DIRE LA PAROLE
par le pasteur
Pierre Joudrier
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Chapitre IV : LIBRE ou ESCLAVE
Introduction
Avec des termes antithétiques
comme libre-esclave, liberté-esclavage, nous abordons des points
particulièrement sensibles d'une réflexion désireuse
de se fonder essentiellement sur une Révélation dont
nous pensons qu'elle nous parvient à travers les mots de l'Écriture
afin d'éveiller et nourrir notre foi.
Le concept de Liberté est aujourd'hui omniprésent dans
de nombreux domaines de notre réflexion : politique, philosophique,
économique, scientifique ou théologique. Or, dans le
même temps où des philosophes recherchent « une
éthique de la liberté », d'autres affirment que
« les règlements universels et abstraits sont inscrits
dans les choses ».
En économie, le libéralisme est prôné par
le plus grand nombre, mais les mêmes reconnaissent qu'elle est
« soumise aux lois du marché » !
Dans notre vie quotidienne nous sommes cernés par des lois,
des règles, des conventions, des préjugés que
nous ne devons pas ignorer et auxquels nous nous soumettons inconsciemment,
tout en nous prétendant libres !
Lorsque nous prenons le volant, nous sommes ligotés, non seulement
par une ceinture dite de « sécurité » mais
aussi par un grand nombre d'interdits, de feux, de panneaux, de priorités
changeantes qui sont définis par le Code de la Route, toute
transgression menaçant notre permis de conduire qui est «
à points » !
En politique, le militant doit (devait ?) se soumettre à la
ligne de son parti.
L'Art lui-même obéit à des règles non écrites
et fluctuantes, en poésie, en peinture, en architecture comme
en musique. Elles définissent « la mode » à
laquelle on se plie le plus souvent sans y réfléchir.
Sans parler de nos « addictions », ces choses que l'on
subit, tabac, alcool ou drogue.
La sagesse populaire elle-même décrète que notre
propre liberté s'arrête là où commence
celle des autres ! Mais personne n'est en mesure de déterminer
cette limite !
Selon les époques, les lieux, les moeurs, l'homme peut avoir
plus ou moins de « liberté », mais il aspire partout
et toujours à une totale liberté.
D'où cette parole de Voltaire : « La déesse éternelle...,
qui vit dans tous les coeurs et dont le nom est sacré, dans
la cour des tyrans est tout bas adorée : Liberté ».
Si Madame Roland a pu écrire en Juillet 1791 : « enfin
j'ai vu le feu de la Liberté s'allumer dans mon pays »,
on ne peut oublier ce qu'elle aurait dit en montant à l'échafaud
en décembre 1793 : « Liberté, que de crimes on
commet en ton nom ! ».
Einstein nous a laissé cet aveu : « Je ne crois pas,
au sens philosophique du terme, à la liberté. Chacun
agit, non seulement sous une contrainte extérieure, mais aussi
d’après une nécessité intérieure
».
haut 
-Le mot « liberté » en français
Ce terme figure en français dès le XIII° siècle,
sous la forme de « livreteit » qu'on retrouve aujourd'hui
dans des mots comme « livrer », c'est-à-dire
« remettre en main propre » ou « délivrer
».
On le définit comme étant « l'ÉTAT de
quelqu'un qui n'est pas prisonnier » ou « qui n'a pas
d'engagement ».
On remarquera qu'en français ancien, comme en latin, ce mot
décrit « un état », et non pas une «
abstraction » que l'on déifie : « Liberté,
Liberté chérie…», et à laquelle
on élève des statues !
Il faut attendre 1538 pour trouver, chez Estienne, cette définition
:
« Liberté : absence de toute contrainte sociale ou
morale ».
C'est autour de cette date que se fixe notre langue, en particulier
par les oeuvres de Calvin.
Dès l'édition de 1541 de l'Institution Chrétienne,
Calvin emploie fréquemment le mot de « liberté
», en particulier au chapitre XIV consacré à
la « Liberté chrétienne » et où
l'on trouve 40 occurrences de ce mot en 18 pages !
Dans celle de 1560, Calvin précise : « La liberté
chrétienne est une chose spirituelle. Mais tous ceux-là
la prennent mal qui en font une couverture pour satisfaire à
leurs cupidités désordonnées ou qui en abusent
avec scandale envers leurs frères inférieurs ».
Liberté apparaît également dans les passages
consacrés au « Libre Arbitre » :
« Jusqu’au simple populaire, tous sont abreuvés
de cette opinion que nous avons un franc arbitre. La plupart de
ceux qui veulent être bien savants n’entendent pas jusqu’où
cette liberté s’étend ! »
Calvin conclut ainsi : « Pourtant si quelqu’un se permet
d’user de ce mot (= liberté) en saine intelligence,
je ne lui ferai pas grande controverse, mais pour ce que je vois
qu’on n’en peut user sans grand danger, au contraire que
ce serait grand profit pour l’Église qu’il fût
aboli, je ne voudrais point usurper et si quelqu’un me demandait
conseil, je lui dirais qu’il s’en abstînt »
(Chap. II).
Un long débat opposa l’humaniste Érasme à
Luther, le théologien de la grâce. Tout au long de
sa diatribe, Érasme, s’appuyant sur l’Écriture,
tente de justifier le libre arbitre et d’infirmer le serf arbitre,
afin semble-t-il, de sauver au moins « un tout petit peu »
l’œuvre de l’homme dans le processus du salut. «
L’homme ne peut en effet acquérir des mérites
(mot qui revient sans cesse sous sa plume) que s’il dispose
effectivement de son libre arbitre ».
Luther avait mis le libre arbitre en question dans sa lettre à
Léon XIII et dans son Traité de la Liberté
Chrétienne, sans penser que c’était là
« une absurdité ». Il ne répliqua à
Érasme que 15 mois plus tard dans son Traité du Serf
Arbitre.
Luther se fonde, lui aussi, sur l’Écriture, mais il
le fait en homme qui, à travers elle, a perçu la Parole
de Dieu comme vivante et efficace. Pour lui « le libre arbitre
ne peut rien, n’étant rien et ne pouvant rien de bien
sans la grâce ». « Le libre arbitre n’est
rien, c’est un mot vide. Notre volonté est nécessitée
par la Loi divine : il n’y a pas en nous de liberté.
La volonté humaine n’est ni libre, ni autonome : elle
ne peut vouloir que ce que veut son Prince auquel elle est asservie
» (Trad. De Sers, 1936).
Depuis cette époque, ces points de vue opposés se
retrouvent chez tous les grands penseurs. Toutefois, il semble que
l’idée de Liberté se soit imposée chez
le plus grand nombre, dans la société comme dans l’Église,
sans susciter la moindre interrogation…
-De quelques incohérences
Dès que l'on est attentif aux problèmes posés
par l'emploi du mot « liberté », on est frappé
par l'incohérence de propositions souvent formulées
péremptoirement.
