DIRE LA PAROLE
par le pasteur
Pierre Joudrier
Chapitre
précédent
Table
et Avant-dire
Chapitre V : SIGNES, ou bien MIRACLES ET SACREMENTS
Ces trois noms suscitent en nous
de nombreuses questions auxquelles nos différentes traditions
théologiques, croyances ou pratiques religieuses, ont apporté
des réponses présentées comme étant la vérité
absolue, ce qui prive ou dispense les fidèles d'une réflexion
ou d'une analyse objective…
Par exemple, dans un dictionnaire théologique récent,
l'article « Miracles » est introduit ainsi : « Aucun
mot de l'Hébreu ou du Grec biblique n'est superposable à
« miracle » compris comme une exception aux lois de la nature
et attribuée à la divinité parce qu'inexplicable
autrement ». Suite à cette affirmation, neuf colonnes dans
lesquelles on ne parle que de miracles sans se poser la moindre question
!
Même si le retour à l'enseignement de « l'Écriture
Seule » exige de tous des révisions douloureuses, ce retour
apparaît cependant comme l'unique voie conduisant à une
Unité que le Seigneur a demandée pour son Église
(Jean 17).
Il y a fort longtemps, alors que se développait tout un vocabulaire
nouveau à partir de la racine sem-, j'avais ouvert un dossier
intitulé « Séméiologie biblique ».
Par la suite, j'ai découvert que ce terme était déjà
utilisé en médecine pour définir l'étude
des signes cliniques permettant aux praticiens de poser un diagnostic.
En linguistique, on a préféré le mot «
sémiologie » pour tout ce qui concerne la science des signes.
Pour la recherche biblique, l'emploi du mot « séméiologie
» permettrait de distinguer cette étude de celle des sciences
du langage.
Pour prendre conscience des distinctions qu'il convient d'opérer
entre des mots que nous assimilons à celui de Signe, il est nécessaire
de revenir à leur signification première.
Le nom « miracle » en offre un bon exemple…
haut 
Introduction :
-Absence de miracle dans l’Écriture.
Ce mot est issu d'un verbe latin Miror qui signifie « être
étonné », d'où le sens d' « ad-mirer
» ou de regarder avec « ad-miration ».
Ce verbe donnant en français « mirer », le miracle
est donc une chose que l'on « mire », que l'on «
admire », que l’on regarde avec « ad-miration »,
une chose « merveilleuse », adjectif issu de la même
racine !
Tous ces termes renvoient à la personne qui tourne ses regards
vers cette chose « étonnante, merveilleuse, qu'elle admire
» et que l'on va nommer « miracle » vers le XI°
siècle ap. J.C.
Or le sens que nous donnons aujourd'hui à ce mot ne se trouve
ni en hébreu, ni en grec, ni dans le latin biblique ! Les termes
employés dans l'Écriture renvoient à l'auteur
du « signe » ou à la manifestation de sa toute
puissance. Le plus souvent il s'agit de Dieu Lui-même.
Le « signe » n'est donc pas donné pour que l'homme
l'admire, s'en étonne ou s'en émerveille, mais pour
qu'il le perçoive et s'efforce de saisir la signification du
« signal » que le Seigneur lui adresse.
Dans les Évangiles, à plusieurs reprises, les foules
sont « étonnées à la vue des choses merveilleuses
accomplies par Jésus ». Ces mêmes foules pourtant
se retourneront contre lui et chercheront à le faire périr
(Luc 4, 22-29) ou bien réclameront sa mort : « Ôte,
ôte ! crucifie-le... nous n'avons d'autre roi que César
» (Jean 12, 12-19 ; 19, 14-16).
Le « miraculeux » qu'on admire, que tant de personnes
recherchent, n'a aucune efficacité réelle pour susciter
ou affermir une foi confiante en Christ. Ceci était déjà
vrai pour ses disciples : « Depuis si longtemps je suis avec
vous et tu ne me "connais" pas, Philippe ? » (Jean
14, 9).
De plus, si le doute s'insinue, alors l'exaltation provoquée
par le « miracle » s'écroule et l'on rejette avec
violence celui que l'on admirait.
C'est pourquoi Jésus, à plusieurs reprises, demande
à ceux qui ont reçu le signe d'une guérison divine
de n'en rien dire à personne !
On notera que l’Évêque de Lourdes a interdit en
février 2006 l’emploi du mot « miracle » pour
une guérison reçue dans la foi…
haut 
-Exigences du signe
Il en est tout autrement d'un signe tracé pour être
comme un signal sur le chemin de notre existence afin de nous «
signaler » ce qui est essentiel pour notre vie.
Le plus souvent le signe est inerte, immobile, muet et totalement
dépourvu de « pouvoir ». C'est pourquoi sa présence
réclame des passants que nous sommes trois exigences fondamentales
:
1- voir le signe, ce qui demande attention et vigilance de notre
part.
2- savoir lire le signe et en saisir la signification, comprendre
ce qu'il est chargé de nous dire, d'où la nécessité
d'un apprentissage de cette lecture.
3- prendre une décision, positive ou négative, par
rapport à l'information ou à la Parole véhiculée
par le signe, décision dont peut dépendre notre vie
ou notre mort, ou celle des autres.
Par exemple le panneau « STOP » qui orne nos croisements
de route n’a rien d'une « admirable » oeuvre d'art
! II n'est pas placé là pour provoquer notre émerveillement
! Quelqu'un l'a mis là pour provoquer en nous une réaction
salutaire…
Cette analyse peut s'appliquer à tout signe véritable,
depuis ceux de la signalisation routière auxquels nous sommes
confrontés chaque jour, jusqu'aux signes les plus « sacrés
» de la Révélation.
-De l’invention du sacrement, ce signe
Dans les textes fondamentaux des Églises Chrétiennes,
on trouve en effet le mot « signe » en relation avec le
mot « sacrement ». Ainsi, pour l’Église Romaine,
le « sacrement de la Loi Nouvelle est un Signe sensible, institué
par Jésus-Christ pour « signifier » une grâce
et la « conférer » à ceux qui reçoivent
dignement ce sacrement ».
« C'est là le sens de l'affirmation de l'Église
: les sacrements agissent ex opere operato » (Concile de Trente,
DS 1608).
L'emploi du verbe « conférer » introduit dans cette
définition une notion d'efficacité qui, en aucun cas,
ne peut être attribuée au signe lui-même.
Certains Réformateurs ont défini les sacrements comme
étant des « signes visibles de la grâce invisible
de Dieu », définition proche de celle de Saint Augustin
pour qui « les sacrements ne sont que des signes et non des
moyens de salut ».
Ces affirmations montrent clairement qu'on ne peut séparer
l'étude des « signes » dans l’Écriture,
de celle des « sacrements », mot introduit vers 1160 dans
le vocabulaire de l'Église.
Les spécialistes reconnaissent d’ailleurs que «
ni le mot, ni son sens, ne figurent dans le Nouveau Testament, car
il ne connaît pas encore ce concept de sacrement qui nous est
familier. On ne le connaîtra pas avant le Bas Moyen Age ».
Il est étonnant de constater que ce mot de « sacrement
» tel que nous l'entendons, et qui est à l'origine de
tant de nos divisions, n’est même pas un terme biblique
!
Ainsi les deux mots « miracle » et « sacrement »,
venus du latin, ne correspondent en rien, quant à la signification
profonde que nous leur donnons en français, aux termes employés
par l'Écriture, que ce soit en hébreu, en grec ou en
latin. Si nous voulons, comme nous le prétendons, nous laisser
instruire par l'Écriture et par elle seule, il est nécessaire
de bien comprendre la signification des mots utilisés par les
écrivains bibliques pour pouvoir traduire ce qu'ils saisissaient
de la Révélation, et cela avec l'aide de l'Esprit, tout
en nous souvenant que ces mots ne sont eux-mêmes que des signes
ou des signaux qui jalonnent notre parcours spirituel.
Pour simplifier cette recherche très complexe, nous partirons
des principaux termes grecs ayant servi à rendre des mots hébreux
que l'on a traduits en français par « signe, prodige,
merveille ou miracle ».
I- Analyse du « signe » dans les Écritures :
-A- Le « signe » dans l’Ancien Testament :
-Sêmeion
101 occurrences dans la LXX. Ce mot n'a pas d'autre sens que «
signe ». Il sert à traduire 8 termes hébreux
dont certains sont rendus par « miracle » en français.
Les principaux sont :
1° : 'OT : 81 occ. 78 fois traduit par sêmeion. Par exemple
dans Genèse 1, 14, les luminaires des ciels servent de «
signes » pour rythmer la vie des hommes : leurs travaux, leurs
fêtes et leur adoration. Le « signe » mis sur
Caïn (Gen.4, 15) destiné à le préserver
de la spirale de la vengeance. L'arc-en-ciel (Gen. 9, 12 ss), premier
signe d'une Alliance scellée par Dieu en faveur de tous les
vivants de la Terre. La circoncision (Gen.17, 11), signe d'une Alliance
personnelle entre Dieu et chacun des enfants mâles constituant
son peuple.
Lorsque le peuple d'Israël sera enfin libéré
de l'esclavage égyptien, cette libération sera, pour
Moïse, le signe que c'était bien Yavhé qui l'avait
envoyé accomplir cette mission. (Exode 3, 12). Avant cette
libération, de nombreux signes seront donnés à
Pharaon et au peuple d'Israël. Ces signes sont toujours présents
dans la mémoire de ce peuple et certains ont été
conservés par l'Église chrétienne. Il en est
ainsi du sang de l'agneau Pascal mis sur les bois de la «
Porte » par laquelle chaque famille juive passera de l'esclavage
vers la libération (Ex.12, 13). Ce sang deviendra comme un
« signe » du Sang de « l'Agneau de Dieu qui ôte
la faute du Monde » (Jean 1, 29 ; 1 Pierre 1, 18-19).
De même pour le pain azyme que mangent les Israélites
pendant les 7 jours de la fête commémorant la sortie
d'Égypte. Ce pain sans levain, souvenir d'un pain fait à
la hâte au moment de la première Pâque, «
est pour toi un signe sur ta main, un souvenir entre tes yeux, pour
que la Torah de Yavhé soit dans ta bouche » (Exode
13, 9).
Jésus fera de ce pain le « signe » de son corps
donné pour nous et que nous mangeons en mémoire de
lui et de cet amour dont il nous a aimés (cf. Jean 15, 13).
Le respect absolu d'un Sabbat fait pour l'homme -et non l’homme
pour le sabbat (Marc 2, 20)- est le signe d'une reconnaissance de
l'oeuvre créatrice de Dieu (Exode 31, 17), mais aussi le
mémorial de la libération de l'esclavage (Deutéronome
5, 15).
Les 12 pierres retirées du lit du Jourdain sont édifiées
sur la rive « en signe et en mémorial », pour
les générations futures, de l'entrée du peuple
libéré et gracié, dans la Terre Promise (Josué
4, 6). Et plus tard Ésaïe emploiera les mots de «
signe donné par Yahvé » pour annoncer la venue
de l'Enfant qui naîtra d'une nubile et portera le nom de «
Dieu avec nous », parole reprise par le messager de Yahvé
pour convaincre Joseph de ne pas répudier Marie (Ésaïe
7, 14 ; Matthieu 1, 23).
On ne peut citer toutes les occurrences de ce mot « signe
». Ces quelques exemples illustrent bien la diversité
et la richesse de significations spirituelles contenues dans ce
mot 'OT : « libération, grâce, salut, bienveillance,
amour de Dieu pour son Peuple et espérance pour le Monde
».
L'importance exceptionnelle de ce nom n'a pas échappé
aux traducteurs de la Septante et de la Vulgate. En effet ils traduisent
‘OT, sans exception, par sêmeion en grec et par signum
en latin, sauf en Ézéchiel 14, 8.
Or que découvrons-nous dans nos versions françaises
?
Une seule, « La Tour de garde », traduit 'OT uniquement
par « signe ».
Louvain et A. Chouraqui n'ont qu'une seule exception. La Pléiade
emploie 4 termes différents, la Colombe : 5, la TOB et Genève
: 6.
Sans scrupules, le Français Courant en emploie 41, le Rabbinat
40, Sacy 37, Crampon et Jérusalem 20 !
On trouve le plus souvent dans nos versions « prodige »,
parfois « miracle ».
L’on s'écarte profondément du sens originel en
le traduisant par « preuve », car un signe n'est jamais
une « preuve » ou bien par « symbole »,
mot qui signifie « réunir ensemble », à
l'inverse du « diabolos » qui, lui, divise.
On rencontre également « présage » dont
la racine signifie « avoir du flair », ce qui est très
exactement le contraire d'un signe donné à l'homme
afin de l'avertir !
Il conviendrait de s'interroger sur ces 45 interprétations
différentes, en français, d’un unique mot hébreu
traduit en grec et en latin par le seul mot « signe ».
On peut supposer que nous ne percevons pas, dans notre langue, toute
la richesse spirituelle de ce concept qui est pourtant, avec la
Parole, au cœur de la relation de Dieu avec son Peuple.
D’autre part on peut constater que le sens premier de sêmeion
s’enrichit dans la mesure où il a été
utilisé par la Septante pour traduire d’autres mots
hébreux.
2°- MoPèTh : 38 occ. Ce nom est construit sur une racine
signifiant « être beau » (Cantique 7, 7). D'où
les traductions par « merveille », « prodige »,
« miracle », les plus employées en français.
Par exemple : « Vois tous ces prodiges - ou miracles - que
j’ai mis dans ta main » (Exode 4, 21 ; 11, 10). Ce mot
renvoie le plus souvent à la libération de l’esclavage
en Égypte. Cette délivrance apparaît comme étant
le signe de la fidélité de Yahvé à son
Alliance et de son Amour envers son Peuple.
Mais il appartient à chacun de discerner ce que ce signe
peut signifier pour lui afin de vivre de la grâce qui lui
a été faite. Or, très rapidement, un certain
nombre de ces hommes libérés ont oublié les
signes qui leur avaient été donnés et se sont
détournés de leur Dieu Sauveur (Psaume 78, 40).
A huit reprises le mot MoPèTh sert à qualifier un
homme. Dieu s’adresse ainsi à Ézéchiel
: « Dis-leur : Je suis votre prodige » (Ézéchiel
12, 6 et 11 ; 24, 24 et 27). Également Ésaïe
8, 18 ; 20, 3 ; Zacharie 3, 8.
La LXX traduit le plus souvent ce mot par téras et 4 fois
par sêmeion.
Plusieurs versions françaises le traduisent parfois par «
miracle ».
Seules celles d'Osty, TOB et A. Chouraqui n’emploient jamais
« miracle ».
3°- NèS : nom traduit par sêmeion dans 9 de ses
21 occurrences. On lui donne les sens de « voile, étendard,
merveille et miracle ». Moïse nomme l’autel qu’il
bâtit après sa victoire de Réphidime : «
Yahvé-Nissi », c'est-à-dire « Yahvé
mon étendard » (Exode 17, 15).
Le plus souvent, ce mot exprime l’idée de « signe
d’avertissement » en particulier destiné aux Nations.
Le texte ayant pour nous la signification la plus profonde concerne
le serpent d’airain : « Fais-toi un serpent brûlant
et élève-le en signe. Quand un serpent a mordu un
homme, celui-ci regarde avec attention le serpent brûlant
et il vit » (Nombres 21, 8-9).
