Numéro 215
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Planche dun traité de médecine chinoise |
La plupart des miracles (des signes) de Jésus de Nazareth, rapportés dans les évangiles, étaient des guérisons. Louis Pernot, dans le n°211 dÉvangile et liberté, en a discuté le sens et limportance. Les guérisons miraculeuses ont jalonné lhistoire de lÉglise catholique, et les Églises pentecôtistes en revendiquent aujourdhui de nombreuses.
Le sujet des médecines alternatives, quaborde ici Alain Houziaux, pasteur de lERF, est dune grande actualité dans les Églises (Église réformée et Église luthérienne notamment). En effet, celles-ci sintéressent de plus en plus aux questions complexes et souvent déroutantes que pose un ministère de délivrance ou de guérison. Certains pasteurs disent même pratiquer un tel ministère, ou être intéressés par les possibilités quil ouvre pour laccompagnement pastoral. Et, contrairement aux États-Unis et à la Grande Bretagne, il nexiste pratiquement aucun texte sur ce sujet dans la théologie protestante réformée francophone.
Il est difficile de faire la part du médical, du psychosomatique, et du miracle dans une guérison. Il est certain que lesprit joue un rôle très important, et leffet placebo le démontre clairement. La description des rapports du corps et de lesprit existe depuis des siècles : Hippocrate préconisait déjà une médecine du corps et de lâme ayant pour objet lhomme malade dans sa totalité. La médecine psychosomatique ne date pourtant que du XXe siècle. Elle a établi le lien structurel entre maladie et organisation psychique, et postule la participation du sujet à léclosion de sa maladie et, par conséquent, à la mise en place de ses propres processus de guérison. Albert Schweitzer disait : « Chaque patient porte en lui-même son propre médecin. Nous donnons le meilleur de nous-même lorsque nous permettons au médecin qui réside dans chaque malade de se mettre au travail. » Le « nous » peut se rapporter au médecin, au psychanalyste ou au pasteur
Marie-Noële et Jean-Luc Duchêne
Les guérisons miraculeuses
par Alain Houziaux
Giovanni Manuseti, La guérison miraculeuse de la fille du Sieur Nicolo Bevegnudo de San Polo
Les médecines alternatives et les guérisons miraculeuses. Il peut paraître surprenant dassocier ces deux thèmes et les questions quils posent. Et pourtant ! Ils posent tous deux le problème des guérisons inexpliquées voire inexplicables.
Les médecines alternatives peuvent être définies comme des thérapies (homéopathie, acupuncture, médecine chinoise ) qui nentrent pas dans le cadre des médecines occidentales classiques. Et il faut reconnaître, semble-t-il, quelles peuvent produire des guérisons qui restent inexpliquées au vu de la médecine occidentale.
Qui dit « guérisons inexpliquées » dit aussi « guérisseurs » : rebouteux, « sorciers », « voyants », exorcistes, « magnétiseurs », radiesthésistes qui pratiquent des désenvoûtements et autres désensorcellements . Ces guérisons inexpliquées semblent toucher plus ou moins à la magie et au surnaturel et, à ce titre, posent les mêmes problèmes que les guérisons dites miraculeuses.
Enfin, dans le champ des guérisons inexpliquées, figure aussi, en bonne place, le phénomène des guérisons naturelles. Celui-ci est bien connu. Ne loublions pas. On peut guérir naturellement, cest-à-dire sans traitement, dun rhume mais aussi dun cancer. Ces phénomènes de régénérescence peuvent être spectaculaires. Ils touchent non seulement les hommes mais aussi le règne animal. On sait que les lézards reconstituent naturellement leur queue lorsque celle-ci a été sectionnée. Et ces phénomènes, eux aussi, peuvent paraître inexplicables et même miraculeux.
Avant de poser quelques questions de fond, commençons par quelques remarques.
Il est très difficile de faire la différence entre dune part les guérisons inexpliquées (quelles soient imputées à des thérapies alternatives, par exemple à lhoméopathie, ou à des forces supposées surnaturelles) et dautre part les guérisons naturelles (qui sont des phénomènes dauto-guérison dus à une forme de résilience du corps) .
