DIRE LA PAROLE
par le pasteur
Pierre Joudrier
Table
et Avant-dire
Chapitre
suivant
Chapitre I : LA PAROLE ET LE DIRE
Introduction
La Parole apparaît, dans l'Écriture Sainte, comme l'élément
fondamental de la Révélation.
Si, d'un simple point de vue statistique, le verbe Dire est le mot
le plus utilisé dans la Bible, l'importance des termes comme
Parole et Dire provient principalement de l'accumulation de significations
essentielles qui y sont attachées dans l'ensemble de la réflexion
chrétienne.
Du début à la fin, la Bible est le témoin privilégié
de Dires humains ou divins, d'oracles, de prophéties, de commandements
ou de récits ayant une relation plus ou moins directe avec
la Parole de Dieu.
Tranchantes paroles :
Nous le constatons chaque jour, toute notre vie affective, spirituelle,
intellectuelle ou sociale s'extériorise et s'exprime nécessairement
par le « moyen » de ce que nous nommons « la parole
».
Depuis l'origine nous donnons un nom à tout (Genèse
2, 20). Pour appréhender le réel, tout comme le spirituel
ou l'imaginaire, il nous faut donc posséder les clefs du langage.
Dans les religions révélées : Judaïsme,
Christianisme et Islam, l'Écriture Sainte est présentée,
dans un raccourci trop rapide, comme étant la « Parole
de Dieu ».
Se fondant sur cette affirmation, certains fidèles ont pu estimer
que la Parole Vivante de Dieu se trouvait comme configurée,
matérialisée, enfermée dans cette Écriture
devenue, pour eux, de ce fait, intouchable et infaillible.
Cette croyance a pu conduire certains à se servir de cette
« Parole » comme d'une arme acérée pour
confondre l'adversaire ou condamner celui que l'on jugeait hérétique
et, au besoin, le faire taire à jamais « au nom de »
la Parole de Dieu.
Comment pouvons-nous encore nous battre à coups de versets
bibliques élevés par nous au rang de vérités
infaillibles, alors que cette Écriture a été
merveilleusement gardée, protégée, transmise
à travers les siècles pour nous permettre d'entendre
la Parole d'Amour du Seigneur pour sa Création ?
Certes cette Parole de Dieu est « vivante et efficace, plus
tranchante qu'une épée à deux tranchants »
comme l'affirme l'auteur de l'Épître aux Hébreux
(4, 12). Mais Saint Paul, lui, nous invite à prendre l'épée
de l'Esprit qui est la Parole de Dieu (Éphésiens 6,
17), celle d'un Esprit porteur de Joie, de Vie et d'Espérance
; une Parole qui a été faite chair en Jésus.
Et pourtant combien de morts jonchent l'Histoire de l'Église
au nom de cette Parole de Vie !
Transmission et traductions :
Dans leur ensemble les Juifs ont le privilège de lire la Torah
en hébreu. Les Musulmans lisent le Coran en arabe. Les Chrétiens
ont reçu l'Ancien Testament en hébreu et le Nouveau
en grec. Toutefois, dès avant l'ère chrétienne,
il existait des traductions de l'Ancien Testament en grec ou en araméen.
Au II° siècle ap. J.C. apparaissent des versions latines
de la Bible.
Au IV° siècle, la traduction de St Jérôme
s'impose en Occident. On lui donne le nom de « Vulgate ».
En français, il faut attendre le XVI° siècle pour
avoir une traduction complète de la Bible réalisée
par Lefèvre d'Étaples de 1523 à 1530, mais d'après
le texte de la Vulgate.
Vient peu après celle d'Olivetan parue en 1535 et traduite
d'après les textes hébreux et grecs.
Depuis, les traductions en français se sont considérablement
multipliées. A travers elles, nous rechercherons aussi à
mieux saisir le sens des mots étudiés.
I- Analyse des 2 racines hébraïques DBR et ‘MR
1- la racine DBR
Le tableau suivant résume le cheminement de cette recherche
à travers le grec de la Septante (LXX) puis le latin de la
Vulgate, pour parvenir aux versions françaises, en ayant comme
point de départ le texte hébreu.