Jésus fera un rapprochement très précis de
ce « signe » avec sa propre élévation
sur le bois de la Croix. Il oppose ce signe parfait de l’Amour
de Dieu pour le Monde aux signes sur lesquels Nicodème pensait
pouvoir fonder son « Savoir » à propos de la
personne de Jésus (Jean 3, 2 et 14-16).
4°- TaV : ce mot ne compte que 3 occurrences. Il est issu d'une
racine évoquant le fait de « graver des signes ».
On le traduit par « signe, signature ou signe d’alliance
».
Il est le support de la dernière lettre de l'alphabet hébreu.
C’est pourquoi il a le même sens symbolique que l’Oméga
grec. On peut lire la déclaration d’Apocalypse 1,8 ainsi
:
« Moi, l'Aleph ; moi le Tav » !
Dans l’ensemble des alphabets les plus anciens, le tav est
représenté par deux bâtons réunis en
croix. D'abord inclinés en X, puis redressés, tel
qu’on le retrouve aujourd'hui dans notre T majuscule.
« En plus de l'idée d'alliance, il y a dans le Tav
une idée de perfection, ou de chemin de perfection, c'est-à-dire
de perfectibilité. Perfection mais aussi achèvement
et mort » (Les mystères de l'Alphabet).
On retrouve cette idée dans les signes que David trace sur
les montants de la porte lorsqu'il simule la folie (1 Samuel 21,
14) ; dans les signes donnés à l’Égypte
(Psaume 78, 43) ; et particulièrement dans la vision d'Ézéchiel,
concernant ce signe que l'homme vêtu de lin trace sur le front
des hommes de Jérusalem qui gémissent, et qui seront,
grâce à ce signe, sauvés de la destruction (Ézéchiel
9, 4-6).
haut 
- Dunamis
395 occurrences. Ce mot grec sert à traduire
25 mots hébreux. Il exprime la puissance, le pouvoir,
« la puissance de Dieu en acte ».
C'est le terme choisi par Nobel pour nommer
son invention : la dynamite !
Ce mot est particulièrement intéressant
car, dans le Nouveau Testament, il est souvent traduit par
« miracle ». Or ce sens ne se retrouve dans aucun
des mots hébreux qu'il traduit !
Les plus fréquents sont :
1- HaIL : 167 occ. C'est « la force,
la puissance », parfois « la richesse »
(Ézéchiel 28, 4-5) ou même « l'armée
des cieux » (Daniel 4, 32).
2- TSaBa : 463 occ. Il désigne principalement
« les armées » : celles d'Israël,
ou étrangères, mais aussi celles des Cieux (Ésaïe
34, 4). Ce nom est également associé à
celles de Yahvé et que nous traduisons par «
l'Éternel des Armées ».
Parfois ce mot hébreu peut exprimer
l'idée de « service ». Ainsi pour Job :
« C'est tout le temps de sa vie de service » (14,
14).
3- ‘oZ : 94 occ. Il est traduit 23 fois
par dunamis. Ce mot se trouve seulement dans les Psaumes et
une fois dans 1 Chroniques 13, 8. Il est traduit par «
force » ou « puissance », le plus souvent
celle de Dieu : « Yahvé, mon Seigneur, puissance
de mon Salut » (Psaume 140, 8).
4- GiBoRaH : 63 occ. Il est traduit 16 fois
par dunamis. Il exprime l'idée de « force »
ou de « puissance », en particulier celle de Dieu
: « D'âge en âge on loue tes oeuvres et
on proclame les oeuvres de ta puissance ». (Psaume 145,
4)
- Téras
41 occ. Ce mot a pour sens : « signe extraordinaire,
généralement envoyé par les dieux, d'où
sa traduction par « prodige », parfois « miracle
». Le plus souvent il sert à traduire l'hébreu
MoPèTh. Il est employé 16 fois dans l'A.T. et
16 fois dans le N.T. en association avec sêméion,
d'où cette formule de nos versions : « signes et
prodiges ».
On le trouve 19 fois pour évoquer les
prodiges accomplis par Yahvé lors de la libération
d’Égypte. Mais un homme, ou un prophète,
peut être un « prodige » donné par
Yahvé à son Peuple. Par exemple le Psalmiste :
71, 7 ; Ésaïe lui-même et ses enfants ; ou
Ézéchiel 12, 6 ; 24, 24 et Zacharie 3, 8.
-Thaumasios
48 occ. « Ce qui est merveilleux ou étonnant ».
II est issu d'une racine signifiant « regarder, contempler
». Elle donne en français : théâtre, thaumaturge,
théorie…
Cet adjectif sert à traduire plusieurs termes hébreux,
principalement issus de la racine PL'.
Par exemple PêLê' : 13 occ. « prodige, merveille
» , souvent traduit par « miracle » en français.
Comme le remarque la « Bible d'Alexandrie », la LXX
crée son propre système lexical pour parler des «
merveilles » de Dieu, en faisant de ces adjectifs des noms
: 37 fois pour 47 occurrences. A. Chouraqui traduit ainsi Juges
13, 18 : « Pourquoi cela, me questionnes-tu sur mon nom ?
Il est ‘’merveille’’ ».
Certains textes mettent en lumière la fragilité des
signes ou des merveilles, même les plus évidents :
« Ils refusèrent de marcher dans sa Torah, oubliant
ses agissements et les merveilles qu'il leur avait fait voir »
(Psaume 78, 11).On peut rapprocher ce texte de Nombres 14, 11 :
« Jusqu’à quand n’adhéreront-ils pas
à moi, avec tous les signes que j'ai faits en son sein ?
». D'autres, par contre, expriment leur louange et leur reconnaissance
pour toutes ses merveilles : « Je te rends grâces, Yahvé,
de tout mon cœur, je raconterai tes merveilles » (Psaume
9, 2).
« Je te célèbre, parce qu'en prodiges je suis
fait de merveilles. Merveilleuses sont tes oeuvres ; mon être
le pénètre bien ». (Psaume 139, 14).
Le verset 5 du Psaume 145 apparaît riche d'un enseignement
que la presque totalité de nos versions ne traduisent pas,
influencées par le texte de la LXX ou de la Vulgate, sans
doute fondé sur un texte hébreu différent.
Fait exceptionnel, 24 versions nous en donnent des interprétations
quelque peu différentes les unes des autres.
Seul A. Chouraqui conserve le mot à mot de l’hébreu
:
« Magnificence et gloire de ta majesté ! Je m’extasie
aux paroles de tes merveilles ».
Plutôt que « Je m’extasie », on peut préférer,
avec plusieurs spécialistes : « Je médite »,
traduction que l’on trouve dans la Colombe et la Synodale.
Comprise ainsi, on retrouve dans cette confession le lien profond
existant entre les « merveilles » de Yahvé et
la « Parole » qu’Il veut nous faire entendre à
travers les signes qu’Il nous donne de sa puissance ou de sa
grâce, et sur lesquels il est bon que nous méditions.
Au lieu de « Je raconterai », « Je chanterai »,
« Je répèterai » ou « Je discourrai
» sur les merveilles de Dieu, le Psalmiste médite la
Parole qu’il perçoit dans ces merveilles. Dans l’agitation
de notre monde, le Psalmiste nous invite à prendre du temps
afin de discerner les merveilles de Dieu et de méditer sur
la Parole que les signes véhiculent, et afin de saisir à
travers eux la Gloire et la toute Puissance du Créateur.
Thaumasios a été utilisé pour traduire une
fois les mots ‘OT (Nombres 4, 11) ; TéMaH (Habacuc 1,
5) ; et en particulier MoRa’, dans le texte qui conclut le
Deutéronome : « Il ne s’est plus levé de
prophète en Israël semblable à Moïse, lui
que le Seigneur connut face à face, avec tous les signes
et les prodiges que le Seigneur l’avait envoyé faire
au pays d’Égypte à l’égard de Pharaon,
de ses serviteurs et de tout son pays, les grandes merveilles et
la main puissante, ce que Moïse fit en face de tout Israël
» (34, 10-12 ; traduction Bible d’Alexandrie).
D’autres termes grecs ont servi à traduire certains
mots hébreux que nous avons cités, par exemple : Phobos
; Endoxos ; Ergon ou Paradoxos, mais ils ne semblent pas apporter
d’éléments importants à la notion de «
signe ».
D’ailleurs, il apparaît bien difficile d’épuiser
la richesse de ce mot qui a été particulièrement
négligé par les théologiens. Pour preuve, ces
quelques 45 mots ou expressions utilisés en français
pour traduire ces uniques ‘OT hébreu, Sêmeion
grec et Signum latin !
-Approfondissement
Essayons cependant d'approfondir cette intuition et cette réflexion
spirituelles d'Israël exprimées par ce mot de «
signe ».
-De quatre « signes »
« Signe » premier : « les Luminaires des Ciels
», destinés à être des signes rythmant
le travail, le repos et le bonheur des humains. Ils sont donnés
en signes pour nos fêtes, nos assemblées, nos jours
et nos années. Ils ne sont, en rien, des signes déterminant
notre destin comme tant d’hommes et de femmes le pensent encore
aujourd’hui, pour le plus grand profit de ceux qui exploitent
ce petit commerce lucratif. Il est évident que cette recherche
astrologique a existé de tout temps, comme le montrent les
exhortations de Moïse à son Peuple, libéré
de l’esclavage égyptien : « rappelez-vous bien,
votre vie en dépend ! Non, vous n’avez pas vu la moindre
image le jour où, au milieu du feu, Yahvé vous a parlé
à Horeb… vous vous perdriez si, levant les yeux vers
le ciel et contemplant soleil, lune, étoiles et toute la
milice des ciels, tu t’égarais jusqu’à t’aplatir
devant eux et à les servir, eux que Yahvé a donnés
en partage à tous les peuples sous les cieux » (Deutéronome
4, 15-19).
L’accent est mis sur l’écoute de la Parole qui,
seule, peut nous écarter de l’asservissement aux éléments
de la Création.
Cette mise en garde se retrouve dans la complainte d’Ésaïe
sur Babylone : « Qu’ils se dressent donc et qu’ils
te sauvent, ceux qui divisent le ciel, ceux qui observent les étoiles
et font connaître, chaque lune, ce qui doit t’arriver.
Voici, ils seront comme de la paille et un feu les brûlera
» (Ésaïe 47, 13).
« Les cieux racontent la Gloire de Dieu et le firmament rapporte
l’œuvre de ses mains » (Psaume 19, 2). Ils sont
autant de signes qui nous signifient sa Toute Puissance et nous
« parlent, sans dire et sans parole », de son Amour
pour nous.
Mais l’homme en dévie la signification ou n'en tient
aucun compte.
Le second signe concerne Caïn et sa descendance. Afin d’empêcher
la spirale meurtrière de la vengeance, « Yahvé
met un signe sur Caïn pour que quiconque le rencontre ne le
frappe pas ».
On ne sait rien de ce signe, mais il devait être reconnaissable
et assez dissuasif pour arrêter le bras d’un «
vengeur du sang », sinon Caïn aurait été
vengé sept fois.
Ce signe sauvegarde donc la vie qui appartient à Dieu seul.
Mais cinq générations plus tard, il sera tenu pour
rien par Lémec. Celui-ci prend deux épouses et leur
dit : « Écoutez ma voix ! J’ai tué un homme
pour une blessure, un enfant pour une meurtrissure. Oui, Caïn
sera vengé sept fois, mais Lémec soixante-dix sept
fois » (Genèse 4, 23-24).
Ainsi s’amorcent dans le cœur des hommes la négation
et le rejet des signes que Dieu a tracés pour préserver
leur bonheur. De même aujourd’hui, bien des signes sont
tenus pour rien, comme de « griller » un feu rouge avec
toutes les conséquences que l’on sait.
Le troisième signe est donné aux hommes après
la catastrophe du déluge. Le nom de Noé peut signifier
« celui qui donne du repos » ou « qui console
». Aquila le traduit par le verbe qui donne le nom de «
Paraclet », terme employé dans le Nouveau Testament
pour désigner le Consolateur ou le Saint-Esprit (Jean 14,
16 et 26).
Par l’obéissance de Noé et sa confiance en la
Parole qu’il a perçue, une petite part de la Création
va être sauvée, comme à travers l’eau du
déluge, dans une arche de bois (I Pierre 3,20). En sortant
de cette arche, Noé exprime sa reconnaissance en offrant
un holocauste. Yahvé en perçoit l’odeur apaisante
et dit : « Je ne maudirai plus la glèbe à cause
du glébeux, car les penchants du cœur de l’homme
sont un mal dès sa jeunesse… J’établis mon
alliance avec vous, nulle chair ne périra plus par les eaux
du déluge. Mon arc, à la nuée je l’ai
donné. Il est le signe de l’Alliance entre Moi et la
Terre » (Genèse 8, 21- 9, 17).
Si le troisième signe est donné à la Terre
entière, la quatrième, au contraire, est le signe
de l’Alliance de Dieu avec Abraham et tous les enfants mâles
de sa descendance qui constitueront son Peuple. Vraisemblablement,
d’autres peuples que les sémites pratiquaient la circoncision,
sans doute avant l’Age du bronze, d’où l’utilisation
de silex pour cette opération dont on ne connaît pas
les raisons profondes. L’originalité de ce signe donné
à Abraham vient de ce qu’il est étroitement lié
à la foi du Père des croyants.
En effet, l’ordre de pratiquer la circoncision est donné
à Abraham en « signe d’Alliance » entre
Dieu et Abraham et toute sa descendance, avant même l’annonce
de la naissance d’un fils dont le nom sera Isaac, c'est-à-dire
« celui dont on rit », de joie pour Abraham, de dérision
pour Sara : « usée comme je suis, aurais-je encore
du plaisir ? Et mon seigneur est si vieux ! ». Yahvé
dit à Abraham : « Pourquoi ce rire de Sara ? »
Mais Sara nie en disant : « Non, je n’ai pas ri ».
« Si, tu as ri ». D’où le nom d’Isaac.
La circoncision sera donc un signe visible, inscrit dans sa chair
et qui scellera la foi d’Abraham en la toute puissance de son
Dieu qui donne la Vie.
Saint Paul, dans sa Lettre aux Romains nous rappelle qu’ «
Abraham espéra contre toute espérance et devint ainsi
le père d’un grand nombre de peuples… Il ne perdit
pas confiance et ne douta pas de la promesse de Dieu » (4,
18-20). « Le signe de la circoncision lui fut donné
comme sceau de la justification reçue par la foi, alors qu’il
était encore incirconcis » (4, 11).
Ainsi les « fils d’Abraham » sont enfants de Dieu,
non par nature, mais seulement par grâce.
La circoncision est le signe visible de cette alliance scellée
dans la foi et signifiée dans la chair.
Il serait injuste de penser que cette lecture du signe de la circoncision
vienne d’une interprétation chrétienne.
Pour Israël, le sens de la circoncision dépasse le cadre
d'un acte de pureté rituelle. L’auteur du Deutéronome
rapporte ces paroles adressées par Moïse à son
Peuple : « Et maintenant, que te demande Yahvé sinon
de frémir de Lui, d'aller sur toutes ses routes, de l'aimer
et de le servir de tout ton coeur et de tout ton être ? Circoncisez
le prépuce de votre coeur et ne durcissez pas votre nuque
» (Deutéronome 10, 12-16).