Il est très difficile détablir de manière certaine quil y a un lien de cause à effet entre la thérapie administrée (en particulier lorsquelle relève des thérapies alternatives) et la guérison obtenue. Autrement dit, les guérisons intervenant après un traitement « alternatif » ne sont pas forcément dues à ce traitement. On suppose que si un malade guérit après avoir été soigné, il guérit parce quil a été soigné. Or il nen est rien. La scolastique du Moyen Âge avait déjà dénoncé lillusion du « post hoc ergo procter » (ce qui signifie « après cela, donc à cause de cela »). Ce nest pas parce que deux phénomènes (lun supposé « cause », lautre supposé « effet ») interviennent parallèlement quon peut en conclure quil y a entre eux un lien de cause à effet .
Si on croit que lon va guérir, on guérit plus facilement. L « effet placebo » est peut-être lun des moteurs essentiels des guérisons inexpliquées quelles soient naturelles ou supposées miraculeuses ou imputables à des thérapies alternatives.
Dernière remarque : aucune statistique sérieuse chiffrée, portant sur une population vraiment large, na été faite à propos des résultats des thérapies alternatives (homéopathie comprise).
La science peut-elle tout expliquer ?
Ces remarques étant faites, admettons cependant, sous forme dhypothèse, quil y a effectivement des guérisons imputables à laction de thérapies alternatives. Dans cette hypothèse, on peut se demander : pourquoi la science et la médecine classique ne parviennent-elles pas à expliquer les modes opératoires des médecines alternatives et des guérisons quelles suscitent ? Et, dans le même sens, pourquoi certaines des guérisons de Lourdes résistent-elles à toute explication ? Comment expliquer ce que lon peut considérer comme un échec de la science ?
Ce qui frappe en effet, cest que non seulement les modalités de certaines guérisons restent inexpliquées mais aussi les données physiologico-corporelles sur lesquelles elles se fondent. Ainsi les paramètres corporels, les « flux », les « énergies » et les « canaux » sur lesquels se fondent les thérapies indiennes et chinoises nont pour le moment aucune assise scientifique au regard de la médecine occidentale officielle.
On peut bien sûr considérer quil ny a là rien détonnant. Les processus physiopathologiques en cause dans les maladies sont innombrables, intriqués et beaucoup sont ignorés. La complexité des interactions entre les facteurs qui agressent ou déséquilibrent lorganisme et ceux qui relèvent de sa défense est si vaste que des évolutions inattendues peuvent se produire sans quon ait besoin dinvoquer des fluides, des ondes, des esprits .
Mais il est tout à fait possible despérer que ce qui reste inexpliqué aujourdhui puisse lêtre dans les années ou les siècles à venir. Ainsi, jusquà Pierre et Marie Curie, la radioactivité nappartenait pas au domaine scientifique et elle relevait de linexpliqué. Et pourtant elle na rien de surnaturel ni même de paranormal. De même la découverte des microbes (et de leurs effets) est récente (milieu du XIXe siècle) et elle permet dexpliquer ce qui jusqualors ne létait pas .
En revanche, en adoptant une position toute différente, on peut estimer que les processus thérapeutiques inexpliqués aujourdhui resteront toujours inexplicables. Et ce parce que, fondamentalement, ils ne relèvent pas du champ de la compétence de la science.
De fait, on peut faire valoir trois types darguments pour réduire, à priori, les prétentions de la science en général et de la médecine occidentale officielle en particulier à vouloir tout expliquer. Primo, la science médicale ne peut expliquer que ce qui relève de son champ. Et la vie mentale (et en particulier linconscient, les croyances et les pouvoirs de lesprit qui semblent avoir un rôle important dans certaines guérisons) échapperait à la science ou du moins à la science médicale (même si les effets de lactivité mentale peuvent relever du champ des neurosciences). Secundo, toute science se heurte delle-même à des limitations intrinsèques, ce qui peut laisser une place à des formes d « énergies » et à des réseaux de corrélation intra-corporels quelle ne peut ni soupçonner ni modéliser. Et tertio le caractère « occidental » (lié à la culture occidentale) du savoir scientifique pourrait le rendre inopérant pour appréhender le mode de fonctionnement du corps et de lesprit tel quil est pensé dans les cultures animistes, africaines, asiatiques ou autres.