-Verbe hébreu DaBâR : il signifiait sans doute primitivement
: « lier, rattacher ».
D’où « parler », c'est-à-dire : rattacher
des mots les uns aux autres.
LXX : Laleô : à l'origine : « prononcer des sons
inarticulés ». Par suite : « babiller, bavarder
» et enfin « parler ».
Vulgate : Loqui : « parler », souvent : abondamment. Il
a donné en français : loquace.
Français : « parler » ou « dire ».
-Nom hébreu DâBâR : 4 significations essentielles
se recouvrant parfois :
LXX : Logos : il provient d'une racine leg- signifiant « rassembler,
dire, parler »,
d’où :
- 1 - Parole, discours, nouvelle.
2 - Raison, cause, raisonnement. A donné Logique en français.
Vulgate : 1 - Verbum : « mot, terme, parole ». De cette
racine vient, en français : verve, verbiage (de l'ancien
« verbier » signifiant gazouiller !)
2 – Sermo : venant du verbe Sero : « lier, attacher,
enchaîner ».
3 - Loquela (Psaume 19, 4).
Français : « parole ».
2- la racine ' M R
-Verbe hébreu 'âMaR : « dire, ordonner ».
LXX : plusieurs verbes pour le traduire :
- 1 - Legô : de la racine leg- vue pour Logos
2 - Eirô : rattaché à une racine fer- : «
dire ».
3 - Epô : Dire, d'une racine fep- : « parler ».
4 - Phêmi : Dire, d'une racine pha- : « briller ».
Vulgate : Dico : d'une racine indo-européenne dik- signifiant
: « montrer, dire ».
Français : « dire » ou « parler ».
-Noms hébreux construits sur cette racine 'MR :
1 - 'ÔMÔR (6 occ.) : « dire, parole, langage »
LXX : -Logos : « parole, raison », même racine que
Legô.
-Rêma : « mot, parole » : Ps 19, 3 ; 68, 12.
Vulgate : -Sermo : « parole », Ps 19, 4. Racine ser- signifiant
enchaînement, comme dans « série » en français.
-Verbum : « mot, parole », Ps 19, 3.
Français : « parole, langage, ordre » A. Chouraqui
: uniquement « le dire ».
2 - ' èMêR (49 occ.) : « parole, ordre ».
LXX : Logion , Logos ou Rêma.
Vulgate : Sermo, Verbum.
Français : « parole ». A. Chouraqui : « le
dire » ou « le dit ».
3 - 'iMeRaH ( 37 occ.) : « parole ».
LXX : -Logion, 18 occ. rien que dans le Ps 119 avec en plus un Logos
au verset 154.
-Rêma ou Phônê : Ésaïe 29, 4.
Vulgate : -Sermo, Verbum : Job 6, 25-26 ; Proverbes 6, 2 et 7, 1 et
5.
-Eloquium : Proverbes 21, 21
Français : « parole ». A. Chouraqui : « le
dire » ou « le dit », Job 22, 22 et 23, 12.
Premières conclusions, premières confusions
De ce tableau il est possible de dégager quelques éléments
qui ont finalement généré les notions de Parole
et de Dire.
1 - Partant de mots signifiant des sons inarticulés, voire
même des cris d'animaux, on passe au babillage du bébé,
puis au bavardage par accumulation de mots, pour parvenir enfin à
la parole. On retrouve cela en hébreu, en grec et en latin.
2 - Ou bien on trouve l'idée d’« enchaînement
» logique des mots, ce qui conduit au Dire en hébreu,
en grec comme en latin, avec pourtant des racines différentes.
3 - On notera cependant l'originalité très importante
du mot hébreu DâBâR qui peut signifier aussi bien
la parole que l'action. Voir par exemple Genèse 12, 17 ou 22,
16.
4 - Mais ce tableau fait ressortir également les confusions
qui ont pu s'opérer par le passage d'une langue à une
autre, par suite d'une réduction de sens des mots. Par exemple,
le verbe hébreu DaBâR « parler », est traduit
par Laleô en grec, par Loqui en latin, mais par « parler
» et « dire » en français.
Le verbe 'aMaR se traduit le plus souvent par Legô en grec et
Dico en latin, mais par « dire » et « parler »
en français.
