DIRE LA PAROLE
par le pasteur
Pierre Joudrier
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Chapitre III : CRÉANCE ET FIANCE
Introduction
La signification profonde de ces
deux termes nous introduit au cœur même de tout ce qui
fonde les « Religions » et par conséquent de tout
ce qui les divise. Ces religions peuvent être théistes
ou « athées », le problème demeure le même
et se pose aussi à tous les courants de la pensée chrétienne.
On peut dire en effet que la confusion entre ces deux notions fondamentales
est constante. Elle apparaît dans nos traductions de l'Écriture,
dans nos textes liturgiques et catéchétiques comme dans
les encyclopédies et les dictionnaires.
Par exemple, nous proclamons au cours du Culte, sans nous poser la
moindre question : « Levons-nous pour confesser la Foi chrétienne
»… et nous lisons un Credo : « Je crois… ou
: nous croyons … », c'est-à-dire la formulation
symbolique de notre croyance commune ou de notre créance.
Quel liturge serait assez courageux pour oser dire : « Levons-nous
pour confesser notre croyance » ? Or c'est bien ce que nous
faisons…
Notre catéchèse témoigne de la même ambiguïté.
-Regard sur la catéchèse catholique
Le Catéchisme du Concile de Trente, modèle de tous
les catéchismes diocésains utilisés jusqu'à
la récente réforme catéchétique, s'ouvrait
sur une première leçon intitulée : «
De la Foi ». Il y est affirmé : « Nous prenons
le mot « Foi » pour l'assentiment parfait qui est dû
aux vérités révélées par Dieu…
Il fallait que Dieu lui-même nous donnât connaissance
de la fin pour laquelle l'homme est créé... Cette
connaissance n'est autre que la Foi, qui fait que nous tenons pour
indubitable tout ce que l'autorité de notre Mère,
l'Église Catholique, atteste avoir été révélé
de Dieu… Comment serait-il possible de douter de ce que Dieu,
qui est la Vérité même, a révélé
? Nous voyons par là, quelle distance immense sépare
la Foi que nous avons en Dieu d'avec celle que nous accordons au
témoignage humain ! ».
Tous ceux qui ont appris leur catéchisme dans les anciens
manuels retrouveront dans ce texte du Concile les fondements de
l'enseignement reçu jadis.
Dès la première leçon, il était dit
en effet : « De la Foi : Croire, c'est tenir pour vraie une
chose affirmée par quelqu'un. Il est raisonnable de croire
lorsque celui qui affirme une chose mérite confiance. L'acte
par lequel nous croyons les vérités que Dieu a révélées,
et que l'Église nous enseigne, s'appelle l'Acte de Foi ».
Cet Acte de Foi est formulé ainsi : « Mon Dieu, je
crois fermement toutes les vérités que vous nous enseignez
par votre Église, parce que c'est vous, la Vérité
même, qui les lui avez révélées et que
vous ne pouvez ni vous tromper ni nous tromper ».
Ce raisonnement a pu paraître parfaitement logique pendant
des siècles. Pourtant on y trouve une constante confusion
entre foi et croyance ; entre la Vérité et les vérités
; entre foi et raison ; entre la Révélation et l'appréhension
de cette Révélation par les hommes.
De plus, ces textes montrent que ce sont les clercs ou le magistère
de l'Église qui déclarent eux-mêmes qu'ils sont
dignes de confiance ou infaillibles.
-Regard sur la catéchèse protestante
Chez Luther, on ne trouve pas de définition précise
de la Foi, ni dans le Petit, ni dans le Grand Catéchisme.
La foi y est, de fait, assimilée à la créance
en l'oeuvre particulière de chacune des Personnes de la Trinité.
Calvin a sans doute été le premier à placer
en tête de son Catéchisme un chapitre intitulé
: « De la Foi ».
En voici les premières questions :
« - Quelle est la principale fin de la vie humaine ?
- C'est de connaître Dieu.
- Quelle est la manière de le bien honorer ?
- C'est que nous mettions en Lui toute notre confiance, que nous
le connaissions par sa Parole dans laquelle Il nous déclare
sa miséricorde en Jésus-Christ.
- Le fondement pour avoir une vraie confiance en Dieu, c'est donc
de le connaître en
Jésus-Christ ?
- Oui ».
Calvin assimile donc ici la Foi à la Confiance et il la relie
à la connaissance de Jésus Christ qui nous est donnée
par la Parole de Dieu.
A la suite de ces premières questions vient l'explication
du Symbole des Apôtres. Il le définit ainsi : «
C'est un abrégé de la vraie Créance qu'on a
toujours reçue dans les Églises Chrétiennes
et qui est tirée de la Doctrine des Apôtres ».
Calvin, par cette affirmation, relie étroitement le contenu
du Credo à la vraie Créance, tirée elle-même
de la Doctrine des Apôtres.
Ainsi, dès 1540, il avait ouvert une voie originale en établissant
une distinction fondamentale entre, d'une part, foi et confiance,
et d'autre part, créance et doctrine.
Malheureusement, peut-être à cause de l'appauvrissement
de notre vocabulaire, sans doute à cause des simplifications
opérées par les traductions de l'Écriture Sainte,
cette intuition s'est perdue et a laissé le champ libre à
cette formule étymologiquement totalement erronée
:
« la Foi : c'est Croire ».
-Communes confusions.
Il est bien difficile, même dans les ouvrages les plus récents
sur ce sujet, de prendre conscience de cette confusion. Pour nous
aider à mieux la cerner, prenons deux exemples très
simples : de nombreux chrétiens, parfois haut placés
dans la hiérarchie de leur Église, déclarent
publiquement « croire au diable » ou à satan.
L'un d'eux affirmait récemment à la télévision
: « sans croyance au diable, il ne peut y avoir de foi chrétienne
! »
Cette croyance est sans doute fondée sur une lecture un peu
trop simpliste de quelques rares passages de l'Écriture.
Il convient en outre de remarquer qu'aucun des grands Symboles œcuméniques
ne réclame des chrétiens cette croyance au diable.
Or, si l'on demande à ces mêmes personnes : «
Puisque la foi c'est croire, par conséquent vous mettez votre
CONFIANCE en Satan ou dans le diable ? », on peut espérer
qu'elles se récuseront avec horreur. Et pourtant nous continuons
à assimiler fiance et créance !
Un second exemple touche de près à la vie cultuelle
de nos différentes communautés chrétiennes.
En effet, on peut admettre qu'en s'approchant de l'autel ou de la
Table Sainte, les fidèles ont une même foi, c'est-à-dire
une même Confiance, en Jésus, leur unique Sauveur qui
s'offre à eux dans ce sacrement.
Et pourtant, nous ne pouvons communier tous ensemble, sauf en de
rares exceptions. Même Fiance, même Confiance, mais
des Créances, des Croyances différentes !
Or la Fiance, la Confiance, ne peut être ni mesurée,
ni quantifiée, ni analysée : elle échappe à
tout critère humain.
Au contraire, la Créance peut être confrontée
à des normes édictées par chaque communauté
et, par conséquent, être reconnue comme orthodoxe,
hétérodoxe, voire même hérétique
!
Si les Églises admettaient cette distinction entre Fiance
et Créance, un pas important serait sans doute fait sur le
chemin conduisant à l'unité du Corps du Christ dans
ce Monde.
Avant d'entreprendre l'analyse des textes bibliques, on peut ajouter
cette remarque : quelqu'un pourrait, à la limite, avoir une
créance harmonieusement développée et parfaitement
orthodoxe tout en étant dépourvu de toute Fiance en
Jésus !
Inversement, une autre personne pourrait avoir une Fiance totale
en son Sauveur, mais qui ne s'expliciterait dans aucune des formes
reconnues de la Créance !
Jacques ne va-t-il pas jusqu'à penser que les démons
« croyaient » eux aussi que Dieu était Un et
qu'ils en tremblaient de peur ! (2, 19)
Vraie Fiance et vraie Créance sont indispensables l'une à
l'autre et doivent vivre en nous en parfaite symbiose :
Notre Fiance suscite en nous un continuel approfondissement de notre
Créance.
En retour, notre Créance informe et nourrit notre Fiance.
En effet, le Seigneur attend de nous que nous L'aimions de Tout
notre Cœur, de Toute notre Pensée et de Toute notre
Intelligence.
Par conséquent, Il n'établit aucune opposition entre
Fiance et Créance, mais Il recherche la plénitude
de notre amour.