De même au chapitre 30, 6 ou bien dans Jérémie
4, 4 : « Soyez circoncis pour le Seigneur, ôtez le prépuce
de votre cœur ». Cette image s'applique également
aux oreilles : « Qui écoutera mes paroles ? Hélas
! leur oreille est incirconcise » (Jérémie 6,
10) ; ou bien aux lèvres : Moïse répond à
Yahvé : « Comment Pharaon m'écouterait-il, moi
qui suis incirconcis des lèvres ? » (Exode 6,12) ;
mais également au cœur : « Les jours viennent
où je sanctionnerai quiconque n’est circoncis que dans
la chair. Toutes les nations sont incirconcises, mais pour toute
la maison d'Israël, c'est son coeur qui n'est pas circoncis
» (Jérémie 9, 24-25).
Cette lecture de la réalité profonde de la circoncision
sera reprise par Etienne lors de son témoignage devant le
Sanhédrin : « Nuques raides et incirconcis de cœur
et d'oreilles, vous vous opposez toujours au Saint-Esprit ! Vous
êtes bien comme vos pères » (Actes 7, 51).
Saint Paul développera cette compréhension du signe
à plusieurs reprises. Ce qu'il écrit aux Corinthiens
résume sa pensée : « La circoncision n’est
rien et rien le prépuce. Le tout, c'est d'observer les commandements
de Dieu » (I Corinthiens 7,19).
La circoncision a été donnée comme signe d'une
alliance. Si ce mot d'alliance est issu d'une racine signifiant
« couper », alors cette opération est bien le
signe que celui qui en est l'objet est comme « coupé
» du reste des hommes incirconcis.
On pourrait penser que la circoncision avait un caractère
« définitif et irréversible ».
N'oublions pas que l'Église Chrétienne a de telles
affirmations pour certains de ses sacrements ! Or, d'après
le texte de I Maccabées 1, 15, il semble qu'à la période
d’un hellénisme triomphant « certains juifs bâtirent
à Jérusalem, selon les coutumes païennes, un
« gymnase » (mot dont la racine signifie « être
nu »). Ils se refirent des prépuces, s'éloignèrent
de l'Alliance sainte, s'attachèrent au joug des païens
et se vendirent pour faire le mal ».
Après la libération de l'esclavage, accompagnée
des nombreux signes qui sont évoqués dans le livre
de l'Exode, Yahvé parle à Moïse pour qu'il transmette
ces Paroles à son Peuple :
« Par dessus tout, respectez mes sabbats parce que c'est un
signe entre moi et vous et pour vos générations, pour
qu'on reconnaisse que c'est Moi, Yahvé, celui qui vous «
met à part ». Respectez le sabbat parce qu'il est mis
à part pour vous » (Exode 31, 15 et 16, 23).
On peut se demander quelle lisibilité nous donnons de ce
Signe dans le Monde d'aujourd'hui ?
-D’une brassée de « signes »...
Il en va de même pour certaines paroles de Dieu transmises
à son peuple par la bouche de Moïse : « Écoute
Israël : Yahvé, notre Dieu, est Un. Tu aimeras Yahvé,
ton Dieu, de tout ton coeur, de tout ton être et de toute
ta force. Ces paroles... attache-les en signe sur ta main, elles
seront en diadème entre tes yeux. Ecris-les sur les montants
de porte de ta maison » (cf. la mézuzah que l'on touche
du doigt en entrant ou en sortant).
Les textes écrits sur parchemin sont ceux d'Exode 13, 1-10
; 13, 11-16 ; Deutéronome 6, 4-9 et 11, 13-21).
Pour suivre ces ordonnances à la lettre, les juifs pieux
portent donc, au moment de la prière, ces écrits dans
de petites boîtes fixées sur le front et sur la main
(ce sont les tephillin).
On peut penser que cette pratique prend toute sa signification,
lorsque le fidèle porte un regard d'amour sur son Seigneur
et sur sa création, mais aussi sur son prochain, et que sa
main, ornée du tephillin, accomplit un geste d'amour en s'approchant
de son prochain.
Ceci est tout aussi valable pour nous, chrétiens, avec nos
belles déclarations liturgiques !
Ainsi seulement, la Parole devient un véritable signe d'amour
envers notre Seigneur et envers l'autre, puisque « c'est à
cela que tous reconnaîtront que nous sommes ses disciples
» (Jean 13, 35).
Un événement crucial du ministère d'Ézéchiel
est particulièrement riche d'enseignement. « Parole
de Yahvé : Te voilà dans une maison de révoltés
: ils ont des yeux pour voir : ils ne voient pas ; des oreilles
pour entendre : ils n'entendent pas. Toi, fils de l'homme, prends
ton baluchon de déporté et pars en déportation.
Peut-être vont-ils voir qu'ils sont une bande de révoltés.
Pars sous leurs yeux. Pars dans la nuit, ne regarde pas la terre,
car Je fais de toi un SIGNE pour la maison d'Israël. S'ils
te disent : « que fais-tu ? » dis-leur : « je
suis pour vous un signe. Comme j'ai fait, on vous fera. Ah ! ils
verront que Moi je suis Yahvé, quand je les éparpillerai
à travers la Terre » (Ézéchiel 12, 1-16).
Ézéchiel sort dans la nuit, loin de la Lampe qui veille
dans le Temple.
Ainsi tout ce que fait le prophète devient « signe
», « avertissement » pour le Peuple de Dieu.
Lorsque la Parole s'accomplira, alors le psalmiste pourra dire :
« Nous ne voyons plus nos signes, il n'y a plus de prophète.
Nos adversaires ont remplacé nos signes par leurs signes.
Personne ne sait jusques à quand » (Psaume 74, 4-9).
Citons encore cet événement du ministère d'Ésaïe,
envoyé auprès du roi Achaz alors que Jérusalem
est menacée par ses ennemis. Par la bouche d'Ésaïe,
Yahvé propose au roi de Lui demander un signe montrant que
le salut est possible. Ce signe extraordinaire peut être demandé
soit dans le tréfonds du shéol, soit dans les lieux
élevés…
Mais Achaz rejette cette offre « afin de ne pas tenter Yahvé
» !
Alors Ésaïe annonce à la Maison de David : «
Yahvé Lui-même vous donnera un signe : Voici, la nubile
sera enceinte, elle enfantera un fils, elle criera son nom : «
Emmanuel », c'est-à-dire « Dieu avec nous »
(Ésaïe 7, 10-14).
Quel que soit le contexte historique de cette prophétie,
l’Église l’a reçue comme étant l'annonce
de la venue du Sauveur. Matthieu la cite au début de son
Évangile : 1, 23 ; et Luc s'y réfère en se
fondant sur le texte de la Septante : 1, 26-35.
Et voici : ce sera Noël !
B- Le « signe » dans le Nouveau Testament :
Tout naturellement, nous retrouvons dans le Nouveau Testament,
les 4 mots grecs qui ont servi de bases pour nos recherches dans
l’Ancien Testament :
-Sêmeion
77 occurrences dans le Nouveau Testament.
La diversité des mots employés pour rendre ce nom
grec en français montre à quel point le concept de
« signe » est délaissé par les traducteurs.
Seuls A. Chouraqui, M. Carrez et la Tour de Garde suivent le texte
grec et le traduisent uniquement par « signe ».
Genève, Louvain, Osty, la Pléiade emploient deux ou
trois autres termes.
Dans l'ensemble des traductions consultées, on peut relever
31 noms ou expressions, dont 8 seulement se recoupent avec ceux
utilisés pour l'Ancien Testament. Cela donne donc un total
de 78 interprétations d'un mot uniquement traduit par «
signe » dans certaines versions !
Dans la récente traduction en Français fondamental,
« signe » est rendu plusieurs fois par « chose
», mot employé pour tout et n'importe quoi afin de
pallier notre ignorance ou nos défauts de mémoire
! Mieux vaut suivre l'adage qui veut que « l'on appelle les
choses par leur nom », et cela, d'autant plus , lorsqu'on
est en présence d'un mot aussi important que celui de signe.
En effet, pour certains auteurs actuels « tout est signe ».
Rien n'est donc plus fondamental que ce mot.
- Dunamis
119 occurrences dans le Nouveau Testament.
Ce mot est traduit de diverses manières : dans 25 de nos
versions, la traduction la plus courante est « miracle ».
Dans les versions anciennes (Calvin, Genève, Louvain), on
utilisait le mot « vertu » d’après le latin
virtus. Ce nom avait, à l’époque, le sens de
« pouvoir, puissance » ou « pouvoir miraculeux
», sens conservé jusqu’au XVII°s., avant de
prendre presque uniquement celui de « force morale ».
Parmi les traductions plus récentes, seule celle d’André
Chouraqui n’emploie jamais le mot « miracle ».
Bayard semble également éviter l’emploi de ce
terme ; malheureusement, il apparaît deux fois, dans Galates
3, 5 et Hébreux 2, 4.
Parallèlement à « vertu » et « miracle
», on trouve dans les diverses traductions : « puissance
; faits puissants ; actes ou œuvre de puissance ; toute puissance
; diverses puissances ; dynamisme ; prodige ; dons miraculeux ;
miracle peu banal ; capacités ; actions d’éclat
; gestes éclatants ; moyens ; forces ; violences »
!
Il conviendrait de comprendre que, dans l’Écriture,
Dunamis exprime « la manifestation de la puissance de Dieu
au vu de laquelle nous sommes appelés à prendre position
».
En effet, cette manifestation suscite toujours une réaction
positive ou négative, parfois une interrogation (Matthieu
13, 54 ; Marc 6, 2) ; souvent une incompréhension ou un refus
(Matthieu 11, 20-23) ; une louange (Luc 19, 37), de l’émerveillement
(Matthieu 9, 33) ou de la stupéfaction (Actes 8, 13). Ils
peuvent être aussi des signes visibles authentifiant le message
de l’Évangile (Actes 2, 22 ; Romains 15, 19 ; I Corinthiens
12, 10, 28, 29 ; II Corinthiens 12, 12 ; Galates 3, 5), voire même
les signes et les prodiges trompeurs de l’accusateur ! (II
Thessaloniciens 2, 9).
-Téras
Comme signalé dans l’Ancien Testament, ce mot est employé
également 16 fois dans le Nouveau Testament et uniquement
en association avec le mot « signe », tous deux toujours
au pluriel ! Ce couple est employé trois fois dans les Évangiles
: Matthieu 24, 24 ; Marc 13, 22, à propos des faux prophètes,
et Jean 4, 48, dans ce reproche de Jésus : « Si vous
ne voyez signes et prodiges, vous ne ferez donc jamais confiance
! ».
On peut s’interroger sur la signification particulière
de ce couple. Une indication nous est peut-être fournie par
Luc, dans Actes 2, 19 : « Je donnerai des prodiges en haut
dans le Ciel et des signes en bas sur la Terre ». Ce que semble
confirmer ces définitions données pour ces deux termes
:
« Téras : signe envoyé par les dieux ; signe
extraordinaire ; présage effrayant ; prodige ».
« Sêmeion : marque par quoi on reconnaît quelqu’un
ou quelque chose, borne ou signal ».
Le premier terme se rapporterait plus spécialement aux signes
venant du Ciel, et le second aux signes d'origine terrestre. Dans
Actes 2, 22, Romains 15, 19, II Corinthiens 12, 12 et Hébreux
2, 4, les auteurs ajoutent à ces deux mots celui de Dunamis,
ce qui les associe, de façon plus précise, à
une manifestation de la puissance de Dieu.
Toutefois, dans II Thessaloniciens 2, 9, il s'agit de l'oeuvre de
l'Adversaire, mais ce n'est là que du « pseudo »,
du mensonge, de la tromperie, d'où la nécessité,
pour chacun, de faire preuve de discernement spirituel !
- Thaumasios
1 seule occurrence dans Matthieu 21, 15, traduit en latin par mirabilia,
et rendu en hébreu par la racine PL’ : « les grands
prêtres et les scribes s’irritent en voyant les choses
merveilleuses accomplies par Jésus dans le Temple »
après son entrée triomphale dans Jérusalem
au jour des Rameaux. On retrouve donc ici la même incompréhension
de certains Israélites à la vue des « merveilles
de Dieu » (Psaume 78, 11).
L’adjectif thaumastos apparaît 6 fois dans le N.T. et
le substantif thauma 2 fois (II Corinthiens 11, 14 et Apocalypse
17, 6). Par contre on trouve 42 occurrences pour le verbe que l’on
interprète à égalité soit par «
s’étonner, être surpris », soit par «
admirer, s’émerveiller ».
-Approfondissement :
-Le mot « signe » lié à la personne de
Jésus
La première mention du mot « signe », abondamment
évoquée dans nos célébrations de Noël,
se trouve au coeur de l'annonce faite aux bergers : « Joseph
monte à Bethléhem pour se faire recenser avec Marie,
sa fiancée qui était enceinte. Pendant qu'ils étaient
là… elle accoucha de son fils premier-né, elle
l'emmaillota et le coucha dans une mangeoire, parce qu'il n'y avait
pas de place pour eux dans la kataluma (« la salle, le gîte
») »(Luc 2, 4-7).
Le messager s'adresse alors aux bergers et leur dit : « Ne
craignez pas car voici, je vous évangélise une grande
joie qui sera pour tout le peuple. Aujourd'hui, dans la ville de
David, il est né, pour vous, un Sauveur, qui est le Christ
Seigneur. Et voici pour vous, le SIGNE : vous trouverez un nouveau-né,
emmailloté et couché dans une mangeoire…Ils y
allèrent en hâte et découvrirent Marie, Joseph
et le nouveau-né couché dans une mangeoire »
(Luc 2, 9-16).
On peut penser que tout a été dit à propos
de ce « signe » qu'il nous faut trouver et même
« découvrir » : l’abaissement du Seigneur,
son humilité, son dénuement et son rejet par les siens
puisqu'il n'y a pas de place pour ce Fils de David dans la kataluma
de Bethléhem.
Mais si on étudie attentivement chacun des termes employés
par Luc, il semble bien que pour lui, chaque détail ou chaque
mot devienne un élément essentiel de la plénitude
du « signe » lui-même.
1- la kataluma :
Ce nom est issu d'un verbe signifiant « délier, détacher,
dételer », dont la racine est luô, verbe bien
connu de tous ceux qui commencent le grec !
La kataluma est en particulier le lieu où l'on délie
son attelage, où l'on détache les bagages, d'où
la traduction par « caravansérail » (H. Pernot).
Le choix de ce nom par Luc n'est pas étranger à son
emploi dans la Septante où il est utilisé onze fois
et où il sert à traduire six termes hébreux
:
1- 'oHêL : tente, demeure, Temple de Jérusalem (Ézéchiel
41, 1).
2- LiCheKaH : chambre, salle, chambre du Temple ou du Trésor.
3- MaLON : auberge, là où l'on passe la nuit.
4- MiCheKaN : demeure, tente, tabernacle.
5- NaVêH : demeure.
6- SoQ : tente, tanière, tabernacle.
Les traducteurs du Nouveau Testament en hébreu ont choisi
MaLON.