Par exemple : « reconnaître la dépendance complète
de la créature par rapport au Créateur est une source
de sagesse et de liberté ».
« L'homme dépend du Créateur. Il est soumis
aux lois de la Création et aux normes morales qui règlent
l'usage de la liberté ».
« L'homme peut vivre, par des actes bons, sa vocation à
la liberté dans l'obéissance à la Loi ».
« La relation confiante et obéissante à la Parole
de Dieu est la source de la liberté » (Assemblée
du Protestantisme).
« Cette liberté n'est pas définitivement acquise,
elle est toujours en devenir ».
« La créature est affranchie du joug du péché.
Désormais, libéré de ce joug, le chrétien
devient l'esclave de Dieu et de Jésus-Christ. Mais cette
domination, loin d'être une négation de sa liberté,
en est l'expression la plus haute » (Dictionnaire Encyclopédique
de la Bible).
« Obéir à Dieu, c'est reconnaître Dieu
comme fondement de ma liberté ».
« En Christ, l'homme peut vivre sa vocation à la liberté
dans l'obéissance à la Loi divine ».
Et pour conclure, ce mot de D. Bonhoeffer : « La liberté
sans obéissance est arbitraire ».
On aimerait comprendre par quel cheminement de la pensée
on peut ainsi associer le mot de liberté à ceux de
complète dépendance, soumission, obéissance
ou esclavage ?
Ne vaudrait-il pas mieux, pour toute l’Église, suivre
le conseil de Calvin en nous abstenant d'employer ce mot piégé
et en revenant à l'enseignement qui nous est transmis à
travers l'Écriture Sainte ?
I- Pas de « liberté » dans l’Ancien Testament
En grec, Eleuthéria signifie « liberté »,
dans tous les sens du terme.
La Septante ne l'emploie qu'une seule fois pour traduire l'hébreu
HPShH au verset 19,20 du Lévitique, dont c'est également
la seule occurrence en hébreu. Même constatation dans
ce même verset pour le verbe : « Si un homme couche avec
une esclave fiancée à un homme, mais non rachetée
de rachat, ou que la « liberté » ne lui a pas été
donnée, une visite sera sur eux. Ils ne mourront pas parce
qu'elle « n'a pas été libérée »
(apéleuthéroô).
Le verbe à l’état simple ne se trouve qu’une
seule fois en grec : « La grâce et l'amitié affranchissent
». Malheureusement cette déclaration ne figure pas dans
le texte hébreu (Proverbes 25, 10).
Pour être complet, on peut noter la présence de 3 autres
termes hébreux de sens voisin dans cinq passages de l'A.T.
Certains spécialistes reconnaissent que la notion abstraite
de « liberté » n'a aucun équivalent dans
l'Ancien Testament.
Les termes employés font état de la libération
d'un esclavage.
« Souviens-toi que tu as été esclave en Égypte.
Yahvé t’a libéré de là, c'est pourquoi
je t'ordonne de faire cette Parole. (Deutéronome 5, 15 ; 15,
15 ; 24, 18 et 22).
On peut donc dire que, libérés de nos esclavages, nous
sommes ordonnés à la Parole de Dieu, « libéré
» ne voulant pas dire « libre ».
On remarquera que, libéré de l'esclavage égyptien,
le Peuple d'Israël n'est pas « libre » pour autant
!
Est-il libre au bord de la Mer des Joncs qui lui ferme le passage
vers la Terre Promise ? (Exode 14, 10-31).
Libre de boire une eau vive à Mara ? (Exode 15, 22-26) ou à
Massa et Mériba ? (Exode 17, 1-7). Libre de préparer
son pain frais chaque matin ? (Exode 16, 1-19).
Libre de vivre à sa guise ?
Et voici les Dix Paroles, Dix Paroles de Vie, gravées sur Tables
de pierre, données à Israël au Sinaï. Paroles
sans cesse dites et redites par l'Israélite fidèle :
« Moi-même, Yahvé, ton Dieu, qui t'ai fait sortir
de la terre d'Égypte, de la maison des esclaves, non, il ne
sera pas d'autres élohim pour toi devant ma face ».
Suivent les Dix Paroles qui précisent les termes de l'Alliance
entre Dieu et son Peuple qu'Il a libéré de l'esclavage
à main forte (Exode 13, 3).
Par ailleurs le nom grec aphésis (45 occ.) signifiant «
action de laisser aller » sert à traduire 13 mots hébreux
évoquant le plus souvent l’affranchissement des esclaves.
Le verbe de même racine (48 occ.) traduit 12 verbes hébreux
ayant pour sens « relâcher, libérer ».
Fréquemment on entend dire que Dieu a créé l’homme
« libre ». Si l’on prend soin de lire le texte, on
peut constater qu'il n'en est rien.
En effet, « Yahvé prend le glèbeux qu'il a formé
et le pose dans le jardin d'Eden pour le servir et veiller sur lui
» (Genèse 2, 15). Or c'est ce verbe qui donne en hébreu
le nom de `BeD, c'est-à-dire « esclave ».
« Puis Yahvé ordonne au glèbeux pour dire : de
l'arbre de la connaissance du bon et du mauvais, tu ne mangeras pas…
sinon tu mourras, tu mourras ».
Le glèbeux est donc bien « ordonné » à
cette Parole qui constitue la sauvegarde de sa vie.
Mais il entend une autre voix qui lui dit : «Tu ne mourras pas
mais tu seras comme Elohim... ». La Parole de Vie est alors
rejetée afin d'écouter un autre « dire »
qui la contredit.
Il en sera de même pour Caïn qui rejette la Parole de Yahvé
et tue son frère.
Si nous acceptons que ces textes s'adressent à nous, nous pouvons
discerner que nous ne sommes pas « libres », mais que
nous avons été posés dans le jardin de la Création,
que nous sommes ordonnés à une Parole qui nous conduit
à « servir et garder » cette Création, et
non pas à nous en servir et à la dégrader comme
nous le faisons, malgré tant de mises en garde.
ESCLAVE : un terme à réhabiliter
Discrédité à juste titre par l'Histoire et un
passé odieux, il est certes risqué d'employer aujourd’hui
ce mot de mauvaise réputation !
On peut pourtant être reconnaissant en constatant que deux traductions
récentes s'efforcent de lui redonner sa place dans l'Écriture,
Bayard et la Nouvelle Segond.
Les textes bibliques nous donnent une image assez éloignée
de celle véhiculée par ce mot aujourd'hui en français.