I- Analyse des notions de Fiance et de Créance :
Richesse de l’Ancien Testament
Puisque nous voulons fonder notre intelligence spirituelle sur l'ensemble
de l'Écriture Sainte, nous constatons dès l'abord que
l'enseignement de l'Ancien Testament est d'une grande richesse et
de plus parfaitement clair.
En effet, l'hébreu emploie le plus souvent deux racines différentes
'MN et BTH donnant naissance à deux verbes et à deux
substantifs distincts pour évoquer d'une part la créance,
de l'autre la fiance.
Malheureusement la LXX les traduit par deux verbes différents,
avec leurs dérivés, mais provenant tous deux d'une même
racine pith-, plus d'autres termes n'ayant aucun lien étymologique
avec l'hébreu, comme « espérance » ou «
paix ».
Dans nos versions françaises, on trouve une trentaine de mots
différents pour traduire la première racine et plus
de cinquante pour la seconde. Comme il est impossible même pour
un lecteur attentif de s'y retrouver vraiment, il est donc nécessaire
d'étudier ces termes très précisément.
-la racine ‘MN
1 - le verbe :
La racine 'MN est universellement connue. Elle donne en effet
le mot : aMeN.
Cette racine exprime les notions de solidité, de fermeté,
de stabilité.
La forme fondamentale du verbe aMeN signifie « élever
», dans le sens d'élever un enfant. D'où la
traduction de certains de ses dérivés par «
nourricier, parrain ou tuteur », par exemple dans Nombres
11,22 ou Ruth 4,16.
Au passif (42 occurrences), il prend le sens d' « être
porté, être stable », d'où proviennent
les dérivés : « être fidèle, être
vrai » (Genèse 42,20)
La forme causative (51 occ.) est particulièrement intéressante
car elle annonce une relation de cause à effet. Ainsi la
racine 'MN au causatif signifie « rendre stable, rendre ferme
».
Ce sens est rendu par certains traducteurs par « avoir confiance
ou croire avec assurance ».
A. Chouraqui a finalement opté pour « adhérer
», à l'exception de 8 versets où il traduit
par « croire, se fier, avoir confiance ».
Toutefois, on peut estimer que la pleine signification de cette
forme verbale de l'hébreu n'est pas mise en lumière.
En effet, il conviendrait de pouvoir exprimer « le rapport
entre Dieu et l'homme dont Dieu est toujours l'initiateur, de telle
sorte que la relation réciproque entre Dieu et l'homme est
partie intégrante de la nature de la foi » (Kittel,
La foi, p. 28).
Si « j'adhère », selon la traduction d'A. Chouraqui,
à un mouvement religieux ou non, à un parti, à
une idée ou une idéologie, cela implique mon acceptation
des propositions de son initiateur ou de son chef. On peut rapprocher
cela de la formulation de l'acte de foi : « Croire c'est tenir
pour vrai une chose affirmée par quelqu'un ».
La LXX traduit ce verbe par Pisteuô et la Vulgate par Credo
dans la presque totalité des cas.
2 - les noms :
Plusieurs substantifs sont issus de la racine 'MN. Les plus souvent
utilisés sont êMouNaH et êMêTh.
a) - Pour traduire êMouNaH, la LXX emploie deux noms :
- Alêtheia : « vérité », dans tous
les Psaumes, sauf dans 33, 4.
- Pistis : « créance », dans tous les autres
livres sauf 5 versets où l'on trouve également «
vérité ».
La Vulgate emploie, à égalité, soit des mots
issus de la racine Vero- « vrai », soit de la racine
Fid – « fidélité ».
A.Chouraqui, pour les 53 occurrences, emploie désormais «
adhérence » à la place d' « adhésion
» de ses premières versions.
Dans les autres traductions, on trouve plus de trente termes différents
comme « sécurité, sûreté, fidélité,
vérité, confiance, loyauté, droiture, intégrité,
équité ou infaillible »…
b) - Le deuxième nom êMêTh, 128 occurrences,
est particulièrement intéressant.
A l'origine il signifie « fermeté, solidité,
sûreté ». De là découlent les notions
de constance, de fidélité et finalement de vérité.
La LXX le traduit 104 fois par Alêtheia : « vérité
».
7 fois par des mots provenant de la racine « juste »
et 2 fois par « fidèle ».
La Vulgate utilise des mots dérivés du nom «
veritas », sauf dans 3 textes où elle emploie «
fidelis » et 1 fois « recto ».
A. Chouraqui fait un choix semblable. Il traduit généralement
ce nom par « vérité », 3 fois par «
vrai » et 2 fois par « véracité ».
Approfondissement
La remarquable sobriété des traductions grecque et
latine et de celle de Chouraqui en français contraste fortement
avec la profusion littéraire de nos traductions françaises
où l'on trouve plus de cinquante mots différents !
Ce constat nous conduit à approfondir le sens de ces mots
hébreux en nous souvenant de leur importance sur la pensée
chrétienne à travers leur traduction dans la LXX et
la Vulgate.
Nous l'avons dit, le sens premier de la racine ' MN est celui de
« solidité ».
Par exemple : « Je le planterai solidement dans le pays »
(Jérémie 32, 4). Ou bien : « Le piton enfoncé
dans un endroit solide cédera » (Ésaïe
22, 25).
De cette idée de solidité on passe à celle
de vérité. Normalement, la vérité est
inébranlable !
Ce passage se produit également en français : en montagne
on parlera d'une « vraie » prise pour désigner
une prise solide dans un rocher sûr et à laquelle on
peut se fier.
De même on parle d'un ami « véritable »
: sur lui, on peut s'appuyer solidement.
Ce qui est vrai est solide ; ce qui est faux est fragile.
Or, de cette idée de solidité, on passe en grec à
celle de « non-caché » qui se dit « A-lêthéia
».
Si rien n'est caché, c'est la vérité. La vérité
doit être nue.
Le sens premier du mot hébreu se trouve ainsi dévié.
Le latin emploie des termes issus de la racine indo-européenne
wer-. Elle exprime la notion de « vrai », différente
du « solide » hébreu et du « non-caché
» grec.
Si nous recevons l'affirmation de Jésus : « Je suis
la Vérité » comme Parole de Dieu, le Fils devient
pour nous l’aMeN véritable, le solide fondement, le
Roc, selon l'hébreu.
Le non-caché, la Vérité, selon le grec. Le
Vrai, selon le latin.
Si Jésus est la Vérité, il n'existe aucune
vérité en dehors de Lui. Par conséquent, aucune
formulation de notre Créance n'est jamais la Vérité,
mais seulement une approche humaine de celle-ci.
Nous pouvons croire ces formulations, les tenir pour vraies, les
décréter telles. Mais elles ne peuvent être
la Vérité car le Seigneur ne peut être enfermé
ni dans un dogme ni dans une image dessinée par l'homme.
Ceci fait apparaître également le lien profond existant
entre Créance et Vérité. Une chose est vraie
uniquement parce que je la CROIS vraie ! Si je doute de sa vérité,
elle cesse d'être vraie pour moi.
-la racine BTH
1 - le verbe :
Le verbe formé sur cette racine est BaTaH.
On le traduit par « mettre sa confiance en, avoir confiance…
». Au causatif, il signifie « inspirer confiance ».
Par exemple dans II Rois 18, 30 ; Jérémie 28, 15 ou
29, 38.
On le trouve 117 fois dans l'AT. mais avec des compléments
très divers :
L'homme ou le Peuple met aussi bien sa confiance en Yahvé
(Ésaïe 26, 4), en sa richesse (Ps 49, 7), en sa puissance
militaire (Ésaïe 31,1), en ses fortifications (Deutéronome
28, 52), en lui-même (Proverbes 28, 26), en l'homme (Jérémie
17, 5), …qu'en une idole ! (Ésaïe 42, 17)
Cette notion de « confiance » est présente dans
presque tous les textes où l'on trouve ce verbe. Si, pour
les 117 occurrences de ce verbe, l'on récapitule l'ensemble
de toutes les versions françaises, on remarque que l'idée
de « confiance » est présente dans 114 cas. Ce
sens ne devrait donc jamais être absent de nos traductions.
Or on relève plus de cinquante expressions ou termes différents
pour le traduire !
La LXX, la première, a contribué à cette dérive.
En effet, 50 fois elle traduit le verbe hébreu par Peithô
« avoir confiance, se confier », ce qui est juste. Seulement
ce verbe grec provient de la même racine pith- sur laquelle
est aussi formé le verbe Pisteuô servant à traduire
le verbe aMaN.