Kataluma est employé lors d'événements spirituellement
importants de l'histoire du
Peuple de Dieu :
1- Exode 4, 24, (en hébreu : MaLON). Kataluma y désigne
le lieu d'une mystérieuse rencontre entre Moïse et Yahvé.
Moïse retourne vers l'Égypte pour délivrer ses
frères de leur esclavage. Arrivé à un lieu
de repos, il se sent menacé de mort par Yahvé, ou
par son envoyé, selon quelques textes. Séphora prend
un silex et tranche le prépuce de son fils et en touche les
pieds de Moïse (euphémisme pour certains commentateurs
!). Puis elle dit à Moïse : « Tu es pour moi un
époux de sang ». La Septante suit une autre leçon
: « Le sang de la circoncision s'est arrêté ».
On a pu voir dans cette parole une annonce de la circoncision de
Jésus qui devait mettre fin à ce rite sanglant pour
qu’elle devienne la circoncision du coeur, comme l'a pensé
Paul : Romains 3, 29 ; I Corinthiens 7, 19 ; Galates 5, 6 ; Colossiens
2, 11-13.
2- Exode 15, 13, (en hébreu : NaVêH). Après
le passage de la Mer des Joncs, Moïse chante la gloire de Yahvé
: « Tu conduis, par ta grâce, ce Peuple que tu t'es
racheté, « vers l'oasis de ton sanctuaire » (A.Chouraqui),
« vers Ta Demeure » ou « vers Ton Temple ».
3- I Samuel 9, 22, (en hébreu : LiCHeKaN). Lorsque Samuel
reconnaît en Saul celui dont Yahvé lui a annoncé
la venue en tant que futur roi et sauveur de son peuple, «
il le fait entrer dans la "salle", le place en tête
des invités et lui fait servir le meilleur morceau ».
Cette traduction par "salle" a influencé celle
de Luc 2, 7. Heureusement qu’il n’y avait pas de place
pour Marie, sinon Jésus serait né dans une auberge
qui n'aurait reçu qu'une seule étoile !
4- II Samuel 7, 6, (en hébreu : 'oHêL). David s'est
fait construire un beau palais. Mais l'Arche de l'Alliance se trouve
toujours déposée sous une tente, sans doute assez
vétuste ! C'est pourquoi le jeune roi voudrait bâtir
un Temple digne de la gloire de Yahvé. Finalement, par l'intermédiaire
de Nathan, Yahvé lui fait savoir qu'Il refuse une telle construction
faite de main d'homme : « Jusqu'à ce jour, je suis
allé avec tous les enfants d'Israël dans une tente "pour
kataluma" ». On rapproche ce texte de celui de Jean 1,
14 : « Le Logos est devenu chair et il a dressé sa
tente parmi nous ».
5- I Chroniques 17, 5, (en hébreu : MiChaKaN). Texte parallèle
du précédent.
6- Jérémie 14, 8, (en hébreu : MaLON). «
Espoir d'Israël, son sauveur dans la détresse, pourquoi
es-tu comme un métèque sur la terre, comme un hôte
qui se détourne vers une kataluma ? Pourquoi es-tu comme
un héros qui ne peut sauver ? »
7- Jérémie 25, 32-38, (en hébreu : SoQ). La
terre est dévastée. Dans son ardente colère,(Yahvé
?) abandonne cette terre désolée, « comme un
lion quitte sa tanière ».
8-Jérémie 33, 12, (en hébreu : NaVeH). Pourtant
l’espérance n’est pas morte : « il y aura
encore ‘’une oasis’’ pour les bergers qui feront
reposer leurs troupeaux ».
Chacun de ces six noms hébreux, traduits en grec par kataluma,
est donc mis en liaison étroite avec la circoncision, la
royauté, le Sauveur, la tente ou le tabernacle, le temple,
la présence ou l’absence de Yahvé au milieu de
son Peuple.
Mais voici, dans cet ensemble de kataluma, il n'y a pas de place
pour l'enfant qui va naître. C’est sans doute exact si
ce soir là, à Bethléhem, tous les descendants
de David étaient revenus dans cette « Maison du Pain
» afin de se faire inscrire !
Toutefois, il aurait pu assurément y avoir de la place dans
cette kataluma si les gens qui la remplissaient avaient eu un peu
d’amour pour « faire de la place » afin d’accueillir
la mère et cet enfant, Lui le Pain vivant venu du Ciel (Jean
6, 32-58) !
Cela fait partie du « signe » : il n’y aura pas
de place pour le Sauveur qui vient de naître, dans tous les
lieux de repos, là où l’on peut déposer,
pour un temps, une charge trop lourde.
« Le Fils de l'homme n'a pas où poser sa tête
! » (Luc 9, 58). C'est pourquoi Marie le déposa (même
racine) dans une mangeoire ou une crèche destinée
aux agneaux venant de naître.
Pas de place pour cette Parole faite chair.
Pas de place pour le Messie, pour le Christ.
Pas de place pour le Sauveur promis.
Pas de place pour le Roi.
Pas de place pour Celui qui vient au nom du Seigneur…
On notera que, dans l’Évangile, kataluma désigne
aussi « la Chambre Haute » dans laquelle Jésus
mangera la Pâque avec ses disciples (Luc 22, 11 ; Marc 14,
14).
2- « Vous trouverez un nouveau-né emmailloté
»…
« Marie l’emmaillota… »
C’est le seul emploi de ce verbe dans le Nouveau Testament.
Ce pourrait être, pour Luc, une réminiscence d’une
parole concernant la « naissance » de Jérusalem
: « Le jour où tu as été enfantée,
ton cordon n’a pas été tranché (en hébreu,
ce verbe est employé pour parler d’une alliance : on
tranche une alliance : Genèse 15, 18). Tu n’as pas été
baignée à l’eau pour être purifiée
; de sel, tu n’as pas été salée ; de langes,
tu n’as pas été « emmaillotée ».
Nul œil ne s’est apitoyé sur toi. Par dégoût
de ton être, tu as été jetée sur les
faces du champ le jour où tu as été enfantée.
Mais je suis passée près de toi, je t’ai vu baignant
dans ton sang. Je t’ai dit : Vis dans ton sang ! » (Ézéchiel
16, 4-6).
Le nom de Jérusalem pourrait signifier : « Ville ou
Fondation de la Paix ». Le Psalmiste invite les pèlerins
à « demander la Paix de Jérusalem » (122,
6). Le Messie promis, l’Enfant qui doit naître, le Fils
qui nous est donné, est appelé « Prince de la
Paix » (Ésaïe 9, 1-6).
« Voici pour vous le signe : Vous trouverez un nouveau-né
posé dans une mangeoire ». « Voici le signe…
» est une expression consacrée. Par exemple : I Samuel
10, 1 : « Et voici, pour toi, le signe que Yahvé t’a
oint comme chef de son héritage : Tu trouveras… »
Dans la Septante et dans la Vulgate, on trouve ce même verbe
qu’en Luc 2, 12.
Pour Luc, il est possible que le verbe « poser » fasse
partie du « signe ». Marie a couché (anaclinô)
son enfant dans la mangeoire, selon l’annonce des messagers.
Pour ces deux textes, Luc emploie le verbe keimai, qu’on retrouvera
dans le récit de la Présentation : « Celui qui
est posé là… sera un signe contredit »
(Luc 2, 34).
-Présentation d’un « signe contredit »
Même si ce rite est toujours pratiqué à la
Synagogue, puisqu'il n'y a plus ni Tente ni Temple depuis 70 ap.
J.C., le récit de la Présentation de Jésus
est généralement peu étudié par les
commentateurs. Certes, on y rencontre certaines difficultés
non élucidées, mais il contient toute une richesse
dont nous pouvons tirer un profit spirituel. Si l'on prête
attention à l'ensemble des mots choisis par Luc dans ce passage,
on découvre qu'ils sont porteurs de sens pour la pensée
juive et celle de l'Église.
1-la Présentation de Jésus :
-v.21 : « Quand huit jours furent accomplis, il fut circoncis
(signe de l'Alliance scellée entre Dieu et le Peuple qu'il
s'est choisi : Genèse 17, 11) ; alors fut appelé son
nom : Jésus » (en hébreu : Iéshoua, «
Yahvé sauve »).
La racine du verbe « appeler » (2 fois dans le v.21,
une fois en 23) donne plusieurs termes que l'on traduit en français
par « consolateur, consolation » (celle attendue par
Syméon v.25), « Paraclet », nom donné
au Saint-Esprit, « Ecclésia », c'est-à-dire
l'Église, ou encore le mot «vocation ».
-v. 22-23 : « Quand furent remplis les jours de la purification
d'eux… (de qui s'agit-il ? Il semble que les spécialistes
ne soient pas d'accord entre eux !), Joseph et Marie le montèrent
à Jérusalem pour le présenter au Seigneur,
comme il est écrit dans la Torah du Seigneur :
Tout mâle premier-né sera appelé ‘’Mis
à part’’ pour le Seigneur, et pour donner en sacrifice,
selon la Torah, un couple de tourterelles ou deux petits de colombes
».
De façon manifeste, Marie offre donc le sacrifice des pauvres
(Lévitique 5, 7).
En effet, la Loi (Lévitique 12, 6-8) impose à la mère
d'apporter au prêtre, à l'entrée de la Tente,
« un agneau d'un an pour l'holocauste et une colombe pour
la faute ».
Pour quelle raison cet « holocauste »? On a avancé
l'idée d'un sacrifice de substitution, mais il ne s'agit
pas ici de l'enfant.
Le sacrifice « pour la faute » : quelle faute ? On parle
de sacrifice de purification à cause du sang versé,
mais cela correspondrait à une impureté et non pas
à une faute !
Là encore, pas de réponse.
« Toutefois, si la mère ne trouvait pas dans sa main
pour un agneau, elle prend deux tourterelles ou deux petites colombes
». Marie n'a pas trouvé dans sa main de quoi offrir
un agneau en holocauste, et pourtant elle va offrir au Seigneur
« l'Agneau qui ôte la faute du Monde » !
En ce qui concerne l'enfant, en tant que premier-né, il appartient
à Dieu, en souvenir de la libération du peuple d'Israël
de son esclavage en Égypte. En effet, lors de cette première
Pâque, les Hébreux, réduits en esclavage, ont
mangé debout, -les reins ceints et le bâton à
la main (prêts pour le départ ! )-, l'agneau, les herbes
amères, et le pain sans levain. Le levain provenant d'une
part prélevée sur la pâte précédente
et que l'on a laissée fermenter pour la mélanger à
la suivante, ce pain sans levain « signifie » donc une
rupture totale entre le pain quotidien du temps de l'esclavage et
un pain nouveau, sans lien avec le passé, un pain pur, le
pain d'une vie nouvelle, libérée de sa condition d'esclave.
Au cours de cette nuit tous les premiers-nés des Égyptiens
meurent, même celui du Pharaon. Celui-ci cède enfin
à la demande de Moïse et libère le peuple d'Israël.
Chaque famille sort alors de sa maison par la porte dont les bois
ont été marqués avec le sang de l'agneau. En
franchissant cette « porte », ils sont ainsi «
affranchis », libérés et mis en marche vers
la Terre Promise. Or tous les premiers-nés d’Israël
ont été épargnés. En souvenir de cette
grâce, chaque premier-né sera reconnu par son père
comme appartenant à Dieu, ce sera pour lui « en signe
sur sa main et en diadème entre ses yeux que, à force
de main, Yahvé nous a fait sortir d'Égypte ».
(Exode 13, 16).
Toutefois, lors de la présentation, le père pourra
racheter ce premier-né.
La liturgie actuelle, utilisée depuis le Moyen Age à
la Synagogue, dit ceci : « Le 31° jour de la naissance,
le père déclare à l'Officiant que cet enfant
est le fils premier-né de sa mère et qu'il est donc
tenu de le racheter. Puis il récite les versets de Nombres
18, 16 et Exode 13, 1.
L'Officiant se tourne vers le père pour lui demander s'il
préfère lui donner son fils ou bien le racheter pour
la somme de cinq sicles. Le père répond qu'il veut
racheter son fils et lui tend les cinq sicles (Nombres 18, 15-16).
Puis il récite les bénédictions ».
Dans le texte de Luc, qui n'était pas juif, il semble qu'il
y ait eu, au fil des temps, une certaine assimilation des deux rites
: purification de la mère et présentation-rachat du
premier-né.
Ainsi Joseph et Marie « montèrent » l'enfant
à Jérusalem pour le présenter au Seigneur.
II faut renoncer à donner l'ensemble des significations de
ce verbe « monter » dans l'Ancien Testament. Pensons
simplement à ces quinze Psaumes dits « des Montées
». Pour moi, ils ont un lien direct avec les quinze marches
que j'ai comptées en les montant, qui mènent de l'esplanade
au parvis où devait se trouver le Temple. L'Islam a conservé
ces quinze marches. Pourquoi 15 ? En hébreu les nombres s'écrivent
avec des lettres. 15 devrait être normalement noté
: YaH, c'est-à-dire Yahvé, comme dans Allélu-ia
! Or ce nom ne se prononce jamais et les scribes ne l'écrivent
qu'en prenant d'impératives précautions. L'écrire
pour un usage ordinaire serait un blasphème, aussi emploie-t-on
les lettres qui donnent : « 9 plus 6 » = 15 !
Joseph et Marie en montant ces quinze marches ont pu se redire ces
quinze psaumes qui expriment toute une montée spirituelle
allant de la détresse du psaume 120 à l'allégresse
et à la bénédiction de Yahvé du psaume
134. Là, devant la maison de Yahvé, ils ont présenté
Jésus au Seigneur.
En hébreu comme en grec, ce verbe « présenter
» a un sens profane et un sens spirituel, par exemple : «
En ce temps-là Yahvé sépare le rameau de Lévi
pour porter le coffre de l'Alliance et "se tenir" face
à Yahvé pour officier et bénir son Nom jusqu'à
ce jour » (Deut.l0, 8).
2- Jésus « posé là…en signe contredit
»
Or, au même moment, survient Syméon. Il attendait «
la consolation » promise à Israël, la «
paraklèsis », par exemple Ésaïe 61,1-2.
« II avait été averti par l'Esprit ».
Ce verbe est employé dans la LXX, uniquement dans le livre
de Jérémie où il traduit 6 fois le verbe «
parler » et 2 fois le verbe « rugir ». Il lui
a été dit « qu'il ne verrait pas la mort avant
d'avoir vu le Messie du Seigneur ». Il vient, par l'Esprit,
dans le Temple, et, lorsque ses parents introduisent Jésus,
il le reçoit dans ses bras et bénit Dieu ».
L'Évangile du Pseudo-Matthieu note « qu'il le prend
dans son manteau », le pallium, manteau qui recouvrait ses
bras et que portaient les prophètes. On se souvient, par
exemple, du manteau que portait Élie et qu'il laissa tomber
au moment de son élévation. Élisée le
relève et ce manteau va devenir pour lui et pour les prophètes
de Jéricho le signe que l'Esprit d'Élie repose désormais
sur Élisée (II Rois 2, 13-15).