La médecine occidentale est-elle universelle ?
Mais cette manière de vouloir réduire, à priori, le champ des prétentions de la science et de la médecine occidentale peut être critiquée. On peut considérer que, de la même manière que deux et deux font quatre aussi bien en Chine quà Harvard, la science médicale (occidentale !) a vocation à étudier et à expliquer le fonctionnement des médecines chinoises, des guérisons miraculeuses, des phénomènes de guérison par le vaudou
Lopposition est vive entre dune part les « universalistes » (qui prétendent que la science et la médecine occidentale doivent pouvoir tout expliquer) et dautre part les « ethno-psychologues » qui considèrent que certaines pratiques thérapeutiques ne peuvent être expliquées quà lintérieur dune culture particulière. Les universalistes traitent les ethno-psychologues de crypto-racistes car ils feraient dépendre une pratique thérapeutique dune culture ethnique. Et les ethno-psychologues traitent les universalistes de néo-colonialistes car, disent-ils, ils veulent intégrer la polyvalence de luniversel dans la matrice de lanalyse scientifique occidentale qui est la leur.
En fait, pour être plus précis, il y a trois écoles de pensée :
Ceux qui considèrent que les procédés des médecines alternatives et non occidentales peuvent et même doivent être étudiés selon les méthodes de la science contemporaine. Ainsi, par exemple, ils chercheront si les « méridiens » sur lesquels se fonde la pratique de lacupuncture constituent des circuits de circulation magnétique, électrique ou électronique dont la réalité pourrait être détectée par des méthodes scientifiques.
Ceux qui considèrent quon ne peut comprendre ces procédés quà lintérieur des systèmes de pensée qui les ont engendrés.
Enfin ceux qui considèrent que les principes et les postulats selon lesquelles opèrent les médecines alternatives et non occidentales relèvent, au même titre que la parapsychologie, la magie, la divination et autres phénomènes paranormaux, des effets dune énergie cosmique, universelle, vitale ou même spirituelle étrangère au champ du scientifique. En fait les thérapies alternatives relèveraient autant et même plus du champ de la religion que de celui de la médecine .
Manteau de guérisseur inca. Vers 1500
Certes, les tenants des médecines alternatives prétendent souvent que leurs techniques sont tout à fait scientifiques même si elles échappent à la science occidentale aujourdhui. Pourtant, il faut reconnaître que les médecines alternatives ont fréquemment recours à des représentations, des croyances et des pratiques développées dans le champ religieux et spirituel et quelles incorporent les éléments empruntés à des traditions religieuses. De plus elles se réfèrent à des cultures où religion et thérapie sont étroitement liées voire confondues (culture orientale, chamanisme, etc.) .
Ceci dit, dire que les médecines alternatives relèvent du religieux laisse entière la question : doù viendrait leur efficacité ?
Leffet placebo est-il leffet « jexplique tout » ?
Nous en venons ainsi à cette nouvelle question. Posons-la brutalement : les guérisons inexpliquées (quelles soient imputées à laction de thérapies alternatives ou à des interventions miraculeuses) sont-elles tout simplement des guérisons naturelles (ou « auto-guérisons ») ? Et, en particulier, peuvent-elles tout simplement sexpliquer par l « effet placebo » ? De fait, la nature suscite par elle-même des substances analgésiques et thérapeutiques. Et leffet placebo agit sur les mêmes zones (cérébrales ou non) que celles stimulées par ces substances naturelles . Certes, il ne faut pas confondre leffet placebo avec le processus naturel de guérison, mais il en est incontestablement lactivation. Il le favorise et peut même le déclencher. Il libèrerait entre autres des endorphines dans lorganisme qui, tout comme la morphine, mais de manière naturelle, diminueraient la douleur .
De fait, leffet placebo est au cur du problème des guérisons inexpliquées. Mais, même si la réalité de cet effet est reconnue par tous, sa cause reste incertaine. On sait que deux facteurs sont déterminants dans son efficacité. Pour que « ça marche », il faut que le thérapeute croie quil administre une thérapie active et non un placebo. Et il faut aussi que le patient soit un « placebo-répondeur », autrement dit quil ait une capacité réelle à prendre les placebos pour des actes thérapeutiques efficaces.