En effet c’est l’idée tout à fait fondamentale
d’ « être à… » que le mot «
esclave » (900 occ. dans l'A.T.) nous communique. Certes l'esclave
« est » corps et âme au maître qui l'a acheté.
Mais si celui-ci le blesse, il doit l'affranchir (Exode 21, 26-29).
S'il s'agit d'un hébreu, il devra le libérer la septième
année, sans rien exiger de lui (Exode 21, 8-11).
Les droits d'une esclave, devenue concubine, sont clairement définis
(Exode 21, 8-11).
Un esclave pouvait épouser la fille de son maître (Exode
21, 9) et même hériter de lui (Genèse 15, 3).
Ces textes concernent uniquement des esclaves achetés à
prix d'argent. Mais dans l’Ancien, comme dans le Nouveau Testament,
l'emploi de ce mot est beaucoup plus étendu.
Par exemple, au sens large, le vassal ou le ministre d'un roi porte
le titre d'esclave car il « est » de la maison de son
seigneur. Le plus souvent nos versions traduisent par « serviteur
» là où les textes emploient le mot « esclave
».
II- « Esclave » dans le Nouveau Testament
Doulos, « esclave » (124 occurrences), et le verbe douleuô,
« être esclave » (26 occ.), sont, là aussi,
généralement traduits par « serviteur »
et « servir ». Les fidèles, comme les apôtres,
sont pourtant appelés « esclaves du Seigneur »
sans que cela soit considéré comme dégradant
!
Jésus lui-même, bien que Fils de Dieu, « a pris
forme d'esclave » selon le texte de Philippiens 2,6-11, considéré
comme l'une des premières confessions de foi de l'Église.
« Personne ne peut être esclave de deux maîtres,
dit Jésus, vous ne pouvez être esclaves de Dieu et de
Mamon » (Matthieu 6, 24. Trad. Nouvelle Segond).
En général nous pensons que l'esclave « appartient
» à son maître. Or il est assez significatif de
constater qu'il n'y a pas de verbe « appartenir » ni en
hébreu, ni en grec, ni en latin classique ! L'idée d'appartenance
ne s'exprime pas en termes d' « avoir » ou de «
possession », mais en terme d' « être ».
« Ne savez-vous pas que votre corps est le temple du Saint-Esprit
que vous tenez de Dieu ; vous n'êtes pas à vous-mêmes.
Vous avez été rachetés à grand prix. Glorifiez
donc Dieu dans votre corps et dans votre esprit qui sont de Dieu »
(I Corinthiens 6, 19-20, d'après certains manuscrits).
On peut observer un certain glissement dans l'utilisation du nom «
esclave » en passant des Évangiles aux Épîtres.
En effet Jésus emploie ce terme uniquement lorsqu'il s'agit
de notre « service » du Seigneur ou du prochain. Les rédacteurs
des Évangiles ne l'utilisent que pour parler de l'esclave du
Grand-Prêtre frappé par Pierre.
Par contre, dans les Épîtres, il désigne les esclaves
d'un maître (une vingtaine d'occurrences) ou bien ceux qui sont
esclaves du péché, de l'impureté, de la corruption
ou de l’injustice, mais il ne désigne que très
rarement notre service, par exemple pour Paul : « Libre à
l'égard de tous, je me suis fait l'esclave de tous afin de
gagner le plus grand nombre » (1 Cor. 9, 19).
Ou bien : « Nous proclamons que Jésus-Christ est le Seigneur
et que nous-mêmes sommes vos esclaves à cause de Jésus
» (II Cor.4, 5).
Certes, il est vrai que Jésus a dit aux siens : « ceci
est mon ordre, ou ma recommandation : Aimez-vous les uns les autres
comme je vous ai aimés. Vous êtes mes amis si vous faites
ce que je vous recommande. Je ne vous appelle plus « esclaves
», je vous appelle « amis » parce que tout ce que
j 'ai entendu auprès de mon Père, je vous l’ai
fait connaître » (Jean 15, 14-15). Toutefois on notera
que Jésus dit cela à ceux qui suivent son ordre ou sa
recommandation et qui, tels les sarments, demeurent attachés
au Cep dont ils reçoivent la sève qui les fait vivre.
Même s'il nous appelle « amis », nous ne sommes
pas « libres » pour autant car nous sommes liés
à Lui et soumis à sa Parole d'Amour.
Parce que nous avons été rachetés à grand
prix, nous sommes désormais « de Christ », Lui,
notre Libérateur, notre Rédempteur, notre « Goël
» (celui qui nous rachète).
Nous sommes « de Lui », « à Lui »,
« pour Lui ». Si nous rejetons sa Seigneurie sur nous,
alors nous sommes à nouveau à nous-mêmes, esclaves
de nous-mêmes et du monde.
Et cela nous conduit à « l'illusion de notre libre arbitre
», comme le notait Spinoza…
Approfondissement de la notion d’esclavage
L'Écriture ne limite pas l'emploi du mot « esclavage
» à la description de la relation entre maître
et serviteur. En effet elle met en lumière tout ce qui peut
nous rendre esclaves de nous-mêmes, des êtres, des choses,
des idées reçues, dès que nous rompons l'alliance
avec notre unique Seigneur.
En premier, tout ce qui vient de nous-mêmes : nos passions
qui nous asservissent et engendrent nos fautes (Jean 8, 33-35) ;
nos désirs et nos convoitises (Tite 3, 3) ; notre ventre
(Romains 16, 18) ou la crainte de la mort (Hébreux 2, 15)…
Mais aussi les choses extérieures, par exemple les éléments
du Monde : les jours, les mois, les temps favorables ou non, les
années ou les signes du zodiaque (Galates 4, 8-11) ; et tout
ce que notre génie est capable de réaliser, aussi
bien les objets que les innombrables lois, sans cesse développées
par les Lévites de tous horizons, qui nous rendent esclaves
de la Lettre d'une Loi qui tue en nous la vie de l'Esprit ! (Galates
2, 4 ; Romains 7, 6-25).
Et sans doute, par-dessus tout, ce tyran implacable fabriqué
de nos mains et auquel, seul, notre esprit donne valeur, pouvoir
et puissance : l'argent, symbole de l'Avoir qui détruit l'Être.
« Personne ne peut être esclave de deux Seigneurs »,
nous redit Jésus.
Pour Lui, nous ne pouvons pas être, en même temps, esclaves
du Dieu de notre Salut et esclaves d'une de ces puissances de l'air
qui nous tiendrait sous sa coupe (Éphésiens 2, 2).
Pour Jésus, c'est l'un ou l'autre, il n'y a pas de position
intermédiaire.