Quel que soit le statut de Syméon, plusieurs hypothèses
sont proposées. Il prononce des paroles qui sont celles d'un
prophète animé par l'Esprit. En totale opposition
avec toute la pompe qui déroulait ses fastes dans le Temple
avec tous ces sacrifices et ces offrandes déposés
avec ostentation, comme le remarquera Jésus (Luc 21, 1-4),
c'est dans cette humble présentation liée à
des sacrifices de pauvres que Syméon contemple l'accomplissement
de la promesse de Dieu : « Maintenant, Maître, tu délies
ton esclave en Paix, car mes yeux ont vu ton Salut que Tu as préparé,
face à tous les peuples, Lumière pour la révélation
aux Nations et gloire de ton Peuple, Israël », paroles
qu'on peut rapprocher de celles d'Ésaïe 52, 10.
Et pourtant il doit encore délivrer une dernière Parole
qui, elle, se rattache à la prophétie d'Ésaïe
53 :
« Celui-ci est posé là pour la chute et la résurrection
de beaucoup, et en signe contredit ».
« Posé là » : dans les représentations
iconographiques anciennes, Jésus est posé sur l’autel,
mais parfois, il est debout, peut-être en rappel du dernier
Psaume des montées.
« Posé », ce participe est laissé de côté
dans une dizaine de traductions. D’autres le traduisent par
« établi », « mis » ou « placé
», ou proposent une interprétation personnelle : «
est là », « est destiné », «
doit amener », « provoquera », « pour causer
» ou encore « destiné à être une
cause ».
Une seule version traduit par « posé » (Tour
de Garde) et une par « couché » (H. Pernot).
Or il semble que les traducteurs du Nouveau Testament en hébreu
font une tout autre lecture de cette parole de Syméon. En
effet, ils traduisent : « Voici celui-ci en fondement pour
la chute et le relèvement de beaucoup en Israël, en
signe de querelle ».
« Fondement » vient du verbe IaSaD qui a une très
grande importance dans l’A.T.
Par exemple : « Ma main a fondé la Terre, dit Yahvé
» (Ésaïe 48, 13) ou bien « sa voûte
» (Amos 9, 6). Mais aussi : « Yahvé a fondé
son Sanctuaire » (Psaume 78, 69 ; I Rois 5, 31 ; Zacharie
4, 9).
On retiendra en particulier cette annonce transmise par Ésaïe
28, 16 : « Voici, Je fonde en Sion une pierre, une pierre
éprouvée, une pierre d’angle, précieuse,
fondée en fondement ; le confiant en elle (qui mettra sa
foi en elle : Nlle Segond) ne sera pas impatient ».
Syméon a attendu, avec une longue patience, et voici, en
ce jour qui lui est donné, il contemple cette Pierre de ses
yeux et il voit le Salut que le Seigneur a préparé
pour ce monde.
Cette Pierre de fondation va cependant provoquer la chute de certains
en Israël.
La chute se dit en grec ptôsis, 20 occurrences dans la LXX,
2 occ. dans le N.T. : « L’homme insensé qui n’écoute
pas et ne réalise pas la Parole, bâtit sa maison sur
le sable. Dans l’épreuve, celle-ci chute et sa chute
est grande » (Matthieu 7, 27).
Chute, mais aussi le relèvement ou la résurrection
: anastasis. On trouve 6 occurrences de ce nom dans la LXX où
il traduit 2 fois la racine Qoum, que l’on connaît bien
par la parole adressée par Jésus à la jeune
fille : « Talitha qoumi ».
Par contre, on trouve 42 occurrences d’anastasis dans le N.T.
où il est traduit 41 fois par « résurrection
» dans l’ensemble des versions, et une seule fois par
« relèvement », justement pour cette parole de
Syméon. Seules Louvain, Sacy, Crampon le traduisent ici par
« résurrection » ; la Nouvelle Segond l’indique
en note.
Le professeur Vischer proposait au sujet d’Abraham une réflexion
qui éclaire ce que dit Syméon : « Abraham n’était
pas le père de personnalités bien-pensantes, mais
le père de ceux qui tombent toujours et toujours sont relevés
par Celui qui, seul, est bon pour juger et relever » (p.171).
On peut rapprocher cette idée de plusieurs textes de l’A.T.,
par exemple le Psaume 37, 24 : « S’il tombe, il n’est
pas terrassé, car Yahvé soutient sa main »,
ou bien Psaume 145, 14 ; Jérémie 8, 4 ; Michée
7, 8.
Cette contemplation de Jésus « posé là
» comme le fondement du salut et d’une vie nouvelle permet
de rapprocher ce texte de celui de Romains 9, 33 : « Voici,
je pose en Sion une pierre d’achoppement, un roc qui fait tomber.
Mais l’ayant foi en lui ne sera pas confus ».
De même pour Pierre, « la pierre qu’ont rejetée
les bâtisseurs, celle-là est devenue tête d’angle,
pierre d’achoppement et roc qui fait tomber (scandale). Ceux
qui ne font pas confiance à la Parole se heurtent à
ce roc sur lequel, pourtant, eux aussi ont été posés
(ou fondés) » (I Pierre 2, 7-8). Pierre emploie ici
le même verbe qu’au verset 6 : « Voici je pose
en Sion une pierre… »
L’ensemble des versions donne une interprétation bien
différente : « refusant d'obéir à la
Parole, ils s'y heurtent, c'est aussi à cela qu’ils
étaient destinés ».
Compris ainsi, Yahvé se serait choisi un Peuple destiné
à ne pas entendre Sa Parole !
On remarquera que Calvin, le tenant de la double prédestination,
considérait ces deux interprétations comme possibles.
A. Chouraqui traduit ainsi : « les non-adhérents…
se heurtent à la Parole et désobéissent à
ce pour quoi ils étaient établis ».
Pour Syméon, cet enfant « posé là »
deviendra un Roc sur lequel s'édifiera notre vie véritable,
mourant avec Lui pour ressusciter avec Lui (Colossiens 2, 6 -3,
4).
Jésus nous est donné pour « signe », mais
ce signe sera un « signe contredit » : antilégoménon,
participe passif d'un verbe dont la racine est légô
qui donne également Logos, « la Parole ».
« Contredit », et non pas « contredisant »
ou « de contradiction », selon la plupart des traductions,
car l'attention se porte alors sur la nature de cette contradiction.
Or elle doit se concentrer sur le signe lui-même, cet enfant
qui nous est donné, Parole faite chair pour Jean, mais «
Parole contredite ».
Plusieurs versions traduisent les 4 mots du texte par des phrases
de 10 ou 11 mots...
Quatre seulement respectent le participe passif (TOB, Bayard, Pernot,
L'Eplattenier).
On trouve 11 occurrences de ce verbe « contredire »
dans le N.T. Par exemple : « Les Sadducéens contredisant
la résurrection... » (Luc 20, 27). Les Juifs disent
à Ponce Pilate : « Si tu relâches Jésus,
tu n'es pas l'ami de César, car quiconque se fait lui-même
roi, contredit César qui se déclare être l’unique
secours » (Jean 19, 12). « Les Juifs contredisent les
choses dites par Paul , en blasphémant » (Actes 13,
45). Ce que l'Apôtre confirme dans sa Lettre aux Romains en
citant Ésaïe : « Tout le jour j'ai tendu mes mains
vers un peuple désobéissant et contredisant »
(Romains 12, 21, d'après la LXX). A Rome, les Juifs disent
à Paul : « Nous jugeons bon d'entendre de toi ce que
tu penses de cette secte connue de nous, qui, partout, est contredite
» (Actes 28, 22).
Si l'on reprend l'image de la signalisation routière, chaque
signe est porteur d'une parole. Parfois celle-ci est même
précisée, par exemple pour le « Stop ».
Si je suis attentif, en voyant le signe, « j'entends »
ce qu'il a mission de me transmettre. Si c'est un « stop »,
je m'arrête. Mais si je n’écoute que moi-même,
alors je contredis ce signe et je passe outre.
Une parole vitale, pour moi et les autres, m’a été
dite par le signe : je l'ai contredit en faisant le contraire.
Ainsi de Jésus, la Parole incarnée, posé dans
le Temple, il sera un signe contredit par certains et ce sera leur
chute, ou reçu par d'autres et ce sera leur résurrection
en nouveauté de vie (Romains 6, 4 et ss).
Selon cette parole de Syméon, tout au long de son ministère,
Jésus sera contredit dans les signes qu'il donnera de sa
messianité. S'il déclare au paralytique : «
tes fautes ont été remises », aussitôt
les tenants de la Loi disent : « Qui est celui-ci qui profère
des blasphèmes ? Qui a pouvoir de remettre les fautes sinon
Dieu seul ? ». Connaissant leurs débats, Jésus
leur demande « quel est le plus facile, dire au paralytique
: Tes fautes ont été remises, ou bien : Lève-toi
et marche ?... Jésus dit au paralytique : Lève-toi
; aussitôt, se levant (même racine que anastasis) et
prenant ce sur quoi il était couché (verbe dont la
racine est keimai), il partit vers sa maison en glorifiant Dieu
» (Luc 5, 18-26).
Si Jésus rend la vue à un aveugle-né, afin
de manifester en lui les œuvres de Dieu et signifier qu'Il
est bien la Lumière qui, venant dans le Monde, éclaire
tout homme, certains Pharisiens se demandent : « comment un
homme fautif peut-il faire de tels signes ? », alors que s'accomplit,
sous leurs yeux, la promesse transmise par les Prophètes
: « Moi, Yahvé, je t'ai appelé, je te donne
en Lumière pour les Nations, pour ouvrir les yeux des aveugles
» (Ésaïe 29, 18 ; 35, 5 ; 42, 7 ; Jean 9, 16).
Lorsqu'il guérit un sourd-muet, manifestant ainsi le salut
promis : « Lui-même vient, Il vous sauve et la langue
du muet crie de joie » (Ésaïe 35, 4), les gardiens
de la Parole disent : « C'est par Belzébul, le chef
des démons, qu'il jette dehors les démons ! »
(Luc 11, 14-17).
D'autres, afin de le mettre à l'épreuve, réclament
de Lui un signe venant du Ciel, alors que de nombreux signes viennent
de leur être donnés : « Voici votre Dieu, Il
viendra Lui-même : alors les yeux des aveugles s'ouvriront,
les oreilles des sourds s'ouvriront, le boiteux sautera comme un
cerf et la langue du muet chantera de joie » (Ésaïe
35, 4 et ss).
Ainsi, par les « signes » qu'il donne, Jésus
manifeste que la promesse de la venue d'un Sauveur se réalise
enfin.
Mais certains refusent de voir, d'écouter, d'entendre, car
leur lecture de la Lettre de l'Écriture ne leur permet pas
de discerner les signes de la Grâce et de l'Amour de Dieu
pour ses enfants, tels qu'ils se manifestent à travers ce
Jésus de Nazareth.
Rejetant ces signes donnés, les scribes et les pharisiens
disent à Jésus : « Maître, nous voulons
voir un signe de Toi » (Matthieu 12, 38). Ils veulent voir
un signe qui leur prouverait sa Messianité, ce qui est la
même épreuve que celle du désert (Luc 4, 1-13).
Même si Jésus obtempérait à ce «
vouloir », le signe donné ne « prouverait »
rien, car tout signe de Dieu nous est donné pour être
une aide à la faiblesse de notre foi.
Un signe d'amour n'est pas la preuve de cet amour.
La foi, comme l'amour, est vécue dans une autre dimension
que celle de la preuve !
A cette exigence des Pharisiens, Jésus répond en disant
: « Cette génération recherche un signe, et
de signe il ne lui sera pas donné, sinon le signe de Jonas
» (Matthieu 12, 38-39 ; 16, 1-4 ; Marc 8, 11-12 ; Luc 11,
16, 29-32).
Certains commentateurs pensent que Jésus ne parle ici que
de sa mort et qu'il n'est pas question de sa résurrection.
Or en suivant le récit le plus simplement possible, on voit
que Jonas a été, à sa demande même, jeté
à la mer, symbole de la mort, par les marins d'un navire
menacé de faire naufrage ! Ainsi seront-ils sauvés.
Jonas, lui, est englouti trois jours et trois nuits par un grand
poisson qui finalement le rejette sur la terre ferme et Jonas accomplira
sa mission.
Dans cette histoire, Jonas n'est donc pas resté prisonnier
de la mort. Sans cette délivrance de la mort, jamais les
Ninivites n'auraient entendu sa proclamation qui les conduira vers
le salut. C'est donc un « Prophète » précipité
dans la mort et arraché à celle-ci, qui devient «
signe » du Salut pour chacun de ceux qui accueillent son message
d'amour.
Paul, comparaissant devant l'Aréopage, annonce que «
le Seigneur, au jour fixé, doit juger le Monde avec Justice,
par l'Homme qu'il a désigné procurant foi à
tous en le ressuscitant des morts. Mais ayant entendu ‘’résurrection
des morts’’, les uns se moquaient, les autres dirent :
Nous t'entendrons à ce sujet, une autre fois… Mais quelques-uns
s'attachèrent à Paul et eurent foi au Ressuscité
» (Actes 17, 31-34).
« Quel signe fais-tu pour que nous le voyions et que nous
ayons foi en toi ? »
Or, les disciples de Jésus lui posent cette question juste
après la multiplication des pains !
Comme le note Marc : « Ils n'avaient pas compris au sujet
des pains, leur coeur était endurci » (6, 52)…
Par ce signe, Jésus se révèle au Monde : «
Moi, je suis le Pain de Vie. Vos Pères ont mangé la
manne dans le désert, puis ils sont morts. Le pain que voici,
c’est celui descendant du Ciel pour que celui qui en mange
ne meure pas. Moi, je suis le Pain vivant descendu du ciel.
Le Pain que je donnerai, c'est ma chair donnée pour que le
monde ait la vie » (Jean 6, 48-51).
Conjointement à ces « signes » révélateurs
du Sauveur du Monde, le Nouveau Testament mentionne divers «
signes » qui peuvent être reçus négativement
ou positivement par ceux qui en sont les témoins. Il en va
d'ailleurs de même pour ce que l'on nomme « actes de
puissance ou prodiges ».
-Signes négatifs, Signe et secret
1- les signes trompeurs : ils sont accomplis par de faux christs
ou de faux prophètes, afin d'égarer, à leur
profit, même des élus ! C'est pourquoi nous sommes
invités à être attentifs dans « le discernement
des esprits » (Matthieu 24, 23-24 ; Marc 13, 21-23 ; II Th.
2, 9).
2 - les signes incompris :
a) Par exemple, Jésus purifie le Temple en chassant ceux
qui ont fait de la Maison de son Père une caverne de voleurs,
ou une maison de trafic. Il accomplit un geste parfaitement significatif,
dont il donne la signification par sa parole. Ses disciples se souviennent
qu'il est écrit : « Le zèle de ta Maison me
dévore ». Les Juifs lui demandent : « Quel signe
nous montres-tu pour faire ces choses ? Jésus leur répond
: Détruisez ce Temple-ci et en trois jours je le relèverai
» (Jean 2, 16-19). Après la Résurrection, «
les disciples se rappellent ces Paroles ; ils adhèrent à
l’Écriture et à la Parole que Jésus avait
dite » (2, 22).
b) Après la multiplication des pains, la foule retrouve Jésus
de l'autre côté du Lac de Tibériade. «
Ils lui disent : Rabbi, quand es-tu venu ici ? Jésus leur
répond : Amen, je vous dis, vous me cherchez, non parce que
vous avez vu des signes, mais parce que vous avez mangé des
pains et que vous avez été rassasiés. Oeuvrez,
non pour la nourriture qui périt, mais pour la nourriture
qui demeure à jamais et que le Fils de l'homme vous donnera
» (Jean 6, 25-27).