L'emploi d'une même racine grecque pour traduire deux racines
hébraïques très différentes, entraîne
nécessairement une réduction de sens et une perte
de la richesse de ces mots.
De plus, dans 46 occurrences, la LXX choisit de traduire ce verbe
par Elpizô dont le sens courant est « espérer
» ; c'est d'ailleurs le seul sens qu'on lui donne aujourd'hui
dans les 31 passages où il figure dans le Nouveau Testament.
Toutefois, à l'époque des Septante, ce verbe grec
signifiait « avoir confiance » ou bien « espérer
».
Dans les 46 versets où la LXX a choisi Elpizô, Segond
traduit toujours par « se confier ». Les autres traducteurs
n'emploient jamais, en français, le verbe « espérer
» là où la LXX traduit par Elpizô notre
verbe hébreu.
Dans la mesure où la traduction grecque a eu une grande influence
sur le vocabulaire du Nouveau Testament, il conviendrait sans doute
d'être attentif à ces deux sens du verbe Elpizô
qui pouvaient être présents dans la pensée des
auteurs de ce Livre.
Par exemple : Jean 5, 45 ou 1 Timothée 4, 10, où l'idée
de « confiance » se justifie mieux que celle d' «
espérance ». Cette remarque est renforcée par
l'emploi du verbe Elpizô pour traduire dans la LXX quatorze
autres verbes hébreux, dont certains comme HaSaH, expriment
aussi l'idée de confiance.
Lorsque Peithô traduit l'hébreu BaTaH, ce verbe est
employé uniquement au parfait ou au plus-que-parfait. Ceci
n'est pas un hasard. En effet, les grammairiens nous donnent cette
précision importante : « le parfait ne se borne pas
à exprimer l'achèvement d'un acte, mais il indique,
en outre, la permanence des conséquences de cet acte. Il
se décompose donc en un « passé » et un
« présent ». Pour certains verbes, le présent
l'emporte sur le passé ».
Rapportée à notre verbe, cette remarque pourrait vouloir
dire : « en cet instant je suis confiant, parce qu'au départ,
j'ai eu une totale confiance en mon guide ».
On retrouve cet enchaînement sous la plume de Saint Paul lorsqu'il
écrit à Timothée :
« le beau combat : je l'ai combattu (au passé), la
course : je l'achève (au parfait, car elle n'est pas encore
terminée), la fiance : je l'ai gardée » (au
parfait), c'est-à-dire : « je l'ai gardée jusqu'à
cet instant précis où je t'écris ».
Cette plénitude de sens devrait pouvoir être présente
à notre esprit car il n'est pas possible d'en rendre compte
dans une traduction aussi fidèle soit-elle.
De plus, le lecteur d'une traduction française ne peut soupçonner
la présence de ce verbe BaTaH dans l'original hébreu.
En effet la Vulgate employait déjà 5 termes différents
pour le traduire : Confido (36 fois), Fido (22 fois), Spero (47
fois), Credo (3 fois) et Securus (2 fois).
Dans les traductions françaises les plus courantes, on trouve
plus de cinquante expressions ou verbes différents.
A. Chouraqui en emploie 8, les plus utilisés par lui étant
« assurer », « se fier » et « sécuriser
».
La TOB a 17 expressions, avec une prédilection pour «
compter sur » employée plus souvent que celles exprimant
l'idée de « confiance ».
Segond reste le plus proche de l’hébreu en traduisant
ce verbe, le plus souvent, par « se confier ou avoir confiance
».
Malgré la richesse d’interprétation des différentes
versions, on court le risque de dévier la réflexion
du lecteur par l’emploi d’expressions ou de verbes totalement
étrangers au sens premier de la racine hébraïque.
2 - le nom :
Le nom formé sur cette racine est BêTaH qui signifie
« confiance ».
On le trouve 47 fois dans l'A.T. mais 32 fois, il est précédé
du préfixe l-. Ce préfixe peut signifier le passage
d'un état à un autre : on passe de la crainte à
la confiance.
Ou bien, le but ou l'usage : « Jérusalem sera désormais
habitée pour être le témoin de la confiance
» (Jérémie 33, 16 et son parallèle Zacharie
14, 11).
Ou encore l'état dans lequel on est : on est EN confiance.
C'est ce dernier sens qui est retenu par les traducteurs.
Toutefois, le verbe précédant LaBêTaH étant
généralement au futur, les deux premiers sens de cette
préposition devraient pouvoir, dans certains cas, être
proposés par la traduction.
Pour traduire ce nom, la LXX utilise cinq mots provenant de racines
différentes.
Les plus fréquents sont Elpis, l'espérance (11 fois)
; Eirènè, la paix (12 fois) et le participe parfait
de Peithô (15 fois).
La Vulgate emploie une dizaine de mots provenant de diverses racines
: Confidenter (15 fois) ; Securitas (7 fois) ; Fiducia (6 fois).
Toutefois, la racine Fid- est présente dans la moitié
des cas.
En français, dans les versions les plus courantes, on trouve
une vingtaine d'expressions ou de mots différents.
A. Chouraqui traduit dans tous les cas par « sécurité
» (sauf dans Jérémie 48, 7) alors qu'il avait
choisi « Assurer » pour le verbe.
De même Segond, le Rabbinat et la TOB emploient le plus souvent
« sécurité » plus un certain nombre de
mots comme : « sûr, sûreté, assurance »,
provenant d'une même racine cur- signifiant « soin,
souci ».
Le sens de ces termes n'est pas absolument faux par rapport à
l'hébreu, mais ils limitent à un premier niveau de
lecture la compréhension des textes ou ils figurent.
En effet, si l'on approfondit le sens de ces mots, on découvre
que fondamentalement, ils exigent tous la confiance.
Je me crois en sécurité dans ma maison, parce que
je fais confiance à mes verrous ou à mes dispositifs
de sécurité. Que cette confiance s'émousse
et la peur apparaît.
De même, un peuple se croit en sécurité dans
sa ville ou à l'intérieur de ses frontières,
parce qu'il fait confiance à ses fortifications, à
ses lignes fortifiées, à ses radars ou à tous
ses « gardiens ». Si la confiance disparaît, l’angoisse
apparaît.
Ou encore : je me crois bien assuré parce que je fais confiance
à mon assureur et à ma compagnie d’assurance.
Si cette confiance s’effondre, sécurité, sûreté,
assurance s’évanouissent.
Il semblerait donc plus judicieux, au lieu d’obliger le lecteur
à faire cet effort de réflexion, de traduire directement
BêTaH par « Fiance » ou « Confiance »
comme le font certains.
-résumé de la recherche.
Dans l'A.T. on trouve principalement :
1° - une racine 'MN, d’où vient « Amen ».
Elle engendre :
-un verbe signifiant « croire ». Il est traduit en grec
par Pisteuô, en latin par Credo, en français par «
croire », et « adhérer » pour A. Chouraqui.
-deux noms :
a) éMouNaH : « vérité, sûreté
».
Il est traduit en grec par Alêtheia et Pistis, en latin par
Veritas, en français par une trentaine de mots différents.
A. Chouraqui a choisi « adhérence ».
b) éMêTh : « fermeté, sûreté,
d'où fidélité ».
Il est traduit en grec par Alêtheia, en latin par Veritas,
en français par une quarantaine de mots différents.
A. Chouraqui le traduit par « vérité ».
Pour ces deux noms, la traduction par « vérité
» est la plus utilisée. Toutefois, nous avons montré
que la vérité dépend totalement du «
croire ». C'est la vérité, parce que je crois
que c'est vrai. C'est pourquoi, partout où cela est possible,
il serait bénéfique de traduire par Créance
ou Croyance.
2° - une racine BTH. Elle engendre :
-un verbe signifiant « avoir confiance, mettre sa confiance,
se fier ».
Il est traduit en grec par Peithô « avoir confiance
», mais aussi par Elpizô « espérer »
; en latin par Fido, Confido et spero ; en français par une
cinquantaine d'expressions et de termes très différents.
A. Chouraqui emploie le plus souvent « assurer » et
« se fier ».
-un nom qui signifie « Fiance ».
Il est traduit en grec par Elpis « espérance »
; par Eirênê « paix » et par des dérivés
du verbe Peithô.
En latin on trouve une dizaine de mots issus de racines différentes.
Les plus usités sont: confidens, fiducia et securitas.