Peut-on tenter dexpliquer cet effet placebo ?
On a tenté de lexpliquer par le conditionnement pavlovien (du physiologiste russe Pavlov). De même que le chien salive sil entend une clochette qui est pour lui associée à son repas, de même une réponse comportementale normalement produite par un certain stimulus (un médicament actif) pourrait également être produite par un autre stimulus (un placebo) qui lui est associé dans lesprit du patient.
On peut aussi le considérer tout simplement comme une force psychologique ayant en soi une efficacité pratique, tout comme cest le cas pour le courage, la confiance ou la foi par exemple. En effet, tout comme ces attitudes desprit, leffet placebo suscite une modification du rapport de force avec ladversaire que lon combat et permet, dans une certaine mesure, une auto-réalisation de ce qui est désiré.
On peut le rapprocher du « transfert » qui est le moteur de la cure psychanalytique (par ce transfert, la relation affective du patient avec le thérapeute devient un agent thérapeutique), et aussi des concepts d « influence », de « suggestion » employés plutôt en ethnopsychiatrie pour rendre compte des phénomènes de possession, de sorcellerie et de la guérison de ces phénomènes par des guérisseurs. Cette suggestion peut susciter des guérisons. Les succès du magnétiseur Mesmer (1734-1815), dont les guérisons saccompagnaient de transes, sexpliquent sans doute de cette façon. Mais « sur la nature de la suggestion, dit Freud, la lumière nest pas faite ».
Leffet placebo pourrait être considéré comme une forme légère de lhypnose ou de lauto-hypnose, celles-ci se définissant comme une modification de létat de conscience suscitant une suggestibilité très grande. Cette hypnose légère (que lon retrouve aussi dans létat de méditation et doraison et aussi dans le phénomène des transes) permet un lâcher-prise des résistances (celles-ci consistant dans le désir, conscient ou inconscient, de ne pas guérir pour garder les bénéfices secondaires de la maladie) et ouvre ainsi le déclenchement de lactivité de lénergie vitale qui suscite la guérison naturelle. Elle peut aussi favoriser laction dune thérapie classique ou alternative.
Certains enfin ont également tenté une théorisation psychanalytique de leffet placebo en considérant quil produisait une sorte de « régression ftale » qui pourrait avoir un effet thérapeutique. Nous y reviendrons.
Peut-on tenter dexpliquer certaines guérisons miraculeuses ?
Venons-en maintenant à la question des guérisons dites miraculeuses. Il est tentant de considérer que les guérisons par la foi ne sont rien dautre quune manifestation de leffet placebo. Que la foi puisse avoir un effet placebo, cela paraît bien évident. La foi établit une relation de confiance entre le patient et le divin Thérapeute auquel elle est accordée. Celui-ci intervient alors par des placebos en forme dhosties eucharistiques ou deau de Lourdes.
Mais faut-il aller plus loin et rechercher aussi une autre explication ?
Notons dabord que les guérisons miraculeuses sont plus ou moins miraculeuses selon les types de maladies quelles guérissent. Lorsque la maladie nest pas de caractère psychosomatique, la guérison apparaît plus inexplicable et donc miraculeuse.
Il faut en effet distinguer parmi les maladies :
celles qui sont dues à la lésion physique dun organe ou à une attaque dun organe par un agent extérieur ;
celles qui sont purement fonctionnelles (palpitations, asthme, paralysie, hypertension ). Ces maladies ne reposent pas sur une lésion physique (comme dans le cas précédent) mais dépendent seulement dune perturbation (où les facteurs psychologiques interviennent) dans le fonctionnement dun organe ;
La guérison de l'il de Saint Bernard de Clairvaux
celles qui sont dues à la lésion physique dun organe suscitée par des perturbations fonctionnelles (par exemple les maladies organiques cardiaques dues à une hypertension, la tuberculose pulmonaire due à un fléchissement de résistance du terrain général).