3- les signes récusés : après la reviviction
de Lazare, le Sanhédrin reconnaît que Jésus
fait de nombreux signes, mais il en conclut : « Si nous le
laissons ainsi, tous se confieront en Lui ». Caïphe,
le Grand-Prêtre, leur dit alors : « II est avantageux
pour vous qu'un seul humain meure pour le peuple et que la nation
ne périsse pas tout entière » (Jean 11, 47-50).
Suite à la guérison de l'aveugle-né, certains
pharisiens disent : « Comment un homme fautif peut-il faire
de tels signes ?… les Juifs n'adhèrent pas à
ceci : qu'il ait été aveugle et qu'il voie »
(Jean 9, 16 ss).
4- les signes refusés : à plusieurs reprises, des
signes sont exigés de Jésus afin de prouver sa Messianité.
Scribes et Pharisiens lui disent : « Nous voulons voir un
signe de toi ».
Pharisiens et Sadducéens s'approchent de Jésus et
pour l'éprouver, ou le tenter, ils réclament de lui
un signe du Ciel.
Lorsque Pilate envoie Jésus à Hérode, celui-ci
se réjouit beaucoup car il espère voir un signe exécuté
par cet homme. Mais Jésus ne répondant même
pas à ses questions, il le méprise et se moque de
lui (Luc 23, 8 ss).
Et pour « finir », cette ultime moquerie : « Qu'il
descende de la Croix, et nous aurons foi en lui » (Matthieu
27, 42).
Les « signes » sur le chemin de la foi.
Les Évangiles, principalement Marc, notent que lors de certaines
guérisons, Jésus s’écartait de la foule
pour accomplir le signe, ou bien demandait à celui qui l’avait
reçu, de n’en parler à personne (Marc 1, 44-45
; Matth. 8, 2-4 ; Luc 5, 12-16, Marc 8, 26 ; 7, 31-37 ; 5, 35-43).
A ce sujet, on a, jadis, évoqué le « SECRET
MESSIANIQUE ».
Plus simplement, on peut penser que, pour Jésus, l’essentiel
était de faire entendre la Parole du Salut reçue dans
des cœurs confiants et non d’apparaître comme un
thaumaturge aux yeux de foules émerveillées.
-conclusion
Un certain nombre de « signes » accomplis par Jésus
ont pu être déterminants, sur le chemin de la foi,
pour ceux qui en ont été les témoins.
Jean rappelle qu’aux noces de Cana Jésus a accompli
son premier signe en changeant en vin l’eau des vases destinés
à la purification de ceux qui étaient invités
aux noces.
« Ainsi, Il manifesta sa gloire et ses disciples eurent foi
en Lui » (Jean 2, 11).
Lorsque Jésus, montant à Jérusalem, passe entre
Galilée et Samarie, dix lépreux se tenant à
distance l’interpellent : « Jésus, Maître,
aie pitié de nous ! » Jésus leur dit d’aller
se montrer aux prêtres. En chemin, tous sont guéris.
Un seul, un Samaritain, revient vers Jésus glorifiant Dieu
et rendant grâces à son Sauveur. Jésus lui dit
: « Relève-toi et va, ta foi t’a sauvé
» (Luc 17, 11-19). Un signe identique donné à
plusieurs n’est donc pas reçu de la même façon
par tous. Ici, un seul sur dix, à travers ce signe de sa
guérison, a reconnu, dans la foi, l’œuvre de son
Sauveur.
Pendant le séjour de Jésus à Jérusalem,
pour la fête de Pâque, beaucoup eurent foi en son nom
en voyant les signes qu’il faisait. Toutefois Jean ajoute :
« Lui-même ne se fiait pas à eux, parce qu’il
les connaissait tous » (Jean 2, 23-25).
Cette remarque de Jean doit nous rendre très vigilants lorsque
notre annonce de l’Évangile prend appui sur des signes
donnés par grâce…
La foi précède le signe
Il semble que dans les contacts que Jésus a pu avoir avec
une personne seule, contrairement aux foules qui « ont cru
» à la vue des signes, le plus souvent, la foi précède
le signe. Le signe est donné à des êtres souffrants
qui mettent toute leur confiance dans ce Sauveur promis.
Le mot « signe » n’apparaît pas nommément
dans les exemples suivants : ainsi lorsque le Centurion vient confier
son angoisse à Jésus au sujet de son garçon
gravement malade, dans le long dialogue rapporté par Matthieu,
il demande à Jésus : « Dis seulement une parole
et mon garçon sera guéri ». Jésus dit
à ceux qui l’accompagnent : « Amen, je vous le
dis, chez aucun en Israël, je n’ai trouvé une aussi
grande foi ». Finalement, il dit au Centurion :
« Va, qu’il en soit pour toi selon ta fiance »
(Matthieu 8, 5-13).
De même pour le paralytique, descendu par quatre hommes aux
pieds de Jésus. Voyant leur foi, Jésus dit : «
Homme, tes fautes ont été remises » (Lus 5,
18-26).
A la femme ayant une perte de sang et qui vient le toucher par derrière,
Jésus dit : « Ta foi t’a sauvée »
(Matthieu 9, 22).
Également pour la Cananéenne : « O femme, ta
foi est grande. Qu’il en soit pour toi comme tu veux »
(Matthieu 15, 28).
Aux deux aveugles qui demandent à Jésus d’avoir
pitié d’eux, Jésus dit : « Avez-vous confiance
que je puisse faire cela ? Oui, Seigneur ! Jésus touche leurs
yeux et leur dit : Qu’il en soit pour vous selon votre foi
» (Matthieu 9, 28-29).
Dans l’Évangile de Jean, nous retrouvons le mot «
signe » en 17 occurrences. Jean, en effet, n’emploie
jamais le mot dunamis, généralement traduit par «
miracle » dans nos versions.
Un officier royal de Capernaüm vient trouver Jésus à
Cana pour lui demander de guérir son fils. Jésus leur
dit : « Si vous ne voyez pas de signes et de prodiges, vous
n’aurez donc jamais confiance ! L’officier lui dit : Seigneur,
descends avant que mon enfant ne meure. Va, ton fils vit »,
lui dit Jésus. Cet homme met sa confiance dans cette parole
que Jésus lui a dite et part. En chemin, il apprend que son
fils vit. Jean conclut ainsi : « C’est le deuxième
signe que Jésus fait en venant de Judée en Galilée
» (Jean 4, 48-54).
Dans le livre des Actes des Apôtres, après la guérison
de l’infirme de naissance qui mendiait à la Belle Porte
du Temple, Pierre dit à la foule : « Vous avez tué
le Prince de la Vie.
Dieu l’a réveillé d’entre les morts. Nous
en sommes témoins. Par la foi en son Nom, son Nom a affermi
celui que vous voyez et connaissez. La foi en Lui a donné
à cet homme sa pleine vigueur en face de vous tous »
(Actes 3, 15-16).
Traduit devant le Sanhédrin, celui-ci sera obligé
de reconnaître : « Oui, un signe manifeste a été
fait par eux, devant tous les habitants de Jérusalem. Nous
ne pouvons pas le nier » (Actes 4, 16). De même pour
l’impotent de Lystre, Paul le regarde et voit qu il a la foi
pour être sauvé. II lui dit : « Lève-toi
droit sur tes pieds » (Actes 14, 9-10).
Conclusion
Alors que l’on a 65 occurrences du mot « signe »
dans les Évangiles et les Actes, il ne figure que 7 fois
dans l'Apocalypse, dans des emplois négatifs, par exemple
: « Le faux prophète qui accomplit des signes au service
de la Bête » (19, 20). Seulement 5 fois dans les Épîtres
!
Paul dit d’Abraham « qu'il reçoit le signe de
la circoncision comme sceau de la justice de sa foi » (Romains
4, 11). Autres occurrences : I Cor.14, 22 ; II Cor. 12, 12 ; II
Thess. 3, 17.
On retiendra particulièrement le texte de 1 Corinthiens 1,
22-24, qui explique, sans doute, ce désintérêt
pour le mot « signe ». En effet, Paul dit : «
Puisque les Juifs réclament des signes et que les Grecs cherchent
la sagesse, nous, nous proclamons Christ crucifié, scandale
pour les Juifs, folie pour les païens, mais pour les appelés
: Puissance et Sagesse de Dieu ».
Les épîtres s’adressant essentiellement à
des chrétiens de culture grecque, cette proclamation de l'Évangile
s'est appuyée sur la terminologie grecque et sur les abstractions
de sa sagesse, en laissant peu de place à la pensée
concrète du judaïsme.
Toutefois, il apparaît que dans les Évangiles le mot
« signe » a une importance et une « signification
» semblables à celles de l’Ancien Testament.
Le « signe » n'est qu'un « signe », et n'a
aucune puissance en lui-même. Il peut être incompris,
rejeté, détourné. Parfois il semble avoir eu
une action décisive sur des foules enthousiastes, mais le
plus souvent il a été vite oublié.
Par contre, lorsqu'il est donné pour confirmer la foi de
celui, ou celle, qui a mis toute son espérance en son Sauveur,
le « signe » prend alors tout son sens et son efficacité.
On notera qu'à plusieurs reprises et dans des contextes différents,
Jésus a rattaché ce mot de « signe » à
sa mort et à sa résurrection.
« Moi, quand j'aurai été élevé
de la terre, j'attirerai tous à moi. Il disait cela pour
« signifier » de quelle mort il devait mourir »
(Jean 12, 32).
C'est pourquoi une Croix toute simple demeure, pour les Chrétiens,
un « signe » fondamental pour leur foi.
Pour ceux qu'intéresse un certain symbolisme, on remarquera
que la dernière lettre de l'alphabet hébreu est le
TaV, c'est-à-dire « croix ». Dès l'origine
elle est représentée par deux bâtons en forme
de croix. Notre T majuscule en garde le souvenir. Symboliquement,
dans la pensée juive, ce TaV a pour sens « signe, marque
d'alliance », mais aussi « perfection, achèvement,
fin d'un processus ».
Pour nous, la Croix, comme le TaV, peut donc ainsi être le
« signe de la Nouvelle Alliance », mais aussi de l’achèvement
parfait de toute écriture, de toute l'Écriture, puisqu'après
elle, il n'y a plus d'autre lettre…
C- Regard sur le « signe » dans le Coran
Si l'on peut constater un désintérêt de la
pensée chrétienne par rapport au Signe, il en va tout
autrement pour le rédacteur du Coran. En effet, grâce
à la traduction récente de D. Masson, on découvre
environ 310 occurrences du mot « signe », alors qu'il
n'apparaissait même pas dans la traduction de Savary datant
du XIX° siècle !
Dans cette ancienne version, on peut relever une grande diversité
d’interprétations du seul mot « signe ».
Par exemple : « religion ; Islamisme ; Loi ; doctrine ; commandement
; exemple ; marque ; puissance ; prodige ; merveille ; miséricorde
; oracle » et bien évidemment « miracle »
!
Si, dans la traduction Masson, le mot « signe » traduit
bien toujours le mot arabe AyA, alors cette version nous permet
de découvrir une intuition d'une grande richesse et une profondeur
de sens remarquable dans l’emploi de ce mot « signe ».
Même si des parallèles sont évidents entre certaines
Sourates et des versets de la Bible, l'emploi du mot Ayah peut enrichir
notre réflexion. Ce mot Ayah est en fait bien connu aujourd'hui
puisqu’on le trouve dans le mot « Ayatollah »,
titre le plus élevé dans la hiérarchie des
Ulémas et qui se traduit par « Signe d'Allah ».
L’Islam reprend donc à son compte cette image de l’Ancien
Testament où certains hommes étaient reconnus comme
« Signe de Yahvé » (Ésaïe 8, 18).
Le mot signe s'applique, dans le Coran, à tout ce qui touche
la Création : la succession des jours et des nuits, liée
aux significations symboliques concernant la Lumière et les
Ténèbres ; l’eau qui rend la Vie à une
Terre devenue comme morte par suite de la sécheresse, reliée
à l'idée de résurrection ; l’observation
des bateaux qui flottent sur la mer ou du vol des oiseaux ; les
différentes couleurs ; les abeilles dont le miel sert à
la guérison : autant de signes visibles offerts au regard
et qui deviennent comme autant de paraboles, de réalités
spirituelles, que ceux qui discernent ces « signes »
sont seuls à même de « saisir » en tant
que donnés par Dieu aux hommes, comme des « avertisseurs
».
De l'histoire biblique, le Coran reprend de nombreux « signes
» attachés, soit à des personnes, soit à
des choses ou à des événements. Par exemple
: les histoires de Noé, d'Abraham ou d'Isaac ; le cri de
Sodome ; la vie de Moïse avec tout ce qui se rattache à
la libération de l’esclavage en Égypte, ou bien
celles de Joseph, Daniel, David et des Prophètes. Tous furent
des « signes » donnés au Peuple d'Israël,
tout comme le premier Temple, la Torah, « le Livre des Livres
», sont autant de « signes » offerts à
ce peuple.
Une place importante est faite à Zacharie et à son
fils Jean, à Marie vers laquelle l'Esprit est envoyé
pour lui donner un Fils, alors qu’aucun mortel ne s'est approché
d'elle : « Ton Seigneur a dit : Cela m’est facile, Nous
ferons de Lui un Signe pour les hommes, une miséricorde venue
de Nous. Le décret est irrévocable » (Sourate
XIX, 21 ; Cf. III, 45-49 et XIII, 50)
A plusieurs reprises le Coran rappelle que tous ces signes furent
rejetés par bien des hommes auxquels, pourtant, ils étaient
destinés : « Ils les traitèrent d'actes de magie,
de mensonges, ou les troquèrent à vil prix ».
Et pourtant ces signes de Dieu sont mis en évidence par Lui
dans l'Univers et dans le coeur des hommes.
« II a mis à notre service tout ce qui se trouve dans
le Ciel et sur la Terre. Tout vient de Lui. Il y a vraiment là
des signes pour un Peuple, des signes évidents dans le coeur
de ceux qui réfléchissent, la crainte révérencielle
de leur Seigneur devenant elle-même le meilleur signe pour
le Monde » (VII, 26).
II- Analyse des notions de « Sacrement, Sacré, Sacrifice
» :
- Un sacré mystère
En général les Églises Chrétiennes reconnaissent
que ce qu'elles nomment « Sacrements » sont effectivement
des « Signes ». Pour l'Église Romaine, «
le terme sacramentum exprime davantage le signe visible de la réalité
cachée du Salut indiquée par mysterium » (Saint
Augustin). « Le sacrement est un signe visible de chose sacrée
» ou « une forme visible de la grâce invisible ».
Pour l'Église Orthodoxe, « le sacrement est une action
sainte en laquelle, sous le signe visible, l'invisible grâce
de Dieu est communiquée au croyant ».
Pour Luther, « il faut savoir ce que le baptême signifie
et pourquoi Dieu, en l'instituant, a fait précisément
d'un tel signe, le sacrement par lequel nous sommes reçus dans
la chrétienté ». « Si, dans la Cène,
Christ m'ordonne de manger et de boire, c'est pour que ce trésor
devienne mien et me soit utile comme un gage et un signe certain.
