Le cinéaste brésilien Walter Salles est très attaché à son pays ; après Central do Brazil et Terre Lointaine, il réalise Linha de Passe, film remarquable, retenu cette année pour la sélection officielle du festival de Cannes.
D’entrée, nous sommes au cœur de la problématique de la vie à Sao Paulo, une ville parmi les plus chaotiques au monde. Un match décisif se joue pour l’équipe prestigieuse des Corinthians, le stade est en transe et, aux moments les plus intenses, des mains se dressent sous une bannière géante. Nous retrouvons ce même enthousiasme durant la célébration fervente d’une messe. En marge de ces deux grands « cultes », Cleusa enceinte, gémit de douleur dans sa modeste demeure située dans un des quartiers pauvres de la ville. Femme de ménage, elle élève seule ses quatre fils, nés de pères différents. Elle assume courageusement la vie de la famille, entoure ses enfants d’affection, leur inculque l’honnêteté et le respect de l’autre. L’argent manque, « mais ici on partage », dit l’un d’eux ! Très différents les uns des autres, ils essaient d’aider leur mère mais ils ont leurs propres aspirations et sont souvent dépassés par ce qui leur arrive. Dario, l’aîné, très bon joueur, veut devenir footballeur professionnel ; son inscription au club se heurte cependant à des difficultés matérielles rédhibitoires. Dinho, pompiste, est gagné par une ferveur religieuse qui le met à l’épreuve. Déjà père, Denis qui est coursier, connaît une vive concurrence professionnelle dans cette ville très encombrée par la circulation. Enfin, le petit dernier, Reginaldo, noir de peau et objet de moqueries, recherche désespérément son père.
Le scénario, « à la lisière du documentaire et de la fiction », nous dit W. Salles, est inspiré d’une histoire vraie. Il s’est appuyé sur deux documentaires, l’un relatif au football et l’autre aux nouvelles religions évangéliques réalisé par son frère Joao. Disposant d’un faible budget, W. Salles a tourné caméra à l’épaule, avec des non professionnels, mais il a financé des stages : football pour Vicinius de Oliveira (Dario), moto pour Joao Baldasserini (Denis), cours sur les pratiques religieuses des Baptistes pour José Geraldo Rodriguez (Dinho). Le résultat est au rendez-vous ! Ces garçons s’acharnent pour réussir mais se heurtent régulièrement au mur de la misère, car chaque jour apporte son lot de catastrophes ! La justesse de l’interprétation est telle que nous sommes émus lorsque, par exemple, le joueur de football ne peut pas entrer au club, ou lorsque le doute s’installe chez le croyant qui ne voit pas se produire le miracle attendu. Le ciel gris et les couleurs ternes qui enveloppent les personnages sont en symbiose avec les difficultés de leur condition sociale. Les récits s’entrecroisent, rappelant le schéma narratif de Alejandro Gonzales Inarritu dans 21 grammes et Babel, et laissent s’entrouvrir la porte de l’espoir. Il s’agit pour ces personnages d’aller de l’avant sans se résigner. Au football, lorsque l’espace est réduit, les joueurs se mettent au Linha de Passe, « la ligne de Passe » : à quatre ou cinq ils se passent le ballon sans qu’il touche le sol, s’il tombe, le joueur responsable est éliminé, comme dans la vie !
Dans ce melting-pot, submergé par la violence et l’âpreté de la vie, Walter Salles nous incite à ne jamais renoncer, à toujours avancer, la lumière est au bout du chemin. 
