Les 5 chapitres qui suivent synthétisent
une recherche décidée au moment de ma retraite pastorale,
voilà près de 30 ans, afin de me donner une raison de
travailler !
C’est donc un travail d’« ancien », pour qui
le temps ne compte plus de la même façon… Toutefois
cette recherche repose sur plus de 70 années d’écoute,
de lecture, et d’étude de l’Écriture. Assez
tôt en effet, j’avais éprouvé le besoin de
retrouver le sens premier et profond de tous ces mots d’un langage
théologique et ecclésiastique alors nouveau pour moi,
et de l’étudier donc d’abord dans le grec, puis dans
l’hébreu. Comme j’aimerais, aujourd’hui encore,
mieux connaître ces langues !
Grâce à certains grands Rabbins « modernes »,
j’ai pu cependant découvrir quelques points du génie
de la langue et de la pensée juives qui me semblent indispensables
pour comprendre ces vieux textes…qui deviennent si neufs lorsqu’ils
nous transmettent la Parole.
Les exemples suivants permettront d’éclairer sommairement
quelques-uns de ces points :
-la notion de temps :
dans la conjugaison d’un verbe hébraïque, il n’y
a pas de « présent », car un présent absolu
n’est qu’une fiction de l’esprit, à moins que
la Terre ne cesse de tourner !
Pour l’hébreu, c’est la valeur aspectuelle qui
prédomine, aspect accompli, ou achevé / aspect inaccompli,
ou inachevé, ce qui oblige à bien situer l’action
engagée par la forme verbale dans un temps qui passe…
-les formes nominales :
pour certains spécialistes de l’hébreu, «
les noms sont des formes verbales », comme on emploie en français
« le boire, le manger, ou le dire ». Mais comme les verbes
en hébreu expriment toujours une action ou un état concret,
cette langue ne connaît pratiquement pas de noms abstraits.
C’est donc l’hellénisation de la pensée hébraïque,
développée en particulier par la traduction de l’Ancien
Testament en grec (la « Septante » -LXX-, réalisée
vers 250 av. J .C. à Alexandrie), qui a introduit des termes
abstraits totalement étrangers à la culture juive originelle.
Si certains penseurs voient là « un enrichissement considérable
du champ sémantique » de l’Ancien Testament, d’autres,
au contraire, pensent qu’il s’agit là « d’une
transformation radicale de la pensée juive » !
En voici une illustration : le mot hébreu ‘oLaM vient
d’une racine signifiant « être caché, ignoré
» et il désigne « un temps inconnu, inconnaissable
».
Pour le traduire en grec, la LXX emploie le mot aiôn, c’est-à-dire
« éternité », un nom totalement abstrait…Et
cette traduction nous conduit à chanter de tout notre cœur
: « Et d’éternité en éternité,
Amen », comme s’il était possible de mettre une éternité
au bout d’une éternité !
Pour l’intuition juive, ‘oLaM est un « temps inconnu
», inconnaissable pour nous, créatures qui vivons dans
une création par laquelle est né notre temps.
On peut rapprocher ce mot hébreu de la réponse du messager
divin faite à Manoah lorsque celui-ci lui demande son nom : «
Pourquoi me demandes-tu mon nom ? Il est caché, secret, trop
prodigieux pour le dire » (Juges 13, 18).
La traduction hébraïque du Nouveau Testament emploie ce
même mot pour rendre l’inscription découverte par
Paul sur l’un des autels d’Athènes dédié
« au Dieu inconnu », ou, plus vraisemblablement, «
au Dieu inconnaissable ».
De même on sait, grâce à certaines versions, que
Dieu est le plus souvent désigné par le tétragramme
sacré : IHVH, qu’un juif fidèle ne prononce jamais.
Quant à nous, nous disons « Yahvé » ou «
Jéhovah », forme d’un verbe « être ».
Certains spécialistes estiment pourtant que l’hébreu
emploie 2 verbes « être » : l’un, HaIaH, signifiant
« naître, devenir, exister ».
Par exemple, « Dieu dit : Une lumière sera, et c’est
une lumière » (Genèse 1, 3) ; ou lorsque Moïse
demande son nom à Celui qui lui parle, il lui est répondu
: « Je serai qui je serai ».
L’autre, HaVaH, sans lien avec HaIaH, et que l’on lit aussitôt
après la citation qui précède : « Tu diras
aux enfants d’Israël : Yahvé (= forme du verbe HaVaH),
le Dieu de vos pères, m’a envoyé vers vous »
(Exode 3, 14-15).
Ce verbe, exclusivement réservé à Dieu, exprimerait
« l’Être en soi, l’Être par excellence ».
Toutefois on le trouve 6 fois employé pour un usage profane
: Genèse 27, 29 ; Néhémie 6, 6 ; Ecclésiaste
2, 22 et 11, 3 ; Ésaïe 16, 4 ; Job 37, 6.
Pour la pensée juive, « le nom, c’est l’âme,
c’est l’équivalent de la personne elle-même ».