Quand la Parole se joint à l'élément, l'élément
devient sacrement, c'est-à-dire chose sainte et signe divin
».
Pour Calvin, « le sacrement est une marque extérieure
de la grâce de Dieu qui, par un signe visible, nous représente
les choses spirituelles. Comment se peut-il qu'un signe visible ait
vertu d'assurer la conscience ? Il ne l'a pas en lui-même, mais
en tant qu'il est établi de Dieu pour cette fin ». «
Le sacrement est un signe extérieur par lequel Dieu scelle
en nos consciences les promesses de sa volonté bonne envers
nous et pour confirmer l'imbécillité de notre foi ».
Que dire de ce mot de « sacrement » si l'on compare la
fréquence et le sens de ce terme dans l'Écriture à
l'importance considérable qu'il occupe dans la réflexion,
la « théologie » et la pratique des Églises
? Le constat est troublant !
En effet, dans l'Ancien Testament, on ne trouve le mot latin sacramentum
qu' à 4 reprises, dans la partie araméenne du Livre
de Daniel. Il sert à traduire le nom grec mustêrion qui
a le même sens que l'araméen RaZ.
-2, 30 : « Ce n'est pas par ma sagesse que ce mystère
m'a été découvert ».
-2, 47 : « Le roi dit à Daniel : Votre Dieu est en vérité,
le découvreur des mystères (mysteria) puisque tu as
pu découvrir ce mystère ».
-4, 16 : « Nul mystère n'est trop lourd pour Toi ».
-2, 18-19 : Daniel demande la compassion de Dieu au sujet de ce «
mystère » (sacramentum). « Alors le mystère
(mysterium) est révélé à Daniel ».
On constate que pour Jérôme, mysterium et sacramentum
ont la même signification.
4 autres emplois de sacramentum se trouvent dans les Apocryphes pour
traduire le grec mustêrion.
Dans le Nouveau Testament, on ne relève que 8 occurrences de
sacramentum :
-Colossiens 1, 27 : « Richesse et gloire de ce mystère
parmi les nations ».
-Éphésiens 1, 9 : « II nous a fait connaître
le mystère de sa volonté ».
-3, 3 : « C'est par révélation que ce mystère
a été porté à notre connaissance ».
-3, 9 : « Mettre en lumière la réalisation des
mystères cachés de tout temps en Dieu ».
-5, 32 : « Les deux sont une seule chair : ce mystère
est grand, je le dis de Christ et de l'Église ».
-I Timothée 3, 16 : « Grand est le mystère de
la piété ».
-Apocalypse 1, 20 : « Le mystère des sept étoiles...
»
-17, 7 : « Je te dirai le mystère de la femme et de la
bête qui la porte ».
Ainsi, tant dans l'Ancien Testament que dans le Nouveau, le nom de
« sacrement » ne correspond en rien avec tout ce que les
Églises ont développé à partir de ce concept.
Or ce mot est toujours à la base de nos divisions les plus
profondes…
L'Ancien Testament utilise le mot araméen RaZ signifiant «
mystère » uniquement dans le livre de Daniel. Comme nous
l'avons vu, la LXX le traduit par mustêrion dans les deux versions
de ce livre ; la Vulgate 5 fois par mysterium et 4 fois par sacramentum.
A. Chouraqui a jugé bon d’employer le mot « sacrement
» pour désigner « les choses mises à part
» pour le service de Dieu. Par exemple : « Ainsi s’achève
tout le travail pour la Maison de Yahvé. Puis Salomon fait
venir les "sacrements" de son père : l'argent, l'or,
les objets. Il les donne aux trésors de la Maison de Yahvé
» (I Rois 7, 51 cf. II Samuel 8, 11).
En français, le mot « sacrement » vient du latin
« sacramentum » issu de la racine indo-européenne
SaK- d'une part le mot « sacré » : « caractère
donné à une personne ou à une chose « consacrées
» au service de la divinité », mot dont sont issus
une trentaine de mots français (y compris quelques interjections
!).
-d'autre part le mot « sainteté » : « état
de ce qui a été sanctifié », mot auquel
se rattache une douzaine de mots.
- Retour à l’origine du « sacré »
Malgré certaines réticences, il semble nécessaire
de revenir à l’étymologie afin de retrouver le
sens originel de mots qui se sont chargés de tant de significations
contradictoires au cours de l'Histoire.
A l'origine, on trouve en Hébreu le verbe QâDaCh qui
signifie « qui sort du commun, ce qui s'élève
au-dessus de l'ordinaire ».
La première mention de ce verbe se trouve dans Genèse
2, 3 et concerne le septième jour.
La traduction Bayard reprend, enfin, le sens premier : « Dieu
le bénit et le mit à part », alors que l'on peut
lire dans d'autres versions : « Dieu le rendit sacré
» (Tour de Garde), « en fit un jour sacré »
(Nlle Segond), « l’a proclamé saint » (Trad.
Juive), « un jour qui Lui est réservé »
(Français Courant).
Si ce Septième Jour est tellement Saint, de quel droit certaines
Églises ont-elles déplacé le Sabbat au Dimanche
? Ce jour est mis à part pour que l'homme se repose de toute
l'oeuvre qu'il a dû accomplir en six jours, et d'autre part
pour qu'il offre ce temps qui lui est donné pour le service
de son Seigneur et de son prochain.
Ce n'est pas le septième jour qui serait, en lui-même,
« sacré » : « Heureux l'homme qui observe
le sabbat sans le profaner » (Ésaïe 56, 2).
Le 7° jour n'est pas « saint », c'est nous qui le
mettons à part des autres jours de la semaine, dans la reconnaissance
pour ce don qui nous est fait.
Lorsqu'on lit les interminables prescriptions contenues dans les textes
rabbiniques concernant la sanctification du Sabbat, on comprend mieux
ce qu’est pour eux ce Jour Saint ! Reconnaissons que nos Églises
n'ont pas toujours fait mieux !
Or cette « mise à part » était pour le monde
un « signe » de la fidélité et de l’amour
du peuple de Dieu pour son Seigneur ! (Exode 31, 12 à 17).
Ainsi est-on passé de la grâce, du don d'un jour offert,
à tout un ensemble de règles et d'interdits auxquels
le fidèle doit se soumettre. C'est pourquoi Jésus, bien
souvent, transgressera ces règles afin de nous faire comprendre
que « le sabbat a été fait POUR l’homme et
non pas l'homme POUR le Sabbat » (Marc 2, 27).
Ce sens fondamental de « mise à part » est bien
illustré par ce qui est dit de ce Juif pieux qui « sanctifie
» un de ses champs pour Yahvé (Lévitique 27, 16).
Ce morceau de sa terre n'est pas plus « saint » que les
autres. Toutefois il va le cultiver avec un soin particulier. Il mettra
autour une clôture avec cette inscription : « Sanctifié
pour Yahvé ». Il est évident qu'aucun juif pieux
n'aurait osé pénétrer dans un tel champ et encore
moins y arracher quelques épis, car il aurait piétiné
et dérobé ce qui appartenait à Dieu.
On peut comprendre, par cet exemple, comment on a pu passer de l'idée
de « mis à part » à celle de « sacré
», de « tabou » ou « d'intouchable »…
Or on peut entendre aujourd'hui certains Rabbins dire publiquement
qu' « il n’y a pas de choses saintes en soi, au sens où
nous l'entendons ; il n'y a pas même de Terre Sainte ».
C'est donc cette image de « mis à part » que nous
devrions avoir à l'esprit lorsque nous employons des termes
issus de la racine SaK-.
L’hébreu utilise la racine QDSh pour désigner Dieu
Lui-même, son Nom, son Souffle, son bras, sa Parole ou son Alliance,
mais également tout ce qui est mis à part pour Lui :
la Terre, son Peuple, son Sanctuaire, le Sabbat, les Sacrifices, l’Huile
ou tout ustensile utilisé pour son seul service…
Dieu est déclaré Saint, ou bien son Nom (Nom et Personne
se confondent en hébreu).
Comment l’homme pourrait-il le rendre saint ou bien le «
sanctifier » ? Cela n’a guère de sens ! Sauf si
nous comprenons qu’il nous appartient de mettre notre Dieu totalement
« à part » de toutes ces divinités que nous
nous fabriquons et auxquelles nous nous asservissons.
Ceci est tellement important que, pour un Juif fidèle, le nom
même de Yahvé, (qui en réalité est une
forme verbale : Il a été, Il sera) ne peut pas être
prononcé par la bouche de l’homme. Il était proclamé,
une fois par an, par le Grand Prêtre, dans le Saint des Saints,
le jour de la fête de Yom Kippour.
Les chrétiens prient en disant « Soit sanctifié
Ton Nom, par moi, en cet aujourd’hui », c’est à
dire : « que je ne profane pas ton Nom de Père en ce
jour qui m’est donné, Toi qui as tant aimé le Monde
».
On peut constater que l’hébreu utilise cette racine QDSh
pour désigner un ou une prostituée, ce qui montre bien
qu’il ne s’agit pas de « petits saints » ! (Genèse
38, 15, 21, 22). « Il ne sera pas de prostitué parmi
les fils et les filles d’Israël » (Deutéronome
23, 18).
Dans la LXX, le mot Hagios sert à traduire une vingtaine de
termes hébreux, les plus fréquents étant ceux
issus de la racine QDSh (573 occurrences).
Il faut ajouter en grec les mots de la famille de Hiereus, traduisant
la racine hébraïque KHN qui concerne principalement le
sacerdoce et les prêtres, ainsi que ceux de la racine Thu-,
traduisant celle de l’hébreu ZBH, désignant les
sacrificateurs et les sacrifices.
Ces différents mots hébreux et grecs sont le plus souvent
rendus, en latin, par des mots construits sur cette racine SaK-, en
particulier celui de sacramentum, que l’on rattache spontanément
à un acte « sacré ». De façon unanime,
les spécialistes rappellent qu’en latin, ce mot désignait
à l’origine le dépôt fait par chacun des
plaignants entre les mains du pontife. Celui du perdant servait au
service des dieux. Le mot désignait aussi le serment prononcé
par un militaire s’engageant au service d’un consul. Comme
il a été montré précédemment, Jérôme
l’emploie uniquement pour traduire l’idée de «
mystère ».
Ce que l’Église a construit à partir de ce mot
sacramentum ne se fonde donc, en aucun cas, sur ce que nous dit l’Écriture.
Cette réflexion doit s’étendre à tous les
termes issus de cette même racine et que nous avons multipliés
dans nos Églises. Ainsi pour les « saints »…
La prière « sacerdotale » de Jésus est parfaitement
explicite à ce sujet lorsqu’il dit : « Je leur ai
donné Ta Parole et le Monde les a haïs parce qu’ils
ne sont pas du Monde, comme moi je ne suis pas du Monde. Mets-les
à part par la Vérité : Ta Parole est la Vérité.
Comme Tu m’as envoyé dans le Monde, de même moi,
je les envoie dans le Monde. Je me mets moi-même à part
pour qu’eux aussi soient mis à part par la Vérité
» (Jean 17, 14-19).
Ainsi, parce que nous recevons la Parole, celle-ci nous met à
part dans ce Monde, et elle nous sort de l’ordinaire, afin que
nous soyons dans le Monde les témoins de l’amour de son
Sauveur : « En cela tous connaîtront que vous êtes
mes disciples, si vous avez de l’amour les uns pour les autres
» (Jean 13, 35).
Nous sommes DANS le Monde, mais nous ne sommes plus DU Monde :
« Ne savez-vous pas que votre corps est le temple du Saint-Esprit
qui est en vous, que vous tenez de Dieu et que vous n’êtes
plus à vous-mêmes ! (I Cor. 6,19).
Tel est le « Saint », « sanctifié »
par une Parole qui est la Vérité !
- De l’inutilité des sacrifices
Lorsqu'en 1976 est paru « Le Nouveau Livre de la Foi »,
ceux qui œuvraient avec au cœur l'espoir de l'Unité
de l'Église s'étaient réjouis en le lisant.
Par exemple ceci : « ce que Luther attaquait, c'était
les représentations selon lesquelles la Messe est un NOUVEAU
SACRIFICE dans lequel la mort de Christ est répétée
pour nous et qu'il en résulte des effets automatiques et irrésistibles
».
De tout cela, il ne subsiste aujourd'hui absolument rien, puisque,
quinze ans plus tard, le Catéchisme de l'Église Catholique
a confirmé toute l’importance qu’elle accorde en
fait à ce mot, dans de nombreux textes concernant en particulier
l’Eucharistie.
Par exemple, « Notre Sauveur, la nuit où il fut livré,
institua le sacrifice eucharistique de son corps et de son sang pour
perpétuer le sacrifice de la Croix au long des siècles,
jusqu'à ce qu'il vienne ». « Saint Sacrifice :
parce qu'il actualise l'unique sacrifice du Christ Sauveur et qu'il
inclut l'offrande de l'Église ».
La seule question est alors la suivante : pourquoi l'Église
Catholique maintient-elle, jusque dans les formules liturgiques, le
mot « sacrifice », alors que ce qu'elle veut dire : le
don de l'Église à Dieu, pourrait s'expliquer autrement
?
Le grec thusia (environ 350 occurrences dans la LXX) a été
choisi pour traduire 7 termes hébreux qui précisent,
chacun, l'une des formes rituelles des sacrifices.
Il est traduit dans la Vulgate par Sacrificium, parfois par Hostia
ou Holocaustum.
Dans le N.T., le mot Thusia est présent 5 fois dans les Synoptiques,
2 fois dans les Actes, 6 fois dans les Épîtres et 15
fois dans celle aux Hébreux.
Aucune occurrence chez Jean.
Ces quelques emplois sont particulièrement significatifs :
-Matthieu 9, 13 et 12, 7 : « Je veux la miséricorde et
non le sacrifice ».
-Marc 12, 33 : « Aimer le prochain comme soi-même est
bien plus que tous les holocaustes et les sacrifices ».
Rappelons aussi le « sacrifice » offert par Marie lors
de la Présentation de Jésus au Temple et « le
sang des Galiléens que Pilate mêle à celui de
leurs sacrifices » (Luc 13, 1).
-Actes 7, 42 : « M'avez-vous offert des sacrifices au désert
? »
-Romains 12, 1 : « Je vous exhorte à offrir vos corps
en sacrifice vivant, saint, agréable à Dieu ».
Mais en vérité, « que pouvons-nous Lui donner,
Lui sacrifier ? Tout Lui appartient »
(I Chroniques 29, 14).
L'Épître aux Hébreux est essentielle pour essayer
de comprendre la mutation spirituelle que les Juifs fidèles
devenus chrétiens ont dû opérer en eux-mêmes,
particulièrement au sujet des « sacrifices » dont
la tradition millénaire se perpétuait encore sous leurs
yeux !
En effet, la rédaction de cette Épître précède
nécessairement la chute de Jérusalem et la destruction
du Temple, et par conséquent la fin de tous les sacrifices
offerts sur l'Autel !
L'auteur de l'Épître met ses lecteurs en garde : «
malgré les mêmes sacrifices offerts chaque année,
la Loi ne peut rendre parfaits ceux qui les présentent »
(10, 1 ; cf. 9, 9), ou « offrant des sacrifices qui ne peuvent
jamais enlever les péchés » (10, 11).