Les noms hébreux signifiant « dire » sont rendus
en grec par le même nom Logos employé pour la Parole.
En latin par Verbum et Sermo employés aussi pour traduire le
mot Parole. Une exception, A. Chouraqui emploie « le dire »
et « le dit ».
5 - Ce tableau met ainsi en évidence l'intérêt
d'établir, en français, une distinction entre Parler
et Dire, la Parole et le Dire.
Distinction d'autant plus difficile que nous employons indifféremment
selon les contextes l'un ou l'autre verbe et que nous n'usons pratiquement
que d'un seul substantif : la Parole.
Étant donné la grande importance de ce nom dans le dialogue
entre différentes confessions chrétiennes, il conviendrait
d'en bien cerner le sens dans l' Écriture Sainte et de parvenir
à un consensus pour l'emploi de ces mots afin d'éviter
d'employer l'un pour l'autre tant en prédication qu'en catéchèse.
A propos de charabia
Afin de prendre conscience de la distinction que nous opérons
parfois entre Parler et Dire, on peut prendre l'exemple suivant :
le Livre des Actes nous décrit les Apôtres, au jour de
Pentecôte, « parlant en d'autres langues » et chacun
les entendant parler dans son propre dialecte.
On donne à cette manifestation de l'Esprit le nom de «
xénoglossie ».
Par la suite apparaît dans les communautés chrétiennes
un autre don de l'Esprit : « le parler en langue » ou
glossolalie (Actes 10, 46 ; I Corinthiens 14, 2-39).
II ne viendrait à l'idée de personne de traduire : «
les chrétiens disaient en langue ». Saint Paul lui-même
parlait en langue. Il ne s'élève donc pas contre cette
manifestation de l'Esprit dans les assemblées, mais à
la condition expresse qu'il y ait là présente une personne
capable, par ce même Esprit, d'interpréter ce «
parler » afin de faire entendre à la communauté
ce que l'Esprit veut dire à l'Église. S'il n'y a pas
d'interprète, qu'on se taise (ce qui pose d’ailleurs une
sérieuse interrogation sur la liberté du Saint- Esprit…),
et que l'on parle à Dieu dans son cœur.
La Pléiade a choisi de traduire ce « parler en langue
» par le mot « charabia » rendant ainsi un hommage
à l'auvergnat migrant ou au berbère quelque peu barbare,
si l'on se réfère à l'origine possible de ce
mot ! En effet, pour le commun des fidèles, ce « parler
en langue » ne veut rien « dire ». Mais à
travers ce charabia, par le moyen de l'interprète, l'Esprit
peut « dire » une chose claire et compréhensible
à l'Église.
On pourrait aussi faire ce rapprochement : Jésus parlait à
ses disciples en « Paraboles », mais ils ne les comprenaient
pas toujours. C'est pourquoi, en particulier, Jésus était
obligé de leur « dire » ce qu'elles voulaient dire…
Signification de Parole et Dire dans leurs emplois bibliques
PAROLE
« Parole » a provoqué bien des incompréhensions
dans le christianisme mais également avec le Judaïsme
ou l'Islam.
A l'origine du mot « parole » nous découvrons,
peut-être avec étonnement, une contraction du mot «
PARABOLE », mot venant du grec en passant par le latin !
En effet, le latin Parabola est emprunté au grec Parabolê
composé d'une racine bal- signifiant « jeter ».
Elle donne en français le « bal » peut-être
parce que l'on y « jetait » la jambe ?
La « bal-lerine » fait des « jetés »,
battus ou non, en dansant un « bal-let » !
Cette racine est précédée du préfixe
para- signifiant « le long de », comme dans «
parallèle ».
En s'en tenant uniquement au français, on pourrait donc dire
que toute « parole » est « parabole ».
Cette remarque rejoint l'affirmation de Marc 4, 33-34 : «
Par de nombreuses "paraboles" semblables, Jésus
leur "parlait" (Lalei) la "Parole" (Logos) et
sans paraboles il ne leur "parlait" pas (Lalein). Mais
à part, il expliquait tout à ses disciples ».