En français on dénombre une vingtaine de mots, les
plus fréquents étant « sûreté,
confiance, assurance ou paix ».
A. Chouraqui a choisi « sécurité ».
Le mot Fiance pourrait être utilisé dans la presque
totalité des textes et semblerait plus juste et plus riche
de sens pour le lecteur. Mais pour cela, il faudrait avoir le courage
de le réhabiliter dans notre vocabulaire.
A défaut de « Fiance », utilisons au moins «
Confiance » qui exprime une « Fiance » réciproque.
II- Analyse des notions de Fiance et de Créance :
Appauvrissement dans les Deutérocanoniques
Avant d'aborder le témoignage du Nouveau Testament, il est
intéressant d'étudier les textes dits « deutérocanoniques
». Ils ont été écrits au cours d'une période
de quatre siècles, allant des derniers textes canoniques de
l'A.T. aux premiers du N.T.
Vraisemblablement, ils ont été rédigés
en hébreu, mais les originaux n'ont pas été retrouvés.
Ecrits ou traduits en grec, ils ont été insérés
dans la version des Septante.
Ce sont la lettre de Jérémie, les livres de la Sagesse,
de Baruch, de Tobie, de Judith et les quatre Maccabées.
Le Livre de l'Ecclésiaste ou Siracide a été rédigé
en hébreu, certains fragments en ont été retrouvés
depuis la fin du XIX° siècle. Il a été traduit
en grec par le petit-fils de l'auteur. Il s'en explique lui-même
dans la préface de ce livre, versets 1 à 35. Il y demande
l'indulgence de ses lecteurs en leur disant : « s'il vous semble
que nous ayons échoué, malgré nos efforts d'interprétation,
à rendre certaines expressions, faites la lecture avec bienveillance
et usez d'indulgence ! Car ce qui est exprimé en hébreu
n'a pas la même force une fois traduit en une autre langue.
Cela vaut aussi pour les autres livres ».
Cette humble remarque devrait bien figurer en tête de toutes
nos traductions !
L'étude de ces livres deutérocanoniques, en ce qui concerne
les mots qui nous intéressent, peut se résumer ainsi
:
-Pisteuô : 30 occurrences.
La Vulgate le rend 17 fois par Credo, mais aussi par Fido, Confido
et Spero.
En français, on trouve « croire » dans un tiers
des textes, et « se fier, être fidèle ou avoir
confiance », dans les deux autres tiers.
A. Chouraqui n'emploie que 8 fois « adhérer ».
On peut supposer que derrière ce verbe grec, les traducteurs
restituent l'un ou l'autre des deux verbes hébreux…
-Pistos : 25 occurrences.
En latin, toujours la racine Fid-
En français, des mots proches de « fiance » ; «
adhérence » chez A. Chouraqui.
-Pistis : 23 occurrences.
En latin toujours la même racine Fid-
En français : « fidélité, foi » mais
aussi « loyauté, loyal ».
-Peithô : 36 occurrences.
En latin, presque toujours Confido.
En français, une vingtaine de mots différents signifiant
« se fier, avoir confiance », rarement « croire
».
-Elpizô : 80 occurrences
Contrairement aux livres canoniques, il est toujours traduit en latin
par Spero.
En français par « espérer », sauf une fois
par « se fier » et une fois par « adhérer
».
-Elpis : 26 occurrences, est toujours traduit par Spes en latin et
par « espoir » ou « espérance » en
français.
La notion de « fiance », qui n'était pas absente
de ce verbe et de ce nom dans les livres canoniques, semble s'être
estompée.
Cette réduction de sens apparaît nettement dans des textes
comme Siracide 2, 6 où il est dit : « Aie foi en Lui…
espère en Lui ».
Les deux verbes sont employés l'un à la suite de l'autre
et n'ont donc pas le même sens.
De même dans Siracide 49, 10 : « Les douze prophètes
ont consolé Jacob et l'ont racheté dans la foi de l’espérance
».
Ici, ce sont les deux noms qui sont accolés, ce qui les différencie.
Ces écrits intertestamentaires montrent donc un certain appauvrissement
du vocabulaire par rapport à la richesse de l’hébreu…
III- Analyse des notions de Fiance et de Créance :
Profondeur du Nouveau Testament :
C'est avec le bagage linguistique de l'Ancien Testament que les écrivains
du Nouveau Testament vont devoir traduire la pensée de Jésus.
Cette pensée, exprimée le plus souvent dans une autre
langue que le grec, était toujours nourrie par celle de l'Ancien
Testament.
La preuve par la citation ?
On pourrait espérer que le rapprochement des textes de l'A.T.
cités dans le Nouveau aide à mieux discerner comment
ses auteurs faisaient une distinction entre Créance et Fiance.
Malheureusement, sur la quinzaine de citations qui nous intéressent,
on constate une grande diversité d'interprétation entre
les traductions de textes pourtant identiques dans la LXX et le N.T.
grec.
Prenons comme exemple Ésaïe 28, 16 :
« Voici, je mets en Sion une pierre angulaire… celui qui
CROIT ne se hâtera pas ».
Le verbe est traduit en français par :
-« s'appuyer sur » : TOB ; Synodale ; Segond.
-« se fier » : Darby ; Maredsous.
-« faire confiance » : français courant.
-« adhérer » : A. Chouraqui.
-« exercer sa foi » : la Tour de Garde.
-« s'appuyer avec foi » : Crampon.
-et enfin « croire » : Jérusalem, D.Martin, Osty,
Pléiade, Sacy.
Ce texte est cité par Saint Paul dans l'épître
aux Romains 9, 33 et 10, 11 d'après la version de la LXX. La
Vulgate traduit le verbe par Credo.
Onze versions françaises le traduisent par « croire »
pour les deux citations.
Une traduit par « adhérer » ; deux par «
se fier » ; une par « fonder sa foi ».
Une même version n'emploie pas toujours le même verbe
pour le texte de l'A.T. et pour sa citation dans le Nouveau ! Ceci
montre le souci des auteurs de nuancer, au plus près, des mots
employés dans des contextes différents. Toutefois, il
ne faudrait pas perdre de vue le sens premier que ce mot avait dans
le texte original…
Même remarque pour Genèse 15, 6 cité dans Romains
4, 3 et Galates 3, 6. Ou bien pour le Psaume 116, 10 cité dans
II Corinthiens 4, 3 et pour lequel on trouve diverses interprétations
:
« J'ai confiance, alors même que je dis... » ; «
J'ai cru, c'est pourquoi j'ai parlé... » ; « J'ai
eu la foi, car je me suis mis à parler… » ; «
J'ai exercé la foi, c'est pourquoi j'ai parlé…
».
Également pour Ésaïe 53, l cité dans Jean
12, 38 et que l'on trouve traduit soit par « Qui a CRU à
ce qui nous était annoncé ? » soit par :
« Qui a ajouté FOI à ce qu'il a entendu de nous
? ».
Impossible d'établir une règle fixe. A défaut
de règle, il nous appartient d'être attentifs afin de
discerner dans les textes ce qui dépend de la Créance
et ce qui touche à la Fiance.
Cette remarque se trouve justement mise à l'épreuve
dans l'étude de l'Évangile de Jean.
-Pisteuô chez Saint Jean
L'Évangile de Jean offre une particularité intéressante
pour notre recherche : il emploie uniquement le verbe Pisteuô
: 96 fois pour 242 occurrences dans le N.T. et une fois le nom Pistos
contre 242 occ. dans le N.T. Peithô et Pistis ne figurent
pas chez Jean.
Dès l'abord, on peut donc supposer que Jean se sert de ce
verbe unique pour exprimer et la Créance et la Fiance. Or
la Vulgate le traduit uniquement par Credo et la majorité
des traducteurs français par « croire ».
A. Chouraqui, d'après le choix opéré dès
le début, traduit par « adhérer », sauf
dans 4,21 et 8,24 où l'on trouve le verbe « croire
».
A l'opposé de ces versions, La Pléiade et H. Pernot
traduisent le plus souvent par « se fier » ou par «
avoir la foi ». La tour de Garde emploie à plusieurs
reprises, dans des cas précis, l'expression « exercer
la foi ».
On peut se demander s'il est juste d'interpréter tous ces
textes de Jean soit dans le sens de la créance, soit dans
le sens de la fiance ? Vraisemblablement pas !
Mais comment établir une ligne de partage ?