A tous ces esclavages mis en lumière par l'Écriture,
il conviendrait d'ajouter ceux de notre temps : alcool, tabac, drogues
; dérives sexuelles admises comme normales ; modes et conformismes
de tous ordres ; tyrans et gourous…
Affirmer que « nous ne sommes esclaves de rien ni de personne
» (Jean 8, 33) et nous prétendre « libres »
revient donc à dire que nous ne nous connaissons pas nous-mêmes.
Saint Paul montre avec force combien « la chair désire
et convoite contre l'esprit et l'esprit contre la chair. En effet
ceux-ci s'opposent l'un à l'autre afin, qu'éventuellement,
vous ne réalisiez pas ce que vous voudriez » (Galates
5, 17 ; 1 Corinthiens 2, 14).
Mais « si nous sommes conduits par l'Esprit, nous ne sommes
plus sous la Torah. Si nous marchons par l'Esprit, nous n'accomplirons
d'aucune manière le désir de la chair. Or les oeuvres
de la chair sont évidentes... et ceux qui les commettent
n'hériteront pas du règne de Dieu.
Mais le fruit de l'Esprit est amour, joie, paix, bonté, bienveillance,
foi, douceur et maîtrise de soi, ce contre quoi la Torah n'est
pas » (Galates 5, 16-26).
Ainsi Paul fait une distinction entre « les œuvres »
(erga) de la chair, c'est-à-dire ce qu'elle produit d'elle-même,
et « le fruit » (carpos) de l'Esprit, ce que l'Esprit
fait naître en nous.
Cette analyse ne laisse pas de place à ce que nous nommons
notre « liberté »…
III- « Libération, Salut et Rédemption »
dans l’A.T.
Le vocabulaire biblique est d'une grande richesse pour décrire
cette libération.
Dans le texte hébreu, on peut relever une trentaine de verbes
qui en expriment chacun l’un des aspects.
Dans la Septante, ils sont essentiellement traduits par 5 verbes grecs,
chacun d’eux servant à rendre plusieurs termes hébreux.
1- Sôzô : « sauver », 328 occ. Traduit 15
verbes hébreux, dont :
a) ISh° : « sauver, secourir », à l'origine
du nom de Jésus.
« Sauve-moi à cause de ton amour » (Psaume 6, 5).
b) MLT : « sauver, délivrer ».
« Délivrez-moi de la main de l'ennemi » (Job 6,
23).
2- Rhuomai : « arracher à un danger », 180 occ.
Traduit 10 verbes hébreux dont:
a) NSL : « délivrer, sauver ».
« Et vous dites : nous sommes sauvés » (Jérémie
7, 10).
b) G’L : « racheter, délivrer, affranchir ».
Donne : Goël, le vengeur, le libérateur.
« Dites : Yahvé a délivré son serviteur
Jacob » (Ésaïe 48, 20).
3- Boêthéô : « venir au secours »,
85 occ. Traduit 10 verbes hébreux, dont :
ZR : « secourir ».
« Jusque-là, Yahvé nous a secourus » (I
Samuel 7, 12).
4- Exairéô : « délivrer, arrache »r,
136 occ. Traduit 15 verbes hébreux dont :
a) NSL : « délivrer, sauver ».
« Toi, tu auras sauvé ton âme » (Ezéchiel
3, 19).
b) MLT : « sauver, délivrer ».
« Le Roi nous a délivrés de la main de nos ennemis
» (II Samuel 19, 10).
5- Lutroô : « racheter, délivrer », 98 occ.
Traduit 9 verbes hébreux dont :
a) G’L : « racheter, délivrer, affranchir, rédimer
».
« Moi, Yahvé, je vous « délivre »
ou « rédime » à bras étendus »
(Exode 6, 6).
b) PDH : « racheter, délivrer ».
« Tu rachèteras tout premier-né de tes fils »
(Exode 34, 20).
« Yahvé te délivre de la maison des esclaves »
(Deutéronome 7, 8).
Ainsi, pour l’ensemble des verbes hébreux les plus usités,
le sens qui domine est celui de « sauver » ou «
délivrer ». Il en est de même pour ceux de faible
occurrence. Parmi les verbes cités, seuls deux d’entre
eux ont également le sens de « racheter, rédimer
».
Même si les paroles de délivrance et de salut font souvent
mémoire de la libération de l’esclavage en Égypte,
la promesse faite à Israël de la venue d’un Libérateur
est toujours bien présente au cœur de l’espérance
juive.
On peut la résumer dans cette parole d’Ésaïe
: « Il viendra Lui-même et vous sauvera » (35, 4).
C’est sur cette promesse que repose la question angoissée
de Jean-Baptiste emprisonné :
« Es-tu Celui qui vient ou bien devons-nous en attendre un autre
? » (Matthieu 11, 3 ; Luc 7, 19).
Accomplissement de cette attente dans le N.T.
Le projet libérateur, annoncé par Yahvé, va
s’inscrire dans une Nouvelle Alliance.
Celle-ci va se traduire à travers les mots utilisés
lors de la Première Alliance, mais ils vont recevoir dans
les « dires » et les actes du Messie la plénitude
de leur signification.
Nous retrouvons donc dans le Nouveau Testament les verbes que nous
avons relevés dans l’Ancien.
1- Sôzô : « sauver » (108 occ.), verbe dont
sont issus Sôtêr « Sauveur », et Sôtêria
« salut ».
Cette racine est déjà présente dans les paroles
adressées par le Messager à Joseph : « Marie
enfantera un Fils. Tu l’appelleras Jésus (c’est-à-dire
: « Yahvé sauve »). Lui en effet sauvera son
Peuple de ses fautes » (Matthieu 1, 21).
De même dans la prophétie de Zacharie (Luc 1, 69 ;
71 ; 77), où figurent également les verbes Lutroô
v. 68 et Rhuomai v. 74.
Elle est au cœur de l’évangile de Noël : «
Aujourd’hui est né pour vous, dans la ville de David,
un Sauveur qui est le Christ (Messie) Seigneur » (Luc 2,11).
En conclusion de sa rencontre avec Zachée, Jésus dit
: « Aujourd’hui le salut est venu dans cette maison,
car le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui est
perdu » Luc 19, 9-10). En effet, « Dieu n’a pas
envoyé son Fils dans le Monde pour juger le Monde mais pour
que le Monde soit sauvé par lui » (Jean 3, 17).
Les Samaritains ont été parmi les premiers à
saisir cette révélation lorsqu’ils disent à
la femme : « Ce n’est plus sur ton dire que nous croyons,
car nous-mêmes nous avons entendu et nous savons que Celui-ci
est vraiment le Sauveur du Monde » (Jean 4, 42).
A la femme ayant une perte de sang (Marc 5, 34), à la femme
fautive (Luc 7, 48-50), au lépreux samaritain (Luc 17, 19)
ou bien à l’aveugle de Jéricho (Marc 10, 52),
Jésus dira, alors qu’ils ont été guéris
: « Ta foi t’a sauvé ».
