chaîne épiscopale très
fictive, selon nous, puisqu’elle a connu plusieurs ruptures et
comporte des trous artificiellement comblés.
Cette définition romaine de l’Église
s’accompagne, très logiquement, d’une sous-estimation
de la pluralité qu’appellent et les quatre évangiles
et l’existence d’un christianisme primitif où coexistent
des Églises diverses aux organisations différentes.
D’où cette affirmation de l’unité avec une
tradition normative et monolithique définissant en Rome la
plénitude de vérité ; d’où notre
préférence accordée à l’union des
Églises chrétiennes et la reconnaissance d’un christianisme
pluriel et riche de sa diversité, même doctrinale.
Oui nous ne sommes pas Église au sens romain
et nous ne voulons pas l’être. Le Pape ou la Congrégation
catholique pour la doctrine de la foi, ce qui revient au même,
ont raison. Mgr Kurt Koch, président de la Conférence
des évêques suisses et le cardinal Walter Kasper ne déclarent
pas autre chose quand ils soulignent que le texte ne veut pas dire
que les communautés protestantes ne sont pas des Églises,
mais qu’elles ne le sont pas au sens que Rome donne au mot «
Église ». Nous sommes entièrement d’accord
avec cela. Pour les catholiques, l’Église romaine continue
l’incarnation du Christ et bénéficie alors du même
pouvoir de révélation et de salut qu’avait Jésus
lui-même. Pour les protestants, l’Église est l’assemblée
des fidèles suscitée par l’événement
de la prédication de la Parole de Dieu.
Ne pas accepter que Rome s’exprime ainsi serait
interdire au catholicisme romain d’être ce qu’il est.
« L’Église réformée
de France professe qu’aucune Église particulière
ne peut prétendre délimiter l’Église de
Jésus-Christ, car Dieu seul connaît ceux qui lui appartiennent.
» (Discipline de l’ERF, I/1). Pour nous, en effet, il y
a les Églises institutionnelles, dont celle de Rome, et une
Église, universelle et invisible, dépassant toutes les
institutions chrétiennes et les frontières religieuses.

Laurent
Gagnebin