-Lorsque le verbe est suivi d'une conjonction ? par exemple : Oti
(= que)
Dans les 14 occurrences, La Pléiade et H. Pernot traduisent
généralement par « croire que… »
mais ne sont pas toujours d'accord entre eux.
-Lorsqu'il est suivi d'une préposition ? par exemple : Eis,
qui indique un mouvement vers… (34 occurrences). La Pléiade,
H. Pernot et fréquemment la Tour de Garde traduisent par
« se fier, avoir foi ou exercer la foi ». Les autres,
presque toujours par « croire ».
Ou de cette autre préposition, Dia, indiquant un mouvement
au travers (3 occ.) ?
La traduction du Centenaire s'efforce de rendre ce sens dans 1,7
en disant : « amener à la foi ».
-Jean emploie également le datif comme complément
du verbe (14 occ).
II est traduit par « croire à... » le plus souvent
; « se fier à... » par La Pléiade ; «
ajouter foi à... » par Maredsous ; et « avoir
fiance en » par H. Pernot.
Ce bref aperçu montre combien, pour chaque emploi de ce seul
verbe grec par Jean, la sensibilité, la réflexion
ou la foi de chaque traducteur peuvent conduire à une intelligence
différente des textes, si l'on admet une différence
fondamentale entre créance et fiance.
A défaut d'une règle sûre, chaque emploi du
verbe Pisteuô doit être étudié par rapport
à son contexte, afin de déterminer s'il s'agit de
confiance ou de créance ; s'il s'agit de faire confiance
au Seigneur ou bien de croire une vérité essentielle,
c'est-à-dire une formulation ou une explicitation de la Foi.
A titre d'exemples :
a) Jean 1, 26-27
Jésus demande à Marthe : « Crois-tu cela ? Elle
répond : Oui, je crois que tu es le Christ ».
Toutes les versions traduisent ainsi. A. Chouraqui garde : «
adhérer ».
b) Jean 12, 10
« Les grands prêtres résolurent de tuer Lazare
car, à cause de lui, beaucoup de juifs les quittaient et
avaient foi en Jésus ».
Quelques-unes des versions traduisent ainsi ; les autres emploient
le verbe « croire ».
En utilisant 96 fois ce seul verbe, Jean oblige son lecteur à
un effort de compréhension et d’intelligence spirituelles.
Mais il faudrait sans doute l’en avertir.
-Pisteuô dans les Synoptiques
Les Synoptiques emploient 33 fois le verbe Pisteuô. Cinq
versions sur dix-huit suivent la Vulgate et traduisent uniquement
par le verbe « croire » (Calvin, XVII°, D. Martin,
Darby, Français Courant). A. Chouraqui reste fidèle
à « adhérer ». L'ensemble des autres versions
s'accordent pour traduire ce verbe par « croire » dans
trois versets seulement :
a) Matthieu 9, 28 : H. Pernot y ajoute cette remarquable précision
:
« Croyez-vous en toute confiance que je peux faire cela ?
».
b) Marc 11, 24 : « Ce que vous demandez en priant, croyez
que vous l'avez reçu ».
c) Luc 24, 25 : « Ô coeurs lents à croire tout
ce qu'ont annoncé les prophètes ».
Dans les autres passages, la Pléiade le traduit 28 fois par
« se fier ou avoir la foi ».
H. Pernot emploie 10 fois le mot « Fiance ». Jérusalem
et Centenaire, 4 fois le mot « foi ».
Certains traducteurs font donc le choix de traduire ce verbe de
façon identique dans la presque totalité des cas,
soit par « croire », soit par « adhérer
», soit par « avoir foi ».
Il faut ainsi être reconnaissant à H. Pernot et à
la Pléiade d'avoir osé mettre en évidence que
les Synoptiques ne parlent pas uniquement de Créance, mais
également de Fiance.
Même si ces auteurs présentent des divergences, ils
ont néanmoins ouvert une voie qu'il convient d'explorer plus
attentivement, en acceptant l'absence de tout critère infaillible.
L'exemple du passage de Matthieu 21, 22 et de son parallèle
dans Marc 11, 24 est assez révélateur pour nous.
En effet, dans ce texte, Matthieu emploie le verbe au participe
présent ; 12 versions sur 18 le traduisent par « foi
» : « Ce que vous demanderez « avec foi »
dans la prière, vous le recevrez ».
Marc emploie le verbe suivi de la conjonction « que ».
L'unanimité s'est faite pour traduire par « ...et croyez
que... »
De toute évidence, la pensée de Jésus est la
même dans ces deux textes. Jésus parle bien de «
Fiance » : « Ce que vous demanderez avec confiance,
vous le recevrez », ou « Ayez confiance que vous le
recevrez ». Il ne s'agit pas ici de créance.
Parfois le texte peut toucher certains aspects de nos théologies.
Par exemple le passage si important de Marc 16, 16 entendu bien
souvent lors de la célébration d'un baptême.
Toutes les versions, sauf 2, traduisent le verbe par « croire
» : « Celui qui croira et qui sera baptisé, sera
sauvé ».
Mais A. Chouraqui traduit ainsi : « L'adhérant, étant
immergé, sera sauvé ». Et la Pléiade
: « Celui qui a foi et est immergé, sera sauvé
».
Osty va plus loin en traduisant le seconde partie de ce verset ainsi
: « Celui qui refusera de croire sera condamné ».
On pourrait donc obliger quelqu'un à croire, puisque certains
oseraient refuser ?
Nous ne sommes pas loin de la « bonne formule » de Saint
Augustin sur le « compelle intrare » (Luc 14, 23) que
Calvin ne désapprouvait pas lorsqu'il écrivait : «
Cependant, je ne trouve pas mauvais que Saint Augustin ait souvent
usé de ce témoignage contre les Donatistes pour PROUVER
qu'il est permis aux princes FIDELES de CONTRAINDRE les obstinés
et les rebelles et faire des édits pour les ranger au service
du vrai Dieu et à l'UNITÉ DE LA FOI. Car, bien que
la FOI soit volontaire, nous voyons néanmoins que ces moyens
PROFITENT POUR DOMPTER l'obstination de ceux qui n'OBÉIRAIENT
jamais s'il n'y avait CONTRAINTE ", Commentaires des Évangiles
(c'est nous qui mettons les majuscules !).
On se souvient de cette définition : « la foi, c'est
croire ce qu'enseigne l'Église », ce qui voudrait dire
: « accepter la croyance de telle ou telle Église,
de bon gré ou par contrainte ! »
Refuser cette croyance serait donc attirer sur soi les foudres de
Dieu, ce qui est fort douteux ! et
les foudres d'une Église, ce qui est beaucoup plus certain,
l'Histoire nous le prouve…
La seule contrainte présente dans l'Évangile semble
bien être celle de l'Amour de Dieu pour son enfant, prodigue
ou non.
Si, dans cette parole de Jésus, il s'agissait de la créance,
il faudrait avoir le courage d'admettre que nous sommes sauvés
par la croyance et non par la foi, comme la Réforme l'a proclamé
avec tant de force !
Formulé ainsi, cela nous est insupportable et pourtant nous
supportons de l'entendre lors d'un baptême…
Or, rien ne nous empêche de traduire, comme le fait la Pléiade,
en ces termes : « Celui qui a foi et qui est immergé,
sera sauvé ; celui qui se méfie, sera condamné
».
Ce seul exemple devrait nous amener à penser que traduire
Pisteuô, dans tous les cas, par « croire », ne
rend pas nécessairement toute la richesse de l'Évangile.
Lorsque ce verbe est employé en référence à
un contenu explicite, par exemple : « ce qu'ont dit les prophètes…
», il est sans doute préférable de le traduire
par « croire ».
Lorsqu'il s'agit de la confiance mise par l'homme en son Sauveur,
il serait opportun de traduire Pisteuô par « se fier
» ou « avoir fiance ».
En lisant avec ce critère les 32 textes des Synoptiques où
l'on trouve Pisteuô, on est amené à penser qu'une
moitié de ceux-ci évoque l'idée de créance
et l'autre celle de fiance.
-Pisteuô dans le Livre des Actes
Témoin des premiers temps de l'Église, le Livre des
Actes devrait laisser paraître une réflexion approfondie
sur une Foi vivante et le début d'une formulation progressive
de la Créance au Christ.
Le verbe Peithô y est peu employé par Luc, mais on
trouve 39 fois le verbe Pisteuô.