Puis il ajoute : « Il est impossible que du sang de taureaux
ou de boucs ôte les péchés.
C'est pourquoi, en entrant dans le monde, il dit : Tu n'as voulu ni
sacrifice, ni offrande, mais tu m'as formé un corps ; tu n'as
agréé ni holocaustes ni sacrifices pour le péché.
Alors j'ai dit :
Je viens - dans le livre-rouleau c'est écrit à mon sujet
- pour faire, ô Dieu, ta volonté » (10, 4-8).
Certes, l’auteur ne se dégage pas de cette idée
d’une offrande ou d’un sacrifice en compensation des fautes
commises, mais il ajoute : « c’est dans cette volonté
que nous avons été mis à part, par l’offrande
du corps du Christ, une fois pour toutes…par un seul sacrifice,
…par une seule offrande » (10, 10-14) !
Il est évident qu’au Vendredi Saint aucun des acteurs
n’offre un « sacrifice » à Dieu ! Ni Pilate,
ni le Grand-Prêtre, ni la foule qui crie : « Crucifie
! Crucifie ! Nous n’avons pas de roi, sinon César ! »
Il s’agit d’un crime politico-religieux, et non pas d’un
sacrifice…
Si le Seigneur n’a rien à faire de la multitude des sacrifices,
s’il est rassasié des holocaustes, s’il ne prend
aucun plaisir au sang des victimes, comment pourrait-il agréer
ce meurtre insoutenable de son Fils ? (Ésaïe 1, 10-15)
Mais ce Fils, au lieu d’anéantir ceux qui le rejettent,
prie son Père en disant : « Père, pardonne- leur,
car ils ne savent pas ce qu’ils font » (Luc 23, 34).
C’est ainsi qu’il accomplit la volonté de son Père,
car cette volonté n’est pas qu’il anéantisse
les hommes, mais qu’il sauve ces êtres qu’il aime
d’un Amour que nous ne pouvons comprendre (Luc 9, 55).
Assurément, on peut dire que Jésus nous donne sa vie
parce qu’il accepte la Croix, au lieu de se sauver lui-même
en nous perdant à jamais !
Notre Salut tient donc bien dans cette seule Parole : « Père,
pardonne-leur », car c’est là que s’épuise,
une fois pour toutes, ce que nous nommons « sacrifice ».
La Croix reste, pour nous, le « Signe » parfait de ce
Salut qui nous est donné par Amour.
La Croix n’est pas un gri-gri ayant en lui-même quelque
vertu, mais elle demeure le « signe » qui nous rappelle
toujours combien nous sommes aimés par notre Sauveur.
III- Ouvertures :
-De l’efficacité du « signe »
Il est évident que le problème de l'efficacité
de ce que les Églises nomment « sacrements » demeure
au coeur de notre réflexion commune. Certes, si les différentes
confessions chrétiennes les reconnaissent bien comme étant
des « signes », leurs textes fondamentaux développent
essentiellement la notion de « sacrement », dont nous
venons de voir qu'elle n'a aucun fondement biblique, au détriment
de celle de « signe » pourtant bien présente, dès
l'origine, dans l'Écriture.
Si le Baptême et la Cène ne sont pas formellement définis
comme étant des « signes » dans le Nouveau Testament,
toutefois la Circoncision a bien été donnée comme
« signe de l'Alliance entre Dieu et son Peuple » (Genèse
17, 11).
Paul précise même qu'Abraham « reçut le
signe de la circoncision, sceau de la justice obtenue par la foi,
celle qu'il eut étant incirconcis » (Romains 17, 11).
Cette circoncision sera mise en parallèle avec le baptême,
« signe » de la Nouvelle Alliance (Colossiens 2, 11 et
ss).
De même pour le Repas de la Pâque : le pain azyme était,
pour les juifs, un « signe » rappelant leur libération
de l'esclavage en Égypte (Exode 13, 9). Certaines communautés
juives ont conservé le sacrifice de l'agneau Pascal, par exemple
les Samaritains qui chaque année célèbrent la
Pâque pendant huit jours sur le Mont Garizim, sur le grand rocher,
semblable à celui de Jérusalem, et sur lequel était
édifié le Temple de Yahvé.
« Le sang de l'agneau sera pour vous en signe. Je verrai le
sang, Je passerai au-dessus de vous » (Exode 12, 13).
Au cours du repas Pascal, Jésus reprend ces signes et leur
donne une signification nouvelle : « Ceci, mon corps ; ceci,
mon sang répandu pour beaucoup ».
Paul nous rappelle cette conclusion liturgique : « Toutes les
fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, c'est
la mort du Seigneur que vous annoncez jusqu'à ce qu'il vienne
» (I Cor. 11, 26).
Baptême et Cène ont donc un lien profond avec les «
signes » donnés par Dieu à son Peuple.
Les Églises déclarent généralement «
fonder leur enseignement uniquement sur l'Écriture ».
Elles exhortent leurs fidèles à « ne pas négliger
les « sacrements » que le Seigneur a Lui-même institués
et ordonnés comme en témoignent les Évangiles
».
Mais si nous lisons simplement ce que Jésus a ordonné
à ses disciples de faire au sujet du baptême, on voit
qu'il leur dit :
- « Allez. »
-« Faites de toutes les Nations des disciples » …
-« les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit
» …
- « et leur enseignant à garder tout ce que je vous ai
enseigné » (Matthieu 28, 19-20).
D'après cette parole, c'est la prédication de l'Évangile
qui amène à la foi et à la décision de
suivre son Sauveur. Elle sera suivie du baptême, et ensuite
viendra l'enseignement.
Marc ne dit rien d'autre dans une conclusion contestée de son
Évangile, lorsqu'il écrit : « L'ayant foi, étant
baptisé, sera sauvé. Par contre celui qui n'a pas la
foi sera condamné » (Marc 16, 16).
Les Actes des Apôtres et les Épîtres montrent bien
que les Apôtres ont suivi la parole de leur Maître. Dès
le jour de Pentecôte, ceux qui ont été touchés
par la prédication de Pierre demandent aux apôtres :
« Frères, que ferons-nous ? » II leur est répondu
: « Changez radicalement, et que chacun de vous soit baptisé
au nom de Jésus-Christ pour la remise de ses fautes, et vous
recevrez le don de l’Esprit saint » (Actes 2, 37-38).
Ceci est confirmé par la Didachè, ce petit vade-mecum
destiné aux premiers évangélistes.
Il y est prescrit : « Après avoir enseigné tout
ce qui précède, baptisez dans de l'eau courante, au
nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. S'il n'y a pas d'eau
courante, qu'on verse trois fois de l'eau sur la tête ».
On peut également considérer les Baptistères
médiévaux, tels ceux de Florence ou de Pise, construits
aux XIII° et XIV° siècles. Ce sont de grandes constructions,
35 mètres de diamètre pour celle de Pise, édifiées
face au portail des cathédrales. Les catéchumènes
venaient des paroisses de la ville dans la nuit de Pâques vers
cet édifice où ils étaient immergés nus
dans l'eau. Ensuite ils repartaient vers l'Église, revêtus
d'une robe blanche, et ils participaient à la veillée
Pascale avant de recevoir l'eucharistie au matin de Pâques dans
la Lumière de la Résurrection.
Vraisemblablement il n'y avait pas là de nourrissons…
Cependant la définition du « péché originel
» comme « étant un véritable péché
chez les petits enfants » -décrets des Conciles de Carthage
(418) puis d'Orange (529)- a dû plonger dans une grande détresse
les parents d'un enfant mort sans baptême puisqu'il n'avait
pas la foi.
L'élaboration du concept de « sacrement » au cours
du Moyen Age a finalement abouti aux déclarations du Concile
de Trente (1545-1563) dans lesquelles il est affirmé : «
Si quelqu'un dit que les sacrements de la Loi Nouvelle ne contiennent
pas la grâce qu'ils signifient, ou qu'ils ne confèrent
pas cette grâce à ceux qui n'y mettent pas d'obstacles,
comme s'ils étaient seulement des signes extérieurs
de la grâce ou de la justice reçue par la foi, qu'il
soit anathème » (DS 849).
« Les sacrements de la Loi Nouvelle effectuant ce qu'ils figurent,
ils contiennent et confèrent la grâce du Christ. Ils
le font ex opere operato » (DS 1668).
Ainsi toute la richesse spirituelle des « signes » a disparu
pour faire place à des « sacrements qui sont efficaces
en eux-mêmes par le seul fait de leur administration »,
ceci étant dit à l’époque pour « combattre
les affirmations de la Réforme ».
Toutefois on peut estimer qu'il y a erreur lorsqu'on écrit
que « pour la doctrine protestante, tout salut et toute grâce
ne peuvent venir à l'homme que par la foi seulement ; de même
les actes sacramentels dans l'Église du Christ ne sont efficaces
que par la foi seule ».
C'est ce qu'on peut penser de nous, mais pour nous, ce n'est pas «
la foi qui nous sauve », car notre salut serait alors oeuvre
humaine !
Seul, notre Sauveur nous sauve par pure grâce.
Ce salut parvient au plus profond de nous-mêmes, uniquement
à travers la foi, la confiance, en la Parole de notre Sauveur.
L'auteur de l'Épître aux Éphésiens l'a
remarquablement exprimé lorsqu'il écrit : « Par
la grâce vous avez été sauvés à
travers la foi. Cela ne vient pas de vous, c'est le don de Dieu »
(2, 8 ; Traduction La Pléiade). Il emploie la préposition
grecque Dia avec le génitif. Elle indique un mouvement et peut
se traduire par « au travers », « en passant par
», « par l'entremise de… ». On la traduit souvent
par « au moyen de », mais il faut la comprendre comme
un intermédiaire et non comme un instrument.
Par suite de notre faiblesse, notre foi a besoin de signes, tout comme
l'amour, ou l'annonce d'une bonne nouvelle !
La grâce de Dieu, et son Amour pour sa création, sont
proclamés à tous avec nos « moyens » humains.
Pour celui qui perçoit et entend cet Évangile et met
sa confiance dans le Seigneur, alors les « signes » du
baptême et de la Cène lui « signifient »
que cette Parole lui est bien personnellement adressée. Ils
sont comme le sceau qui scelle une alliance nouvelle.
« Je t’ai aimé, toi, jusqu'à donner ma vie
pour toi. Tu es passé de la mort à la vie. Je ne te
condamne pas, va et ne faute plus ».
Paul ne pouvait écrire lui-même ses lettres, mais il
tenait à les « signer » : « la salutation
est de ma main, c'est un signe dans chaque lettre : j'écris
ainsi » (II Thessaloniciens 3, 17). Sans doute avec de grosses
lettres, comme il le dit aux Galates ! (6, 11).
Une lettre peut nous parvenir signée ou non signée.
Le contenu serait exactement le même et pourtant l'une sera
reçue et l’autre rejetée.
Ainsi, le « signe » ou le « sceau » authentifie
la Parole qui m'a été adressée à moi,
personnellement.
-Une question substantielle
En ce qui concerne l'Eucharistie, les Églises emploient de
grands mots : Transsubstantiation, (Romaine et Orthodoxe) ; Consubstantiation
(Luthérienne) ; Présence réelle (Réformée)
; Mémorial, pour d'autres.
Des mots nouveaux apparaissent comme « transfinalisation »
ou « transsignification »…
L'étude du mot « substance » est particulièrement
complexe. Il vient du latin substantia qui a traduit très exactement
le mot grec upostasis, qui donne « hypostase » en français.
Upostasis n'a que 5 occurrences dans le Nouveau Testament, le texte
le plus connu étant celui d'Hébreux 11, 1 : «
La foi est l'hypostase de ce qu'on espère ».
Ce mot est traduit dans les plus anciennes des 25 versions consultées
par « fondement » (Olivétan), « devantmise
» (Castellion), ou « soustènement » (Louvain).
Par la suite on trouve : « assurance » (dans 5 versions)
; « substance » (4) ; « garantie » (3) ; «
manière de posséder » (3) ; « rend présentes
» (2) ; « ferme attente » ; « vive représentation
» ; « être sûr de ce qu’ on espère
» ; « consiste à réaliser » ; «
la réalité » ; « solide confiance »
(1 version seulement).
Etymologiquement « substance » signifie « ce qui
est dessous ». Ce n'est que tardivement, vers le XV° siècle,
que ce mot désignera « une matière ou un corps
matériel ».
Si tous les grands développements « théologiques
» concernant les éléments des sacrements : eau,
pain, vin, sont souvent remarquables d'un point de vue conceptuel,
ils divergent malheureusement selon les différentes confessions
et ont finalement emmuré chacune des Églises dans sa
propre « Vérité ».
Or toutes ces formulations humaines apparaissent comme infiniment
éloignées de l'extrême simplicité des Paroles
que Jésus nous a laissées : « Ceci : mon corps.
Ceci : mon sang. ».
Au cours de son dernier repas de la Pâque, Jésus a certainement
dit le rituel en hébreu : « Voici le pain de misère
que nos ancêtres mangèrent en Égypte ».
« Sois béni, Yahvé notre Dieu qui nous as sanctifiés
par tes commandements et nous as ordonné de manger le pain
azyme ». « Sois loué, Yahvé notre Dieu,
qui as créé le fruit de la vigne ».
A ces paroles Jésus ajoute : « Ceci, mon corps ».
Il n'a pas pu dire : « Ceci est mon corps » comme le rapportent,
en grec, Matthieu, Marc, Luc et Paul dans I Corinthiens 11, 24.
De même, au sujet de la coupe, Jésus dit, d'après
Matthieu et Marc : « Ceci est mon sang ». D'après
Paul : « Cette coupe est la Nouvelle Alliance en mon sang ».
Mais d'après Luc : « Cette coupe, la Nouvelle Alliance
en mon sang », sans verbe être, conformément à
l'hébreu.
On peut remarquer que la traduction de ces textes en hébreu
n'emploie pas le verbe « être ». Jésus n'a
pas pu dire : « Ceci est mon corps, ceci est mon sang »
de manière ontologique, comme certains le comprennent, c'est-à-dire
« l'Être en soi », verbe réservé à
Dieu seul et qu'on ne prononce jamais.
Aujourd'hui certains auteurs pensent que l'on peut comprendre ainsi
les paroles de Jésus :
« Ce pain « signifie » mon corps. Ce vin «
signifie » mon sang ».
-Pour poursuivre
En redécouvrant la valeur des « signes » intimement
liés à la Parole ainsi que leur profonde efficacité
spirituelle, l'Église pourrait permettre à tous ceux
qui mettent leur confiance et leur espérance en Christ de se
retrouver d'un même coeur, autour d'une même Table, pour
recevoir le Signe et le Sceau de la Grâce qui les fait vivre…
Nous avons essayé de comprendre que l'efficacité des
« signes » ne réside pas dans leur matérialité,
mais bien dans la Parole qu'ils nous signifient.
Lorsqu'une créature perçoit ainsi avec confiance la
Parole d'amour et de vie que son Créateur lui adresse personnellement,
alors il peut être reconnaissant pour tous ces « signes
» placés sur son chemin afin de lui DIRE et de lui REDIRE
la PAROLE de Vie.
Il appartient à chacun, avec le secours de l'Esprit, d’entendre
et d’écouter cette Parole !
|

|
|