Une parabole serait donc une image, une histoire ou une parole jetée,
sous forme de comparaison, parallèlement à notre propre
histoire. Il nous appartiendrait, avec l'aide de l'Esprit, de découvrir
ce qu'elle nous dit à nous, aujourd'hui, personnellement
ou en communauté.
En hébreu, nous l'avons noté, la racine DBR signifie
« nouer, lier, attacher ».
Le verbe signifie « parler », et le nom « parole
».
Toutefois il comporte 4 sens ayant un rapport étroit avec
la racine et dont il faut tenir compte :
1 - Parole, ordre, commandement : ils lient celui qui entend à
celui qui parle.
Par exemple Exode 20, 1 : « Et Dieu parla toutes ces paroles
pour Dire... »
2 - Chose, action : Genèse 22, 16 « Puisque tu as fait
toute cette chose-là (A. Chouraqui : cette
Parole) et que tu n'as pas épargné ton unique, je
te bénirai ».
3 - Cause : Genèse 12, 17 « A cause de Saraï,
femme d'Abram… »
A. Chouraqui traduit astucieusement « A propos de Saraï…
».
4 - Différend : Exode 28, l6 « Quand ils ont un différend,
ils viennent à moi » (A. Chouraqui :
« une parole » ; on pourrait proposer : des mots !).
Si l'on cherche le lien pouvant exister entre la racine et le sens
premier de ces termes, on peut aussi penser que nos ancêtres
se sentaient « liés » par la parole.
Dans des civilisations où l'écrit n'existait pas pour
les particuliers, la Parole donnée liait sans doute plus
efficacement que certains écrits dont nous faisons des chiffons
de papier…
L'homme se sentait « lié » tout autant par sa
parole que par ses actions.
Pour la pensée de l'Ancien Testament, Dieu s'est lui aussi
totalement lié à sa Parole, Parole qui s'est accomplie
dans sa Création.
Plus tard, elle a été faite « chair »
en son Fils Jésus afin de manifester son amour rédempteur
à toutes ses créatures.
L’affirmation de l'Évangile de Jean : « La Parole
a été faite chair » devrait guider et orienter,
de manière constante, l'emploi que nous faisons du mot «
Parole ».
DIRE
La racine ' MR semble avoir un sens bien précis et limité
en hébreu. Le verbe et les noms formés à partir
d'elle ont toujours un lien étroit avec le « Dire ».
Ce verbe est traduit dans la LXX par plusieurs verbes issus de racines
différentes.
On trouve principalement un verbe venant de la racine leg- signifiant
« rassembler ».
En vient le mot Logos conservé sous sa forme grecque par
certains traducteurs (A. Chouraqui ou H. Pernot par exemple), traduit
par « Verbe » (Jérusalem, TOB) ou « Parole
» par d'autres.
On retrouve cette racine dans de nombreux mots français se
terminant par -logue comme dialogue ou catalogue, mais aussi dans
des mots comme horloge ou logique.
Par un curieux glissement de sens, cette même racine indo-européenne
a donné en latin legere qui signifie « lire »
et non plus « dire ».
Dans la Vulgate on trouve presque uniquement le verbe dicere. Il
vient d'une racine dik- signifiant « montrer » mais
spécialisée dans le sens de « faire connaître
par la parole ... » et affectée d'un caractère
religieux ou juridique. D'elle provient notre verbe dire.
En grec, cette racine a conservé son sens primitif et donne
des noms comme dikê, c'est-à-dire « la règle
» servant à « montrer » le juste ou l'injuste
et permettant de juger.
Les noms issus de la racine ' MR ont malheureusement été
traduits dans la LXX par le même mot Logos employé
pour traduire DâBâR. On trouve parfois Rêma ou
Phônê.
En se servant du même mot pour traduire la Parole et le Dire,
il s'est donc produit un appauvrissement regrettable du génie
de la langue hébraïque. Cette réduction de sens
a eu par la suite des conséquences importantes pour la formulation
de la pensée des auteurs du Nouveau Testament.
Dans la Vulgate on trouve indifféremment les mots sermo ou
verbum. En français, presque uniquement celui de «
parole ».
A. Chouraqui est le seul à introduire le verbe substantivé
: « le Dire » ou « le Dit », traduction
qui permet de conserver, au moins pour l’Ancien Testament,
la distinction entre Parole et Dire.