La Vulgate traduit ce dernier par Credo. Les versions françaises,
par « croire », le plus souvent. A. Chouraqui s'en tient
à « adhérer », sauf une fois « croire
».
La Pléiade emploie « avoir foi » ou « se
fier ». Six fois elle le traduit par « croire ».
Des expressions nouvelles apparaissent dans nos versions : «
devenir croyant » : 10 fois dans la traduction du Centenaire
; 8 fois dans la Tour de Garde ; et parfois dans Crampon, Synodale
et Français Courant.
On trouve également « acte de foi » : 5 fois
dans Maredsous, avec ce risque de renvoyer le lecteur à son
Acte de Foi appris au catéchisme…
Plus curieuse, cette expression d’« embrasser la foi
». Elle apparaît 12 fois dans Jérusalem, 9 fois
chez Osty, 8 fois dans Maredsous, 6 fois chez Sacy et 2 chez Crampon.
On peut embrasser une cause, une religion, une créance, mais
vraisemblablement pas la Foi ! Saint Paul pensait quant à
lui qu'il avait été « empoigné par Christ
» ! (Philippiens 3, 12).
Deux voies sont donc en présence : d'une part, une créance
à laquelle j'adhère, ou que j'embrasse avec toute
mon intelligence ; de l'autre, une fiance qui s'établit au
plus secret des coeurs entre le Sauveur et chacun des siens.
Rappelons qu’à la limite, on peut être «
croyant » sans avoir la foi, ou bien avoir une foi très
vive mais en rejetant toute créance.
K. Barth disait un jour en pastorale : « quand un dogmaticien
n'est pas un homme de prière et de foi, lorsqu'il lève
les yeux vers le Ciel, qu'est-ce qu'il voit ? Il voit sa Dogmatique
! ».
Sans doute, le texte biblique ne permet pas toujours d'établir
nettement la distinction entre créance et fiance, tellement
elles s'articulent pleinement l'une sur l'autre. Il appartient donc
au lecteur de faire ce choix, le traducteur ne pouvant pas toujours
prendre parti à sa place.
Par exemple dans ces deux textes : Habacuc 1,5 cité dans
Actes 13,41 :
« Je vais faire en vos jours une oeuvre que vous ne croiriez
pas si on vous la racontait ».
Toutes les versions traduisent ici par « croire ».
Par contre, dans Actes 16, 31, Paul dit au geôlier : «
Crois au Seigneur Jésus et tu seras sauvé ».
Il s'agit donc, cette fois, du salut par la foi. Or toutes les versions
traduisent ainsi : « Crois ... et tu seras sauvé ».
Seule la Pléiade dit ceci : « Fie-toi au Seigneur Jésus
et tu seras sauvé »
De même lorsqu’il est question de justification : Actes
13, 39, Maredsous et Pléiade traduisent : « Par lui,
quiconque a foi est justifié… » ; les autres versions
emploient le verbe « croire ».
Curieusement, c’est pour le seul texte d’Actes 27, 25
que toutes les traductions, sauf celles des XVI° et XVII°s.,
emploient « avoir confiance » : « Courage…
car j’ai confiance en Dieu… »
On peut estimer que cette interprétation a sans doute sa
place dans d’autres passages du Livre des Actes.
-Pisteuô dans les Épîtres
Le verbe Pisteuô apparaît 72 fois dans les Épîtres,
dont 53 fois dans celles de Saint Paul.
7 fois, ce verbe a le sens de « confier » ; certains
le traduisent alors par « commis ».
Par exemple I Corinthiens 9, 17 : « c'est une charge qui m'a
été confiée » .
Dans les autres passages, 7 traductions emploient exclusivement
le verbe « croire » suivant en cela la Vulgate dans
laquelle ou trouve toujours Credo, sauf dans I Corinthiens 14, 22
où elle le traduit par fidelibus à deux reprises :
« les langues sont un signe, non pour les FIDELES, mais pour
les infidèles. La prophétie, au contraire, est un
signe non pour les infidèles, mais pour les FIDELES ».
A.Chouraqui le traduit par « adhérer », sauf
dans deux versets où il emploie « croire » :
I Corinthiens 11, 18 et I Timothée 3, 16.
La Pléiade le rend 9 fois par « croire », principalement
lorsque ce verbe est suivi de la conjonction « que ».
Cette construction peut en effet indiquer qu'il s'agit d'une explicitation
de la créance, sans que ce soit un absolu !
Par exemple I Thessaloniciens 4, 14 : « nous croyons QUE Jésus
est mort et ressuscité... ».
Ou bien I Jean 5, 1 : « Quiconque croit QUE Jésus est
le Christ, est né de Dieu ».
Parfois, même dans ce cas, il est bien difficile de déterminer
s'il s'agit de la créance ou plutôt de la fiance !
Par exemple Romains 11, 9 : « Si tu crois QUE Dieu l'a relevé
des morts, tu seras sauvé ».
D'une part, la Résurrection de Jésus est une des pièces
maîtresses du Credo ; d'autre part, sans elle, notre confiance
en notre Sauveur serait totalement vide ! (1 Corinthiens 15, 12-18)
Par ailleurs, dans 16 passages, le nom Pistis est mis en relation
avec le verbe Pisteuô. Par exemple dans Romains 1, 16-17 il
est dit : « L'Évangile est puissance de Dieu pour sauver
quiconque CROIT... car il s'y dévoile une justice de Dieu
par (ek) et pour (eis) la FOI, comme il est écrit : le juste
par la FOI vivra ».
Certains traduisent par « croire » ou « adhérer
» ; d'autres par « avoir la foi » ou « se
fier », ce qui montre bien qu'un problème d'interprétation
se trouve posé ici avec insistance.
Cette même relation apparaît aussi dans les textes suivants
: Romains 3, 22 ; 4, 5 ; 4, 11 ; 10, 4, 6, 8 ; II Corinthiens 4,
13 ; Galates 2, 16 ; 3, 22 ; Tite 3, 8 ; I Pierre 1, 8. On y retrouve
la même interrogation.
On trouve également, dans certains passages, le verbe Pisteuô
mis en relation directe avec les notions de Salut et de Justification.
Par exemple I Corinthiens 1, 21 : « C'est par la folie de
la prédication que Dieu a trouvé bon de sauver ceux
qui ont foi » ou bien « ceux qui croient ».
Lorsque le verbe est ainsi relié au salut ou à la
justification, il serait préférable de le traduire
par « se fier » ou « avoir la foi » comme
le font dans quelques passages la TOB, Jérusalem et Osty.
Dans 6 versets, les apôtres font référence à
la foi d'Abram en citant Genèse 15, 6.
Or, dans une même version, on ne trouve pas toujours la même
interprétation dans la Genèse et dans l'Épître.
Une harmonisation serait sûrement la bienvenue…
Reste la grande majorité des textes pour lesquels il est
bien difficile d'établir un critère évident.
Certains ont pris le parti de traduire, dans tous les cas, le verbe
grec Pisteuô par le même verbe français, laissant
au lecteur le soin d'interpréter soit dans le sens de «
croire », soit dans celui d' « avoir confiance »…
D'autres l'interprètent selon le contexte.
Une note, peut-être générale, devrait prévenir
le lecteur. Ainsi le choix de la Pléiade de traduire par
« avoir foi » ou « se fier » dans la grande
majorité des cas pose au lecteur une question fondamentale
en lui offrant une lecture à laquelle il n'est pas habitué.
-Peithô dans le Nouveau Testament
On pouvait espérer une plus grande simplicité dans
l'emploi du verbe Peithô dans le Nouveau Testament, dans la
mesure où il a servi à traduire en grec la racine
BTH exprimant la « confiance », dans l'Ancien Testament.
Or, il n'en est rien.
Dans sa forme transitive, sous laquelle on le rencontre 13 fois,
il est traduit le plus souvent par « persuader ».
Par exemple, dans Matthieu 27, 20 lorsqu'il est dit : « Les
principaux sacrificateurs et les anciens persuadèrent la
foule de demander Barabbas et de faire périr Jésus
».
Dans sa forme intransitive et principalement au plus-que-parfait,
il figure 40 fois.
Mais dans 18 versions françaises, on ne trouve pas moins
de 70 expressions ou verbes différents pour le traduire !
Sur 680 relevés, on a :
182 fois « se fier ; se confier ; avoir fiance ; avoir confiance
» ;
136 fois « persuader » ; 52 fois « obéir
» ; 48 fois « convaincre » ; 37 fois « croire
».