Après la Pentecôte, les Apôtres proclament ouvertement
leur foi devant le Sanhédrin en disant : « Jésus,
la pierre méprisée par vous, les bâtisseurs,
est devenue la tête de l’angle. Le salut n’est en
aucun autre. En effet il n’est sous le Ciel d’autre nom
donné parmi les hommes par lequel il nous faut être
sauvés » (Actes 4, 10-12).
Paul nous donne son témoignage personnel en disant : «
C’est une parole digne de foi et d’une entière
acceptation : le Christ Jésus est venu dans le Monde pour
sauver les fautifs, dont je suis, moi, le premier » (I Timothée
1, 15).
2- Rhuomai : « arracher, délivrer, libérer,
sauver » (17 occ.)
Ce verbe se trouve dans le Notre Père : « Ne nous emporte
pas jusque dans l’épreuve, mais arrache-nous du mauvais
» (Mathieu 6, 13).
Après avoir recouvré sa voix, Zacharie prophétise
ainsi : « Béni soit le Seigneur, le Dieu d’Israël,
parce qu’Il a visité son Peuple et qu’Il accomplit
sa libération (lutrôsis). Il nous a suscité
une corne de salut (sôtêria) dans la maison de David,
son serviteur… afin qu’arrachés de la main de nos
ennemis nous Le servions dans la consécration et la justice
» (Luc 1, 68-75).
Auprès de la Croix, grands prêtres, scribes et anciens
se moquent de Jésus en disant : « Il en a sauvé
d’autres et il ne peut se sauver lui-même… Il s’est
confié en Dieu ; que Dieu le délivre maintenant, s’Il
l’aime » (Matthieu 27, 42-43).
3- Boêthéô : « venir au secours »
(8 occ.)
« Si tu peux quelque chose, viens à notre secours »
supplie le père de l’enfant muet (Marc 10, 9-22).
4- Exairéô : « délivrer » (6 occ.)
« J’ai vu la misère de mon peuple en Egypte…
et je suis descendu pour le délivrer…
Ce Moïse qu'ils avaient renié..., c'est lui que Dieu
a envoyé comme chef et rédempteur », déclare
Etienne devant le Sanhédrin (Actes 7, 34-35).
« Grâce et Paix à vous de par Dieu, notre Père,
et du Seigneur Jésus-Christ, qui s'est donné lui-même
pour nos fautes, afin de nous arracher du présent monde mauvais
», écrit Paul dans sa salutation aux Galates (1, 3-4).
5- Agorazô et exagorazô : 8 occurrences dans le sens
de « racheté par Christ ».
La LXX n’emploie pas ce verbe dans un sens spirituel, sauf
dans cette prophétie d’Ésaïe : « Vous
tous qui avez soif ! venez vers l'eau, même celui qui n'a
pas d'argent ! Venez, achetez et mangez... sans argent, sans rien
payer (55, 1).
Paul s'adressant aux Corinthiens leur dit : « Ne savez-vous
pas que votre corps est le temple du Saint-Esprit qui est en vous
? Vous le tenez de Dieu, vous n’êtes donc plus à
vous-mêmes. En effet vous avez été rachetés
à grand prix. Glorifiez donc Dieu dans votre corps et dans
votre esprit qui sont de Dieu » (1 Cor. 6, 19-20, d'après
certains manuscrits).
6- Lutroô et ses dérivés : « délivrer
», parfois en versant une rançon, « rédimer
».
« Le Fils de l'homme n'est pas venu pour être servi,
mais pour servir et donner sa vie en rançon (lutron) pour
beaucoup » (Matthieu 20, 28).
« Nous espérions que c'était lui qui délivrerait
Israël », avouent tristement les pèlerins d'Emmaüs
» (Luc 24, 21).
Le plus grand nombre des versions traduisent ainsi. Quelques-unes
s’en tiennent à la notion de « rachat »
: Sacy, Pléiade, A. Chouraqui, Osty, Bayard, Nouvelle Segond.
Le verbe ancien « rédimer » réapparaît
dans quelques versions récentes qui le réhabilitent
justement. Il nous vient du latin et a donné en français
« Rédemption et Rédempteur ».
Le verbe grec lutroô a pour racine le verbe luo bien connu
de tous ceux qui abordent cette langue. Il signifie « délier
». D'où les sens du verbe lutroô : « délier,
délivrer, affranchir », mais aussi « racheter
au moyen d'une rançon ».
IV- Du rachat et de la Grâce
Curieusement, depuis longtemps, nous nous sommes habitués
à l’idée de la nécessité d'un «
rachat » pour le pardon de nos fautes, peut-être à
cause de la similitude entre le rachat d'un esclave et notre libération
en tant qu'esclaves du péché (Jean 8, 34 ; Romains 6,
6) ou de la corruption (II Pierre 2, 19).
Pour Israël, comme pour de nombreuses religions, il apparaît
pour ainsi dire nécessaire de payer pour une faute, de verser
une rançon ou d’offrir un sacrifice, afin d’obtenir
notre « rédemption », notre salut ou notre pardon
(Matthieu 20, 28 ; Marc 10, 45 ; 1 Timothée 2, 6).
Or il semble que bien peu de « théologiens » se
soient interrogés pour savoir à qui Dieu, ou bien Jésus,
nous aurait ainsi « rachetés », ou à qui
cette rançon aurait été versée !
Certains ont pensé « qu’il y a là comme une
concession faite au diable et obtenue à la suite d'un marchandage
avec Dieu, afin de le dédommager de la perte de ses droits
sur les pécheurs ».
Ainsi ce Dieu que nous confessons « Unique et Tout-Puissant
» aurait été l’obligé d'un Satan disputant
avec Lui !
D'autre part, quelle est la nature de cette rançon de grand
prix ? S’il s'agit du sang du Fils Unique, quel marché
de dupes puisque le troisième jour notre Sauveur est ressuscité
!
Même si son propre sacrifice était offert à son
Père, en quoi pouvait-il servir à notre rachat dans
la mesure où Dieu nous dit par la voix de son prophète
: « Pourquoi la multitude de vos sacrifices pour Moi ? dit Yahvé,
Je suis rassasié des holocaustes... Je n'ai pas désiré
le sang des agneaux. Quand vous multipliez les prières, je
n'entends pas : vos mains sont pleines de sang » (Ésaïe
1, 10-15).
De même le Psalmiste raconte dans la grande assemblée
la délivrance dont il a été l'objet et il ajoute
: « Sacrifices et holocaustes, tu n'y prends pas plaisir. Tu
m'as ouvert les oreilles : Tu ne demandes ni holocauste ni expiation.