Dans le Nouveau, cette distinction vient nécessairement de
l’interprétation ou de l'intuition personnelle du traducteur…
En résumant à l'extrême on peut faire le constat
suivant :
en hébreu : 2 verbes distincts : Parler et Dire
2 noms : la Parole et le Dire
en grec : 2 verbes : Parler et Dire
1 seul nom : Parole
en latin : 2 verbes : Parler et Dire
2 noms : la Parole et le Dire
en français : 2 verbes : Parler et Dire,
mais employés indifféremment l’un pour l’autre.
1 seul nom : Parole, avec en plus cette tentative récente
d’introduire :
le Dire ou le Dit.
II- Parler pour ne rien dire ?
Nous utilisons généralement une traduction française
pour notre lecture de l' Écriture Sainte. Chaque version est
nécessairement un compromis entre une traduction littérale
et une traduction littéraire, indépendamment de tous
les problèmes d'interprétation. Ces compromis peuvent
conduire à des ruptures de sens dont voici un exemple qui touche
de près à notre recherche.
Nous rencontrons fréquemment la construction suivante : «
Le Seigneur parle. Il dit... »
Nous y sommes habitués et nous ne cherchons pas plus avant.
Or le texte hébreu exprime peut être quelque chose de
plus profond ! En effet, lorsque nos deux verbes « Parler »
et « Dire » se suivent dans une même proposition,
ils sont toujours placés dans le même ordre. De plus
ils sont reliés entre eux par la préposition l-. Devant
un infinitif cette préposition signifie « pour »
et parfois « comme pour ».
On devrait donc traduire ainsi : « Le Seigneur parle pour dire…
».
Cette construction syntaxique se retrouvant 888 fois dans l'Ancien
Testament rien qu'avec le verbe dire, on ne peut donc la négliger
comme on le fait le plus souvent !
Les traducteurs de la LXX n'appréciaient sans doute pas la
lourdeur de cette construction et ils l'ont rendue en grec par un
participe présent : « Dieu parle disant ».
La Vulgate latine fait de même.
Les Réformateurs ont généralement suivi la LXX.
Aujourd'hui on allège en traduisant ainsi : « Dieu parle.
Il dit… ».
Mais cela rend-t-il bien compte de la pensée profonde des auteurs
bibliques ?
Certains grammairiens estiment que dans de nombreux cas, la construction
avec la préposition l- devrait être rendue par un gérondif
: « Dieu parle EN disant... »
Sans chercher très loin, on trouve cette construction venue
directement du génie hébraïque dans une trentaine
de textes du Nouveau Testament grec. Par exemple : « Le messager
du Seigneur parle à Philippe en disant » (Actes 8, 26).
D'ailleurs la traduction du N.T. en hébreu utilise la construction
avec l- pour rendre le sens du texte grec.
Une expression française, dont l'emploi n'est pas exceptionnel,
nous permet de mieux cerner la portée de cette recherche. En
effet on peut dire à propos d'un discours, voire d'une prédication
: « Oh ! Il a bien parlé, mais je ne sais pas ce qu'il
a voulu dire ! ».
Dans un sens un peu différent, on peut émettre cette
critique : « il parle pour ne rien dire ! ».
Par conséquent, d'instinct, nous établissons une distinction
entre Parler et Dire.
Pourquoi les écrivains bibliques ne l'auraient-ils pas faite
?
Pourquoi gommer leur pensée dans nos traductions ?
Dieu, Lui, ne parle pas pour ne rien dire !
Au moins était-ce l'assurance des écrivains bibliques.
Pour certains textes, il est vrai, comme on se trouve au tout début
de l'écriture alphabétique, on pourrait penser qu'ils
ne maîtrisaient pas encore l'art d'écrire et se répétaient
inutilement ! Mais s'ils ont voulu, au travers de cette forme, nous
rendre participants d'une intuition profonde concernant la Parole
de Dieu, pouvons-nous aujourd'hui ne pas en tenir compte ?
Par nécessité, nous limiterons ici les éléments
de cette recherche au seul livre de la Genèse.