On introduit ainsi des racines très éloignées
de celle Peithô qui signifie « lier » : suave,
pour persuader ; entendre, pour obéir ; vaincre, pour convaincre,
et bien d'autres qui ne sont pas indispensables.
Prenons par exemple Actes 5, 36-39. Peithô y figure 3 fois.
Mais on trouve une vingtaine d'expressions différentes pour
le rendre en français. Or, si l'on veut s'en tenir à
la racine « lier », on peut le traduire par «
rallier » comme le faisait une fois la traduction du Centenaire
:
« Theudas... a été tué et tous ceux qui
s'étaient ralliés à lui se sont débandés…
Après lui, Judas a rallié bien des gens… Ils
se rallièrent à Gamaliel ».
Cependant si l'on tient à l'idée première de
« confiance », on voit qu'il est tout aussi simple de
traduire ici ce verbe par « faire confiance » ou «
avoir confiance ».
Ainsi le lecteur ne serait pas entraîné dans de multiples
directions comme : « suivre ; gagner ; pencher ; joindre ;
ranger ; consentir ; adeptes ou partisans ».
Le choix du verbe « obéir » offre un autre danger,
même si cette traduction n'est pas fausse, car elle risque
d'entraîner le lecteur vers d'autres voies.
Par exemple Hébreux 13, 17. Toutes les traductions interprètent
ainsi : « Obéissez à vos conducteurs… ».
On sait à quelles extrémités la « Vertu
» d'obéissance a pu conduire certains dans l'Histoire
de l'Église !
Or rien n'empêche de traduire tout simplement par : «
Ayez confiance », ou « Faites confiance à ceux
qui marchent devant vous (êgoumenoi, en grec) ».
On rétablit ainsi le « lien » de « confiance
» existant entre celui qui ouvre la voie et qui assure le
second de cordée.
De façon amusante, on pourrait faire une réflexion
analogue à propos de Jacques 3,3 et du mors des chevaux qu'on
leur met dans la bouche pour qu'ils vous obéissent.
Certes ! Mais dans un concours, complet ou non, ne voit-on pas certains
chevaux dotés, pourtant, de mors très efficaces se
dérober devant l’obstacle ?
On dit que cheval et cavalier « font corps » ! Alors,
plus que d'obéissance, ne s'agit-il pas en réalité
d'un lien de confiance totale entre l'homme et l'animal, matérialisé
sans doute, par les rênes et le mors ?
Dans l'Ancien Testament, nous avions déjà rencontré
ce verbe à propos des chevaux !
A. Chouraqui avait adopté dans l'A.T. une traduction unique
pour le verbe : « assurer », comme pour le nom : «
assurance ».
Dans le N.T. il emploie une huitaine de verbes différents,
comme « confier ; convaincre ; persuader ; obéir ou
croire ».
Dans la mesure du possible, il serait sans doute profitable au lecteur
de rencontrer des verbes ou des expressions exprimant l'idée
première de « confiance ».
-Pistis dans le Nouveau Testament
Pistis figure 242 fois dans le Nouveau Testament face à
243 occurrences pour le verbe Pisteuô.
La Vulgate le traduit uniquement par Fides.
On trouve « foi » en français, dans la grande
majorité des cas.
A. Chouraqui le traduit presque toujours par « adhérence
» d'après le choix fait pour la racine 'MN dans l'A.T.
De ce fait, l'idée de Créance devient la seule signification
du mot Pistis dans cette version.
H. Pernot emploie toujours « fiance » dans sa traduction
des Évangiles.
La Pléiade fait choix, le plus souvent, de « foi ».
Dans sept passages, elle traduit ce nom par le verbe « se
fier ». Ainsi dans Marc 11, 22 : « Jésus leur
dit : Fiez-vous à Dieu ».
Certaines traductions le rendent par le verbe « croire »
; ainsi, une vingtaine de fois dans le Français Courant.
Par exemple dans Actes 20, 21 : « J'ai appelé les Juifs...
à croire en notre Seigneur Jésus ».
Ou bien dans Galates 3, 9 : « Abraham a cru et fut béni
; ainsi tous ceux qui croient sont bénis comme il l'a été
».
Dans plusieurs versions, Pistis est traduit par « fidélité
». II peut s'agir de la fidélité de Dieu : Romains
3, 3 ; ou bien de la fidélité de l'homme : «
Vous négligez la justice, la miséricorde, la fidélité…
» (Matthieu 23, 23). De même dans Galates 5, 22 ou Tite
2, 10.
Au lieu de « fidélité », on trouve aussi
«bonne foi» dans quelques traductions. Cette expression
paraît impropre puisqu'elle évoque, en français,
non pas la « confiance » mais la « sincérité
».
Pistis peut être rendu par « engagement » lorsqu'il
est fait mention de la « foi » du mariage. Ainsi dans
I Timothée 5, 12 :
« Encourant ainsi le jugement pour avoir rompu leur premier
engagement » (TOB).
La Pléiade dit ici : « …leur foi première
».
On relève aussi le mot « conviction ». Par exemple
dans Romains 14, 22 : « La conviction que tu as, garde-la
par devers toi, devant Dieu » (Osty) mais « La foi que
tu as… » (Pléiade).
Ou bien encore « confiance ». Ainsi dans Apocalypse
13, 10 : « Voilà ce qui fonde la constance et la confiance
des Saints » (Jérusalem et Maredsous).
Cette diversité d'interprétations met en évidence
le souci des traducteurs de rendre, au plus près, ce qu'ils
perçoivent du texte originel.
Mais cela fait aussi apparaître le problème posé
par la traduction de Pistis par un unique mot français :
« foi », « adhérence » ou «
fiance ».
Ainsi, le problème du critère est à nouveau
posé !
Dans un tiers des cas, la notion de « créance »
semble devoir prévaloir lorsqu'il s'agit de l'énoncé
ou du contenu de la Foi.
Par exemple dans Actes 24, 24 : « Félix entend Paul
au sujet de la créance au Christ Jésus ».
Ou bien lorsque les Églises de Judée entendent dire
: « celui qui naguère nous persécutait annonce
maintenant la créance qu'il détruisait alors »
(Galates 1,23).
Il peut s'agir également de « l'obéissance de
la foi » : « une grosse foule de prêtres obéissait
à la créance » (Actes 6, 7). De même dans
Romains 1, 5 ou II Corinthiens 1, 24.
Mais aussi de « l'unité de la foi » : «
un seul Seigneur, une seule créance, un seul baptême
» (Éphésiens 4, 5).
Citons enfin Saint Jean dans l'un des quatre emplois qu'il fait
du mot Pistis : « Tu tiens à mon Nom, tu n'as pas renié
ma créance » (Apocalypse 2, 13).
La traduction de Pistis par « fiance » ou « confiance
» devrait prévaloir lorsque ce nom est directement
relié au salut, à la justification, à la foi
de l'homme en Dieu, ou à celle de Dieu en l'homme.
Il n'en est pas toujours ainsi ; même dans ce contexte précis,
on trouve souvent Pistis traduit par le verbe « croire ».
Par exemple Actes 15, 9 : « il a purifié leur cœur
parce qu'ils ont cru ». La Pléiade dit ici : «
il a purifié leur cœur par la foi ».
Même remarque pour Actes 20, 21 ; 26, 18 ; Colossiens 2, 12
; Hébreux 6, 1 et 12 ; Romains 3, 25-27 ; Galates 3, 2.
Une telle traduction risque de ne pas permettre au lecteur de retrouver
le mot « foi » du texte grec, ni de le comprendre soit
comme « créance » soit comme « fiance ».
Or on peut penser que l'ambiguïté qui vient de ce mot
Pistis se trouve à la base de bien de nos incompréhensions
dans le dialogue œcuménique.
Ouverture : La foi de Jésus
Il convient d'ajouter quelques remarques particulières. Pistis
est le plus souvent employé seul, sans complément. Par
exemple : « les Églises se fortifiaient dans la foi »
(Actes 16, 5.)
Mais près de cinquante fois ce nom est suivi d'un génitif.
Il peut s'agir d'un pronom : « la foi de vous » c'est-à-dire
« votre foi ». Cela ne fait aucun problème.
Mais s'il est question de « la foi de Jésus » ou
de « la foi de Dieu », un problème nous est posé.
On trouve ce génitif une quinzaine de fois : Marc 11, 22 ;
Romains 3, 3, 22 et 26 ; Galates 2, 16 et 20 ; 3, 22 ; Éphésiens
3, 12 ; Philippiens 3, 9 ; Colossiens 2, 12 ; Jacques 2, 1 ; Apocalypse
2, 13 et 14, 12.