Alors je dis : Je viens pour faire ta volonté… Je dis
ta fidélité et ton salut... Je ne masque pas ton amour
et ta vérité (Psaume 40, 7-11).
Ce passage du Psaume est cité dans l'Épître aux
Hébreux qui conclut ainsi : « Par ce vouloir, nous sommes
mis à part par l'offrande du corps de Jésus, le Messie,
une fois pour toutes » (Hébreux 10, 7-10).
Jésus dit de Lui-même qu'il est le Bon Berger. Or «
le Bon Berger dépose sa vie pour ses brebis. Le Père
m'aime parce que je dépose mon souffle de vie pour le prendre
à nouveau. Personne ne me l'enlève, mais moi je le dépose
de moi-même » (Jean 10, 14 et ss). Et ceci par amour,
car « nul n'a de plus grand amour que celui qui donne sa vie
pour ses amis : vous êtes mes amis si vous faites ce que Je
vous recommande » (Jean 15, 13-14).
Ainsi Jésus dépose sa vie, au lieu de la sauver, au
lieu de se sauver en faisant appel à douze légions de
messagers divins afin d'anéantir ceux qui le rejettent et le
crucifient (Matt.26, 53). Au contraire, sur sa Croix, il prie pour
ceux qui crucifient la Parole faite chair, en disant : « Père,
pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu'ils font " (Luc 23,
34).
Jésus avait prévenu Pierre alors qu'Il accomplissait,
pour lui, le service de l'esclave : « Tu ne sais pas maintenant
ce que je fais, mais tu comprendras après ces choses »
(Jean 13, 7).
A travers ces Paroles nous pouvons comprendre que nous sommes véritablement
sauvés par pure grâce, par amour, sans argent, sans rien
payer, et nous découvrons que nous sommes libérés,
délivrés de ce qui nous retenait en esclavage.
Le totalitarisme de la Loi
« Je dis à mon esclave : Fais cela et il le fait »
(Matthieu 8, 9). Nous avons vu précédemment que le
« Dire » de Dieu était l’une des formes
de l'incarnation de la Parole de Dieu. Il nous permet de l'entendre.
Or, par suite d'une déviation très humaine, on peut
constater que certains de ces « dires » sont interprétés
comme étant des Lois, des ordres, des commandements, des
règles, que les autorités religieuses en place imposent
aux fidèles, les rendant ainsi « esclaves de la Loi
».
En développant ce que Jésus a déclaré
au sujet du Sabbat, on pourrait dire que l'homme n'a pas été
fait pour la loi, mais que toutes les recommandations lui ont été
données pour son bien, pour sa joie, pour son bonheur ! (cf.
Marc 2, 27).
Il est très difficile de nous faire une idée de toutes
les contraintes qui ont été développées
par tous les Docteurs de la Loi, à partir des Dix Paroles
dites par Dieu à son Peuple au pied du Sinaï. En effet,
les Dix Paroles sont devenues 613 commandements fondamentaux, eux-mêmes
explicités par une multitude de préceptes, de règles
ou d'interdits…
Les rabbins en ont pris parfois conscience ! D'où cette réflexion
du Talmud (Haguiga 10a) : « Les travaux interdits le Sabbat
sont comme des montagnes suspendues à un cheveu, car les
indications de la Torah sont minimes et les lois, très nombreuses
! ».
39 travaux de base sont donc interdits le jour du Sabbat, de sorte
que toutes les autres interdictions en découlent. D’où
cette sentence (Chevouth) : « Tous les travaux sont interdits,
afin que personne ne se trompe et n'en vienne à transgresser
l'interdit d'un véritable travail ».
Pour illustrer cet esclavage à la lettre de la Loi, voici
ce que l'on peut lire dans des commentaires rabbiniques.
Chacun sait que toutes les lampes doivent être allumées
avant le début du Sabbat (le vendredi à 18 heures)
et ne peuvent être éteintes qu’après le
Sabbat.
Toutefois, certains rabbins estiment qu'en cas de danger, ou de
gêne pour un malade, on peut éteindre la lampe. «
Mais si on le fait pour économiser la lampe, la mèche
ou l'huile, celui qui éteint la lampe est coupable. Quelques
Maîtres l'absoudraient volontiers dans tous ces cas, sauf
pour la raison suivante : en éteignant la mèche il
a fabriqué du charbon, travail interdit le jour du Sabbat
! ».
On peut penser qu'il s'agit là de considérations datant
des lampes à huile… Eh bien, non ! Lors des conférences
de Strasbourg qui se sont déroulées au cours de l'année
1988, et portant sur les Dix Paroles, on peut lire, dans le volume
qui en rend compte et rapporte toutes les opinions émises
par les Rabbins les plus savants de l'époque, ce passage
concernant les lampes :
« Une personne ouvre la porte du réfrigérateur
le jour du Sabbat. Or cette ouverture déclenche l'allumage
de l'ampoule qui est à l'intérieur ! Bien que cette
personne n’ait pas eu l'intention de déclencher cet
allumage de l'ampoule, il est interdit d'ouvrir la porte du réfrigérateur
pendant le Sabbat » (p.260).
Plusieurs autres travaux sont ainsi examinés. Cela peut nous
apparaître anodin, pourtant il nous faut comprendre que cela
concerne la vie quotidienne d'un grand nombre de Juifs qui pensent
demeurer ainsi fidèles à la volonté de Dieu.
Et n'oublions surtout pas que dans nos Églises dites «
chrétiennes » il existe des dogmes « infaillibles
» et aussi un Droit Canon dont les projectiles ont fait, au
cours de l'Histoire, d'innombrables victimes.
Plusieurs savants juifs font remarquer, aujourd'hui, que le mot
Torah provient d'une racine signifiant : « étendre
la main, montrer, indiquer, instruire, apprendre » !
D'où, pour la Torah, le sens d' « enseignement »,
d' « instruction ».
Au lieu de « commandement », comprenons donc «
recommandation » !
Une telle lecture, acceptée par tous, changerait radicalement
toutes nos conceptions légalistes avec tout ce qu'elles entraînent
de détresses.
Depuis notre enfance nous entendons parler de la loi de Moïse,
ou des Dix Commandements, même si nos liturgies actuelles
les laissent pieusement de côté !
En réalité nous oublions tout simplement le sens du
mot « décalogue » qui signifie « Dix Paroles
».
Cette déviation est également mise en lumière
lorsque nous nommons le 5ième livre de la Torah « Deutéronome
», c'est-à-dire « la Deuxième Loi »,
alors qu'en hébreu il porte le nom de « Paroles »
!
Ainsi, à travers ces déviations, le fidèle
est bien souvent devenu l'esclave d'une Loi décrétée
par les hommes…
Généralement nous ne donnons que peu d'importance
à l'introduction des Dix Paroles.