Selon Marc Oraison, les « guérisons par guérisseur » ou « par miracle » peuvent intervenir sur des maladies fonctionnelles du deuxième type (dans lesquels les facteurs psychologiques et psychosomatiques sont patents) mais aussi pour des maladies du troisième type, cest à dire des maladies organiques suscitées par un dysfonctionnement. Et bien sûr cela peut alors paraître moins évident.
Une régression positive
Peut-on néanmoins tenter une explication ? Dans ces maladies du troisième type, le disfonctionnement organique est quelquefois suscité par des affects psychologiques inconscients ou instinctifs souvent dus à des traumatismes liés à la petite enfance et qui « ressortent » à lâge adulte sous la forme dune lésion organique. Par exemple des traumatismes psychologiques denfance peuvent resurgir à lâge adulte, sous forme dune hypertension conduisant à une maladie organique cardiaque.
Dans ce cas, lefficacité de lintervention dun guérisseur ou de la participation à un pèlerinage pourrait peut-être sexpliquer. Elles peuvent agir sur la cause même de la maladie, cest-à-dire sur le traumatisme psychologique subi par le malade pendant son enfance. En effet elles interviennent sur un mode adapté au caractère infantile de ce traumatisme dune part parce quelles agissent sur le mode magique, qui est celui de lenfance, dautre part parce que le guérisseur, ou la Vierge, symbolisent en eux-mêmes tel ou tel personnage de lunivers denfance du patient avec lequel il a pu rester inconsciemment en conflit. La Vierge de Lourdes est une figure de la mère de lenfance. Le guérisseur, avec son pouvoir quasi-magique, rappelle limage du papa tout puissant des premières années.
Lexpérience spirituelle (à Lourdes ou ailleurs) ou la consultation dun guérisseur suscitent ainsi une forme de « régression » vers lenfance. Et en loccurrence, cette régression est positive et réorganisatrice. En effet, elle replace le patient dans une situation denfance, cest-à-dire antérieure à lapparition de sa maladie. Psychologiquement, le malade est « remonté » en amont de sa maladie et cela lui permet de reprendre une évolution naturelle et saine. De fait, la régression peut aller dans le sens de la guérison. Si certains processus psychiques peuvent être à lorigine de maladies, dautres peuvent être à lorigine de guérisons.
Ce qui pourrait aller dans le sens de ce pouvoir thérapeutique de la régression, ce sont les points suivants :
Dans la cure psychanalytique, la régression est indispensable au travail thérapeutique, elle fait partie du processus de guérison. Le psychanalyste Balint considère de fait que la régression permet un « new beginning » (nouveau commencement). Le malade reprend les structures psychiques et le langage antérieurs à sa maladie, ce qui, même sur un plan physiologique, peut le replacer à un stade antérieur à sa maladie.
Dans les religions archaïques, linitiation qui permet daffronter lâge adulte et ses maux se fait sous la forme dune régression symbolique du postulant à linitiation jusque dans le sein de sa mère. Le postulant loge dans une hutte, puis, au terme dune forme de gestation, se met dans le lit de sa mère et pousse un cri de nouveau-né. Ainsi il est une sorte de nouveau-né, ce qui larme de nouveau pour la vie. Il retrouve une énergie de vie qui est celle dun nouveau-né.
Dans lévangile de Jean et dans le schématisme quadoptent les « born again », la conversion-guérison qui permet au pécheur-malade de commencer une nouvelle vie est assimilée à une nouvelle naissance.
Certains récits bibliques peuvent être lus dans le même sens. Lorsque le prophète Élie est au plus fort de sa dépression et de son désir de suicide, il sort de sa crise en remontant et régressant vers le lieu de ses origines, à savoir le Mont Horeb où Dieu se manifestait dans les anciens temps (cf. 1 R 19). Cest là quil reprend force et reprend le cours de sa vie en amont de lépreuve qui avait été la sienne.
La guérison dEzéchias, roi dIsraël, peut sexpliquer de la même manière. Ezéchias était « malade à la mort » (2 R 20,1). Et Ésaïe vient lui annoncer quil pourra vivre quinze ans de plus. « Ezéchias dit à Ésaïe : À quel signe connaîtrai-je que Dieu me guérira ? » (2 R 20,8). Alors Ésaïe, le prophète, invoqua lÉternel qui fit reculer lombre (portée sur un cadran solaire) de 10 degrés. Autrement dit, il fait remonter le temps au temps. Et ainsi il « rajeunit » Ezéchias et le replace dans une situation antérieure à sa maladie. Ezéchias peut alors reprendre sa vie.