On y rencontre 80 fois la construction comportant la préposition
l- avec des verbes ayant un rapport direct avec la parole, comme ordonner,
jurer, annoncer, mais également avec des verbes exprimant une
action, comme bénir (qui signifie étymologiquement :
s'agenouiller) : 1, 22 ; 48, 20 ; rire : 18, 12-15 ; couper : 15,
18 ; saisir : 39, 12 ; attacher : 38, 28.
Associée au verbe dire, la traduction « en disant »
ne fait pas problème dans la plupart des cas. Mais certains
passages sont peut-être plus subtils.
Par exemple le texte de Genèse 18, 12 -15 :
« Sara rit en elle-même disant : après m'être
usée aurais-je de la volupté ? Et mon maître aussi
est vieux ! Yahvé dit à Abraham : Pourquoi Sara a-t-elle
ri disant : Alors vraiment j'enfanterais, moi qui ai vieilli ! ...
Sara nie en disant : Je n'ai pas ri. Il dit : Non pas, tu as ri ».
Si l'on restitue à la préposition l- sa valeur, ce texte
prend une autre couleur : « Sara rit en elle-même comme
pour dire : Après m'être usée aurais-je de la
volupté ?... Pourquoi Sara a-t-elle ri comme pour dire : Alors
vraiment j'enfanterais, moi qui ai vieilli ! »
A la lumière de cette interprétation, on découvre
qu'une attitude, un geste, un sourire, un regard peuvent exprimer
autant et même plus qu'un dire.
Ici l'important, c'est la signification du rire, et non pas ce qui
aurait pu être dit par Sara. En effet le reproche du Seigneur
porte sur son rire et non pas sur le dire. A preuve, il ne répète
pas mot à mot le dire de Sara et le dialogue s'achève
ainsi : « Non pas, tu as ri ».
Ce rire de Sara lui est reproché à cause de sa signification
profonde. En effet le même rire d'Abraham n'a pas été
sanctionné par le Seigneur parce qu'il exprimait la joie du
Père des croyants.
Après la naissance de l'enfant promis, l'ambiguïté
subsistera puisque le fils sera nommé Isaac, c'est-à-dire
« celui dont on rit ».
Lors de la naissance des jumeaux enfantés par Tamar, la sage-femme
attache un fil cramoisi à la main qui se présente la
première « comme pour dire : Celui-ci est sorti le premier
» (38,28). La traduction « comme pour dire... »
semble bien convenir dans les passages où il est question d'un
geste ou d'une action.
Dans certains cas, la construction hébraïque semble plus
riche de sens lorsqu'elle est respectée. A. Chouraqui a ainsi
osé la conserver dans une douzaine de textes de la Genèse.
Si un geste, un signe, un sourire, une attitude peuvent vouloir dire
quelque chose, il faut comprendre que celui qui les perçoit
doit nécessairement les traduire, soit en lui-même, soit
à haute voix, dans un « Dire ». Nous en faisons
chaque jour l'expérience.
Toutefois, cette expérience nous a enseigné combien
nos interprétations étaient parfois erronées
et combien nous devions nous en méfier !
Or ceci est également vrai pour le Dire. Une personne dit une
chose claire et précise pour elle. Mais, de bonne foi, l'auditeur
peut « entendre » tout autre chose. D'ailleurs on appelle
cela un « mal-entendu » !
C'est l'homme tout entier avec sa nature, sa culture, sa sensibilité,
son intelligence et sa croyance qui perçoit les « signes
» ou la Parole. Puis il les interprète ou les exprime
dans un Dire.
Nous croyons que Dieu nous parle
Et l'homme, au plus profond de lui-même, entend cette Parole,
ou cette Parabole, à travers une rencontre, un événement,
un geste, une lecture ou un signe privilégié : la
Cène par exemple, par laquelle la présence de la Parole
faite chair nous est signifiée.
Puis l'homme décrypte cette « Parole » et la
traduit dans sa langue avec toutes les ressources de celle-ci et
celles de son être : foi, génie, intelligence et surtout,
pour nous, avec le secours efficace du Saint Esprit.
Ainsi la Parole perçue par l'homme devient-elle, pour lui,
le dire explicite de Dieu.
La Parole a été comme « jetée »
parallèlement à la réalité vécue
par cet homme et celui-ci a traduit cette parabole en Dire humain,
car Dieu ne parle jamais pour ne rien dire !