Pour Maïmonide, ces mots : « Moi-même, Yahvé,
ton Dieu, qui t’ai fait sortir de la terre d'Égypte,
de la maison des esclaves » devraient être considérés
comme le premier ordre donné au Peuple d'Israël : «
reconnaître Yahvé comme son seul Dieu sauveur ».
Un Dieu qui délivre, qui libère, qui arrache son Peuple
de cette maison des esclaves en le faisant sortir par la porte dont
les bois sont oints du sang de l'Agneau Pascal.
Avant de prononcer les Paroles qui vont sceller son Alliance avec
son Peuple, Yahvé a agi envers lui comme étant son
Libérateur et son Rédempteur.
Cet arrachement des esclaves à leur esclavage est le préalable
absolu à toute possibilité d'écoute des Paroles
de l'Alliance.
Dès lors, alliés du Dieu Sauveur, « il nous
est impossible de… ».
C'est en effet, pour certains auteurs, le sens de l'adverbe hébreu
L’o, qui introduit neuf des dix Paroles. Cet adverbe implique
une impossibilité : « parce que je t'ai libéré,
il t'est impossible d'avoir un autre Dieu que Moi ou de te fabriquer
une idole, sans retomber immédiatement sous leur esclavage
».
Il en est de même pour les autres Paroles.
V- Une seule Parole !
Rabbi Ismaël témoigne d’une intuition spirituelle
assez étonnante lorsqu’il écrit dans sa Mekhilta
sur l'Exode : « Nous apprenons que Yahvé a dit les Dix
Paroles en UNE SEULE, ce qui n'est possible ni à la chair ni
au sang. Puis Il se reprit et expliqua chaque Parole pour elle-même.
Toutes les autres Paroles qui sont dans la Torah furent dites en une
seule Parole et chaque Parole pour elle-même ! »
On peut rapprocher cette image de ce que dit Jésus : «
Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute
ton âme et de toute ta pensée. Telle est la première
et la plus grande des recommandations. Mais la deuxième lui
est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. A ces
deux recommandations sont suspendus toute la torah et les prophètes
» (Matthieu 22, 37-40).
Paul se fonde sur cet enseignement de Jésus lorsqu'il écrit
aux Galates :
« En effet toute la Loi a été accomplie en une
seule Parole, en celle-ci : Tu aimeras ton prochain comme toi-même
» (Galates 5, 14).
Ainsi, en suivant cette intuition des rabbins, Yahvé n'a dit
qu'un seul mot qui contient toutes les Paroles, toute la Parole, et
ce seul mot ne saurait être qu’Amour, car « Dieu
est Amour » (I Jean 4, 8).
« L’aimer » un nom verbal
Pour certains spécialistes, les noms hébreux sont
en réalité des formes verbales. Ainsi l’infinitif
est-il un « véritable substantif verbal ».
On en trouve des exemples dans d’autres langues et aussi en
français.
Par exemple : le manger, le boire, le vouloir et le faire.
Cette forme grammaticale servait, à l’origine, à
exprimer « le fait de… ».
Les poètes poétisent sans fin sur l’Amour ! Mais
pour l’Écriture, ‘aHaBaH, infinitif du verbe «
aimer », n’est pas l’Amour avec un grand A, mais
bien « le fait d’aimer ».
Ainsi Dieu n’est pas « Amour », mais bien «
le Dieu qui aime », et Celui qui m’a aimé le premier
!
Certaines traductions nous permettent de saisir cette distinction.
Par exemple en Deutéronome 7, 8 : « Oui, par l’amour
que Yahvé vous porte… Il vous a rachetés de la
maison des serfs » (A. Chouraqui) ; ou « C’est
parce que le Seigneur vous aime qu’Il vous a libérés
de la maison des esclaves » (Nouvelle Segond).
Ou bien I Samuel 18, 3 : « Jonathan tranche un pacte avec
David en son amour pour lui »
(A. Chouraqui) ; ou « …parce qu’il l’aimait
comme lui-même » (Nlle Segond).
Pour l’hébreu, l’amour n’est pas une merveilleuse
abstraction, mais, tout comme la Parole, il est un « agir
», un acte concret.
haut 
Agapê : un nom à part
Le substantif grec agapê est employé 18 fois dans
la LXX pour traduire l’hébreu ‘aHaBaaH, et on le
trouve 117 fois dans le N.T. !
Ce nom apparaît pour la première fois, en grec, dans
la LXX, ce qui montre avec quel soin et quel souci ses traducteurs
ont travaillé. Ce nom offre en effet la particularité
d’avoir appartenu exclusivement à la langue de la Bible
et à celle des chrétiens durant les premiers siècles
de notre ère.
Bibliquement, agapê traduit donc de façon privilégiée
la relation entre Dieu et le Monde, mais aussi celle entre les humains
à l’écoute de sa Parole.
Jean est sans doute le disciple qui a ressenti le plus profondément
cette révélation, par exemple lorsqu’il nous
dit : « Celui qui n’aime pas ne connaît pas Dieu,
car Dieu, Lui, est Agapê »
(I Jean 4, 8).
Cette Agapê se trouve donc au coeur de notre connaissance
de Dieu. Mais au cours des âges cette Parole a été
comprise comme étant des lois, des commandements, des règles
ou des dogmes auxquels les fidèles devaient se soumettre
sous peine d'excommunication.
Cette pente naturelle a abouti à bien des excès comme
l'Inquisition ou les guerres de religion, ce qui a pu pousser certains
fidèles à s'affranchir du poids de ces règles
pour finalement les rejeter toutes.
Ainsi cette proclamation qui a abondamment fleuri en Mai 68 : «
Il est interdit d'interdire ! ». Un bon mot devenu comme un
dogme qui pourtant se détruisait de lui-même, car «
s'il est interdit d'interdire », en tout premier « il
est interdit d'interdire d’interdire» etc.
La voie par excellence
A l'écart de tous les intégrismes et de tous les
laxismes, une autre voie a été offerte à l'humanité
et consignée dans l'Écriture dès la rédaction
du cinquième livre de la Torah : « Paroles ».
Moïse dit à son Peuple : « Écoute Israël,
Yahvé, notre Dieu, est Un. Tu aimeras Yahvé, ton Dieu,
de tout ton coeur, de toute ton âme et de toute ta force »
(Deutéronome 6, 4-5).
Ou bien encore : « Et maintenant, que te demande Yahvé,
ton Dieu, sinon de le révérer, d'aller dans toutes
ses voies, de l'aimer et de le servir de tout ton coeur et de tout
ton être ? » (10, 12).
Sauf erreur, c'est la seule DEMANDE que Yahvé adresse à
son Peuple, avec son parallèle de Michée 6, 8.