Aussi ne pouvons-nous pas prendre le nom de Yahvé « en
vain », c’est-à-dire pour « vide »,
« creux », « sans substance ». Progressivement,
afin de ne pas risquer de profaner ce nom et par respect pour le Dieu
Unique, les fidèles n’osèrent donc plus prononcer
ce nom.
Plusieurs de nos versions le traduisent par « l’Eternel
», un nom abstrait qui a permis « l’entrée par
effraction de l’ontologie grecque dans la théologie biblique
».
Or « Yahvé » exprimait la totalité de la
foi : en disant « Yahvé », je confesse qu’IL
EST, et je ne peux rien ajouter d’autre…
Comment pourrions-nous savoir QUI Il est, alors qu’Il est «
inconnaissable » ?
Tout ce que nous affirmons dans nos théologies est nécessairement
et uniquement constructions humaines, et spéculations, faites
de mots issus de l’esprit humain…et c’est ainsi que nous
nous sommes fabriqué un Dieu à notre image !
Le Nouveau Testament nous a été transmis en grec pour
une raison simple : dès la destruction du Temple, en 70 ap. J.C.,
les Juifs ont été dispersés dans un monde dont
le grec était la langue commune et dominante. L’Évangile
leur a donc été annoncé en grec, comme aux non-Juifs.
Mais sa pensée reste profondément juive, et lorsque l’on
a la possibilité de lire le Nouveau Testament dans sa traduction
en hébreu, on découvre combien tous ses mots ont leurs
racines dans l’Ancien Testament.
On a cherché à démontrer « l’Unicité
de la Bible » : ce que l’on trouve au travers d’une
telle traduction, c’est son unité toute simple et évidente,
dans ces mots chargés de sens et d’Histoire.
L’hébreu n’a jamais été une langue
morte, grâce à la fidélité des Juifs, et
aujourd’hui, elle revit pleinement en Israël. Mais le grec,
le latin, et toutes les langues des nations, nous ont fait perdre le
contact avec le génie de la langue qui a donné au Monde
la révélation du Dieu UN, de son Amour et de sa Grâce.
Que penserait-on d’un maître qui, chaque semaine, discourrait
sur les textes d’une religion chinoise en se servant de la traduction
en français d’une version anglaise, établie elle-même
à partir d’une version arabe des textes chinois ? Cela ne
paraîtrait guère sérieux…et pourtant, c’est,
mutatis mutandis, ce que nous avons fait et faisons, sans trop de complexes,
lorsque nous méditons les textes de l’Ancien Testament filtrés
par le grec puis le latin (parfois canonique) pour aboutir à
nos nombreuses et diverses traductions en français…
Espérons qu’un jour l’Esprit conduira les Églises
à revenir à la Parole Seule, dans toute sa richesse, sa
profondeur, et sa simplicité. Là se trouve peut-être
l’un des chemins de l’Unité, et c’est ce à
quoi ce modeste essai a tenté pour sa part de contribuer ! 
Peut-être trouverez-vous beaucoup de références
à l’hébreu dans les pages qui suivent…
Ne pensez pas que « c’est de l’hébreu »
! Savants et laïcs retrouvent aujourd’hui tout l’intérêt
de cette langue pour notre compréhension de l’Écriture.
J’ai personnellement, et sans ordinateur ! comptabilisé
les occurrences des mots étudiés dans l’Ancien Testament.
Ils donnent une indication sur la fréquence des mots concernés,
et non sur leur valeur : un hapax, mot employé une seule fois,
peut avoir une grande importance.
Les occurrences du Nouveau Testament sont celles indiquées
par la Concordance de Sœur Jeanne d’Arc (Le Cerf), remarquable
outil de recherche.
Une trentaine de versions de la Bible ont été confrontées
pour cette recherche.
Celle d’André Chouraqui reste ma référence
de base. Elle est en effet l’œuvre d’un lettré
pour qui l’hébreu est la langue maternelle, ce qui lui permet
de la sentir «de l’intérieur ». De plus, ses
études rabbiniques lui donnent une connaissance approfondie de
l’Écriture. Sa traduction suit exactement le texte hébreu,
et, dès le départ, il a fait le choix d’une traduction
unique de chaque mot important, ce qui permet au lecteur de faire le
rapprochement entre des textes qui s’éclairent l’un
l’autre.
Parmi les autres traductions, qui ont chacune leurs qualités,
il convient de citer la Nouvelle Segond, Édition d’étude,
parue trop récemment pour être intégrée à
notre travail. C’est une traduction bien révisée,
enrichie de notes précises et de notices pertinentes.
Dans un autre registre, la traduction « interlinéaire
» grec-français du Nouveau Testament, réalisée
par Maurice Carrez, permet une lecture aisée du texte original
!
A signaler également la publication en fascicules de la Bible
d’Alexandrie (la Septante), dont les notes sont d’une abondance
et d’une richesse exceptionnelles. 