L'ensemble des traducteurs optent, dans presque tous ces passages,
pour un génitif dit objectif et traduisent ainsi : «
la foi en... »
Or, lorsque l'on parle de « l'amour de Dieu », s'agit-il
de l'amour de l'homme pour Dieu - génitif objectif -, ou bien
de l'amour de Dieu pour l'homme - génitif subjectif- ?
Seul le contexte permet parfois d'en décider.
Mais pourquoi fait-on choix, le plus souvent, du génitif objectif
lorsqu'il s'agit de la foi ?
Calvin, comme d'ailleurs les versions du XVI° et du XVII°
siècles, traduisait par « la foi de Christ » ou
« la foi de Dieu » et donc par un génitif subjectif.
Il ne semble pas que cette reconnaissance de la confiance que le Seigneur
leur faisait ait laissé les Réformateurs spécialement
inactifs !
Plusieurs versions récentes suivent, dans quelques passages,
la ligne proposée par nos ancêtres : « la foi de
l'Évangile » (Philippiens 1, 27) ; « la foi de
la vérité » (II Thessaloniciens 2, 13) ; «
la foi de notre Seigneur » (Jacques 2, 1).
Un seul verset fait l'unanimité : « la foi de Jésus
» (Apocalypse 14, 12).
La TOB, Darby et Crampon emploient aussi ce génitif subjectif
dans Actes 3, 11 ; Galates 2, 16 ; Romains 3, 22 et 26.
D'autres traducteurs suggèrent cette traduction dans des notes
placées en bas de page. On peut comprendre leur hésitation
à parler de « la foi de Dieu » ou même de
« la foi de Jésus » !
En effet, Dieu peut-il « avoir la foi » ?
Quelle signification théologique une telle affirmation peut-elle
avoir ?
Or, si l'on remplace simplement « foi » par « confiance
», certains de ces textes peuvent trouver une saveur nouvelle
!
Par exemple Romains 3, 3 : « Eh quoi ! Si quelques-uns n'ont
pas cru, leur « non-foi » (apistia) anéantirait-elle
la confiance de Dieu ? »
Notons encore ceci : on admet généralement la grande
richesse de sens du génitif dans le grec biblique. Et pourtant
on se contente, le plus souvent, des deux possibilités que
nous venons de voir. Une autre pourrait parfois être envisagée.
Par exemple, on dira : « cet enfant a le nez de son père
! ». Tout le monde comprend que le nez du fils ressemble à
celui de son père !
Ce sens pourrait être envisagé dans certains passages
comme Apocalypse 14, 12.
Il faudrait également développer la richesse de sens
offerte par l'emploi des prépositions liées au mot Pistis
:
-Eis = une direction vers : « La confiance envers notre Seigneur
Jésus-Christ » (Actes 20, 21)
-Dia = un mouvement au travers : « Une justice, par la foi à
travers le Christ » (Philippiens 3, 9)
-Ek = un mouvement venant de : « Justifiant celui qui a la foi
venant de Jésus » (Romains 3,26)
-En = en : «La sagesse qui conduit au salut par la foi dans
le Christ Jésus» (II Timothée 3, 15)
-Epi = au sujet de… : « La créance au sujet de Dieu
» (Hébreux 6,1)
-Pros = à l'égard de..., envers : « Votre foi
envers Dieu » (Colossiens 2, 12)
Malheureusement, pour des raisons de simplicité, on se contente,
le plus souvent, de les rendre en français par la préposition
: en.
Un verset de l'Epître aux Hébreux doit retenir notre
attention. II y est dit mot à mot :
« La Pistis est hypostase des choses espérées,
démonstration (ou preuve) des faits (ou choses) qu'on ne voit
pas » (Hébreux 11, 1).
On trouve, pour ce verset, une grande variété d'interprétations
fort différentes les unes des autres. Il n'est pas question
de résoudre ici les problèmes posés par ce texte
!
Toutefois, l'ensemble de la réflexion que nous venons de poursuivre
permet d'avancer quelques remarques.
L'auteur s'adresse à des Hébreux qui connaissent bien
leur Écriture Sainte.
Or dans l'Ancien Testament, nous avons constaté que les LXX
s'étaient servi du verbe grec « espérer »
pour traduire le verbe hébreu « se fier ».
Curieusement, la traduction en hébreu du Nouveau Testament
emploie successivement dans ce verset les deux racines que nous avons
étudiées : 'MN pour le premier mot ; BTH pour le verbe.
D'après cela on peut faire cette approche : « La créance
est la substance (traduction littérale
d’« hypostase », comme dans Hébreux 1, 3)
des choses de la Foi, la démonstration des faits qu'on ne voit
pas ».
Saint Jacques exprimerait la même idée lorsqu'il dit
: « Sans les œuvres, la foi est tout à fait morte.
Montre-moi ta foi, sans œuvres, et moi, je te montrerai ma foi
d'après mes œuvres » (2, 17-18)
Si l'on considère chacun des exemples cités par l'auteur
de l'Épître aux Hébreux dans le chapitre 11, on
peut constater que la confiance de ces témoins en la Parole
de Dieu les a amenés à croire de toutes leurs forces
que Dieu leur demandait d'accomplir telle ou telle chose.
La confiance d'Abel dans le Dieu Vivant le conduit à croire
qu'il doit offrir les premiers-nés de son troupeau.
La confiance de Noé l'amène à croire qu'il doit,
d'urgence, construire une Arche loin de toute mer !
La confiance d'Abram le conduit à croire qu'il doit quitter
son pays et la maison de son père.
Certes « la foi vient de ce que l'on entend et ce que l'on entend
vient de la Parole de Dieu » (Romains 10, 17).
Mais leur foi s'est traduite en créance, puis en actes pour
chacun de ces témoins de Dieu.
Leur créance agissante est devenue la substance de leur foi
en Dieu, et pour tous, la démonstration de choses ou de faits
qu'on ne pouvait voir.
Ainsi, la créance serait « incarnation de la fiance »…
Conclusion
Pour conclure cette recherche, il nous faut aborder une objection
assez répandue et à laquelle nous avons pu nous heurter,
surtout dans l'Évangélisation.
On nous affirme : « la Bible dit que la foi est un don de Dieu,
ou du Saint-Esprit. Or je n'ai pas la foi. Je ne suis pas responsable
puisque Dieu me la refuse ! Si je ne suis pas sauvé par la
foi, la faute ne m'en incombe pas ! »
Certains commentateurs pensent éviter ce piège en expliquant
que dans I Corinthiens 12, 9, il s'agit de la foi qui transporte les
montagnes dont parle Jésus, et non de la foi de Monsieur tout-le-monde.
Mais cette réponse ne satisfait pas nos interlocuteurs…
Or, en redonnant au mot « foi » son sens de « confiance
», on peut susciter une réflexion plus approfondie.
Notre expérience nous conduit chaque jour à «
faire confiance » aux êtres, mais aussi aux choses qui
nous entourent (« ma voiture »).
Nous faisons confiance au chauffeur, au pilote, au garde-barrière,
au médecin, au chirurgien ou au cuisinier !
Or cette confiance « donnée » ou « refusée
» échappe le plus souvent à toute analyse rationnelle.
Si nous prêtons attention aux paroles que nous prononçons,
nous risquons de nous entendre dire : « ce guide me DONNE confiance
». Cette confiance serait, par conséquent, un DON de
ce guide-là ! Et personne ne songerait à faire la critique
de cet état de fait.
De même nous pouvons dire de telle personne : « elle m'inspire
confiance ! » Et dans cette parole banale, on retrouve le mot
« Esprit, Spiritus » dont Saint Paul parlait dans sa lettre
aux Corinthiens : « La foi est un DON de l'Esprit ».
L'itinéraire spirituel que nous avons suivi nous a peut-être
amenés à reconnaître qu'en effet :
« la Foi vient de ce que l'on entend et ce que l'on entend vient
de la Parole de Dieu »
(Romains 10, 17).
Mais justement, lorsque cette Parole de grâce et d'amour, manifestée
en Jésus, me touche, je peux alors reconnaître :
ce Dieu qui se révèle ainsi à moi me DONNE confiance.
Ce Dieu, mon Sauveur, m'inspire confiance par la puissance de son
Esprit.
Lui, et nul autre !
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