Le Deutéronome emploie le verbe Sha'aL qui signifie «
mander, demander », mais aussi « prier, mendier ».
La LXX le traduit par aitéô qui a pour sens «
demander ».
Notre verbe français est issu du latin mandare qui, vraisemblablement,
provient de « manus dare », c'est-à-dire «
mettre dans la main, confier ». Il s'agissait, à l'origine,
d'une chose ou d'une parole que l'on confiait à quelqu'un.
De ce verbe sont issus : commander, commandement, mais aussi : recommander,
recommandation.
On peut donc penser que cette Parole du Deutéronome est la
recommandation par excellence que Yahvé nous confie, nous
met en main, et qui constitue le fondement de l'alliance qui nous
unit à Lui. Une alliance fondée, non sur une Loi,
mais sur une Parole d'amour.
Lorsque cette Parole est entendue et reçue en vérité,
elle nous construit, nous charpente, nous édifie à
l'intérieur même de notre être : coeur, esprit,
âme.
Elle fait de nous des êtres « responsables »,
c'est-à-dire capables de répondre de cette écoute
de la Parole et des actes qui en découlent.
A l'opposé, la Loi peut apparaître comme un ensemble
inextricable d'étais, d'échafaudages, de contreforts,
destinés théoriquement à nous maintenir debout,
grâce à des artifices extérieurs à nous-mêmes...
Seule la Parole d'Amour est une vraie Bonne Nouvelle, totalement
neuve et offerte à tous.
En effet, l'Agapê ne peut, en aucune manière, être
commandée. L'amour ne dépend pas d'un commandement
qui nous serait donné. Il est impossible à l’homme
d'aimer sur « ordre » !
Si j'aimais ainsi, ce serait un amour de pacotille. Ce que Jésus
nous recommande, la Parole qu'il nous confie, c'est d'aimer notre
Seigneur et de nous aimer les uns les autres comme Il nous a aimés.
Jésus a incarné cette Parole jusqu'à la Croix,
car « il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie
pour ceux que l’on aime ».
La Loi, représentée dans toute sa rigueur par le Grand-Prêtre
et par le Sanhédrin, ne pouvait pas coexister avec cette
Bonne Nouvelle de l'Agapê et de la Grâce, car cette
Bonne Nouvelle met en péril la Loi, les sacrifices et le
Temple lui-même !
Comment comprendre, pour celui qui est esclave de la Loi, que c'est
sur cette Croix que tout est amené à la perfection
? (cf. Jean 19, 28-30)
Lorsque Jésus dit : « Père, pardonne-leur, car
ils ne savent pas ce qu'ils font » (Luc 23, 34), comment saisir
que « Dieu a tellement aimé le Monde qu’Il a donné
son Fils, son Unique, pour que tout homme se confiant en Lui ne
soit pas perdu, mais qu'il ait la vie à jamais » (Jean
3, 16) ? Ainsi « la plénitude (plêrôma)
de la Loi, c'est l'amour » (Romains 13, 10).
« Christ est la fin (télos) de la Loi » (Romains
10, 4).
La fin ? Quelques années plus tard, le Temple sera détruit,
l’autel renversé, les sacrifices totalement interrompus,
jusqu'à ce jour !
Comment imaginer que les Dix Paroles, gravées sur les Tables
de pierre, déposées dans l'Arche de l'Alliance, placée
elle-même au-delà du voile dans le Saint des Saints,
où le Grand-Prêtre ne pénètre qu'une
fois par an pour la fête de Kippour (Lévitique 16),
vont disparaître et seront désormais écrites
sur des coeurs de chair ?
Et pourtant les Prophètes avaient annoncé une autre
forme d'Écriture : « Voici les jours viennent où
Je conclurai une Alliance Neuve. Je ferai pénétrer
ma Torah en eux. Je l'écrirai sur leur cœur ; Je serai
leur Dieu, et eux, ils seront mon peuple » (Jérémie
31, 33).
Ou bien encore : « Je vous donnerai un cœur neuf et un
souffle neuf au-dedans de vous. J'enlèverai le cœur
de pierre de votre corps et je vous donnerai un cœur de chair.
Je mettrai mon Souffle en vous et je ferai que vous marchiez dans
mes statuts et que vous gardiez mes ordonnances et les pratiquiez
» (Ézéchiel 36, 27).
Celui qui met toute sa confiance en Christ découvre que cette
promesse a été tenue et s'est accomplie en Jésus.
Un Pacte neuf, ou une Alliance Nouvelle, a été scellé
sur la Croix, signe manifeste de son amour pour nous.
Toute la Loi est non seulement accomplie, mais l'acte qui nous était
contraire, Jésus l'a effacé en le clouant sur la Croix
(Colossiens 2, 14).
C'est ainsi que notre Sauveur nous sauve par pure grâce et
que notre Rédempteur nous libère de nos esclavages.
Nous sommes « libérés », mais non pas
« libres » puisque nous sommes de Sa Maison, ordonnés
à sa Parole.
Nous sommes à Son service et au service de nos prochains
et de la Création, non par obligation, mais par amour.
Nous sommes participants de la venue de Son Règne.
Pour le monde, c'est une utopie absolue, même si des signes
lui sont donnés.
En effet « Dieu a trouvé bon de sauver ceux qui se
confient en Lui par la folie de la proclamation… Nous, nous
proclamons Christ crucifié, scandale pour les Juifs, folie
pour les païens... mais pour les appelés : puissance
et sagesse de Dieu, car la folie de Dieu est plus sage que les hommes,
et la faiblesse de Dieu est plus forte que les hommes » (I
Cor. 1, 21-25).
Si nous réfléchissions un instant, nous pourrions
découvrir que lorsque l'amour triomphe, il n'y a plus ni
violences, ni guerres, ni police, ni tribunaux, ni riches, ni pauvres.
Mais c’est tellement impensable que nous nous en libérons
en le renvoyant aux temps eschatologiques !
« Cependant quand le Fils de l’homme viendra, trouvera-t-il
la foi sur la Terre ? », se demande Jésus (Luc 18,
8).
Ne parlons plus de « Liberté », mais soyons les
témoins de notre « Libération » !
Ne proclamons plus que nous sommes « libres », mais
vivons dans ce Monde en êtres « libérés
» par grâce !
Pour chacun de ses enfants, c’est « ici et maintenant
» que le Règne de Notre Père s’établit
dans nos cœurs. Cette utopie, par la puissance de l’Esprit,
devient alors notre vécu et ainsi des signes sont posés
dans le Monde qui a perdu ses repères. C’est l’un
des enjeux de notre vie.
Il fait aussi partie d’une Joie et d’une Paix qui nous
sont offertes à tous, par Amour.
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