Et Dieu dans tout cela ?
Avant daborder cette question de fond, nous ferons une remarque.
Même sil y a des guérisons vraiment miraculeuses (et cest pour moi une simple hypothèse), javoue que le fait de les imputer à Dieu me gêne pour deux raisons :
le fait que Dieu puisse accorder une guérison miraculeuse à certains et pas à dautres pose un problème. La guérison dun miraculé parmi un million paraît bien injuste et arbitraire ;
le miracle lui-même, en tant quil est un dérèglement des lois de la vie, de la maladie et de la mort, pose aussi un problème. Si Dieu est le créateur des lois naturelles du fonctionnement du monde, pourquoi contrarierait-il, en effectuant un miracle, le fonctionnement de ces lois ?
Ce dernier point pose la question suivante : lintervention de Dieu doit-elle être considérée comme distincte du fonctionnement de la Nature ? Avant Broca (chirurgien du XIXe siècle), la réponse était oui. Lorsque lon dressait les « planches » (les croquis) présentant les coupes du cerveau de lhomme, on laissait, au-dessous de la voûte crânienne, une place qui marquait la place de lEsprit de Dieu (ou de lâme) dans le fonctionnement de lesprit humain. Ainsi le surnaturel avait sa place spécifique dans le cerveau. On faisait la différence entre le surnaturel (lesprit de Dieu) et le naturel (le fonctionnement neurologique du cerveau) dans le fonctionnement de ce cerveau. À partir de Broca, cette place pour lâme a disparu dans les coupes du cerveau. Cela voulait dire que la place du surnaturel et de Dieu avait disparu en tant que telle et quelle était considérée comme pleinement intégrée au fonctionnement naturel du cerveau.
Est-ce que cela signifierait que le surnaturel, le monde des esprits, celui de Dieu doivent cesser davoir une place spécifique et des effets spécifiques ? Est-ce que la référence au surnaturel peut devenir une simple manière de dire le miracle du fonctionnement naturel du cerveau ? Cest possible.
De fait, il nest sans doute pas possible de dire si la guérison est due à un « esprit » extérieur ou à une force naturelle. De la même manière, il nest pas forcément possible de faire la différence entre ce qui est subjectif et objectif. Dailleurs, même les théologiens les plus orthodoxes ne font guère la différence entre le « salut » (qui inclut, entre autre, la guérison) « par la foi » et le salut « par la grâce », même si, bien évidemment, la foi est une démarche de lhomme et la grâce une démarche de Dieu.
On se souvient de ladage de Spinoza : Deus sive natura, Dieu, cest-à-dire la Nature. Il a le mérite de bien poser le problème. Ou bien Dieu nest rien que la Nature, ou bien il est le « contre naturel » qui contredit les lois de la nature et aussi les lois de la science et de la raison qui rendent compte de ces lois de la nature. Or, si Dieu est « théologiquement correct », Il doit respecter les lois quil a données à la Nature.
On pourrait considérer que cest dans les guérisons naturelles que Dieu est le moins présent. Mais on aurait tort. Bien au contraire, les guérisons naturelles relèvent de ce que les théologiens appellent « la grâce commune », celle par laquelle Dieu, par le moyen des lois de sa création, fait du bien à tous indifféremment, pies et impies, justes et injustes (Mt 5,45).
Ainsi, le surnaturel, ce serait tout simplement le naturel, ou plus exactement, pour reprendre la formule de Claudel, le « naturel à un degré éminent ». Les seules guérisons surnaturelles quil nous faudrait reconnaître et imputer à Dieu seraient les guérisons naturelles.
Mais cette valorisation, voire même cette divinisation, de la Nature a ses limites. La Nature peut aussi savérer profondément cancéreuse et autodestructrice. Ainsi pour améliorer le phénomène dauto-guérison, il peut être utile daller chez les guérisseurs et les homéopathes, mais pour contrecarrer les cancers que suscite la perversité de la nature, il faut aller voir des médecins.
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