« Telle est ma Parole : une fois sortie de ma bouche, elle
ne revient pas à moi à vide, sans avoir accompli mon
vouloir et mené à bonne fin la mission que je lui
ai confiée » (Ésaïe 55, 11).
On discerne clairement dans ce verset combien la Parole de Dieu
est en même temps Action de Dieu.
Ceci se retrouve également exprimé dans le Psaume
19 :
« Les cieux racontent la gloire de Dieu,
L'oeuvre de ses mains, le firmament l'annonce.
Le jour au jour en exprime le Dire.
La nuit à la nuit en transmet le savoir.
Sans Dires, sans Paroles,
Sans que leur voix s'entende,
(Pourtant) sur toute la Terre, s'étend leur son
Et leurs mots vont jusqu'au bout du Monde ».
Ainsi, pour le psalmiste, la Création peut exprimer pour
celui qui la perçoit une Parole de Dieu et cela, sans le
secours des mots ou du langage des hommes.
Mais l'homme ne saisit pas toujours cette Parole ou cette Parabole
de Dieu. N'empêche ! Cette Parole est proclamée.
Jésus dira une chose semblable : « Je leur parle en
paraboles parce que voyant, ils ne voient pas et qu'entendant, ils
n'entendent ni ne comprennent. Alors s'accomplit pour eux (ou :
en eux) la prophétie d' Ésaïe : « Entendant,
vous entendez et ne comprenez pas. Regardant, vous regardez et ne
voyez pas » (Matthieu 13,13-14).
Cette nécessaire présence d’un homme fait de
chair et de sang, qui écoute et entend la Parole de Dieu
et qui lui donne forme dans un Dire humain, pourrait être
comprise comme étant la « nécessité de
l’incarnation ».
Dire pour dire
Le verbe dire est employé seul dans la grande majorité
des cas. Lorsque l'homme pense avoir perçu la Parole de Dieu
de façon claire et explicite, la citation en est généralement
introduite par cette formule : « Et il dit… »
Ces mots peuvent précéder un DIRE exprimant le dessein
créateur de Dieu : Genèse 1, 3, ou bien une délibération
intérieure du Seigneur : Genèse 2, 18.
Le plus souvent elle introduit le Dire de Dieu tel que l'homme l'a
perçu : Genèse 3, 9 ; 4, 6 ; 6, 13.
L'extrême simplicité de cette formulation exprime cependant
la complexité du processus de l'écoute de la Parole
de Dieu par l'homme. Cette simplicité semble avoir parfois
troublé les auteurs bibliques. Cela pourrait expliquer le
redoublement du verbe dire dans certaines propositions. Le second
verbe est, dans ce cas, précédé de la préposition
l- comme nous l'avons vu pour le verbe parler.
Par exemple : « Dieu DIT à Noé et à ses
fils pour DIRE : Et moi, me voici, j'élève mon alliance
avec vous... » (Genèse 9, 8-9). Également pour
Genèse 21, 22 ; 42, 37 ; 47, 5…
Seul A. Chouraqui a respecté, le plus souvent, ce redoublement
qui pose plus qu’une question de style, une vraie question
de fond. En effet, dans les langues sémitiques, le redoublement
a pour but d'intensifier le sens d'un mot ou d'un verbe.
Rappelons ce passage bien connu : « De tous les arbres du
jardin tu mangeras, tu mangeras. De l'arbre à connaître
le bon et le mauvais, tu n'en mangeras pas, car le jour où
tu mangerais de lui, de mort tu mourrais, « ou bien »
pour mourir tu mourrais » (Genèse 2, 16-17).
Le premier redoublement est généralement traduit par
: « tu peux manger… » et le second par «
tu mourras certainement ».
Comme il ne peut s'agir d'étourderies de la part des écrivains
bibliques, ces redoublements avaient une valeur pour eux. Il en
est de même avec le redoublement du verbe dire qui pourrait
donc signifier : c'est là, de façon certaine, le Dire
de Dieu, ou bien : le Dire d'un homme.
Cela est si évident pour la pensée hébraïque
que les LXX ont éprouvé le besoin d'introduire ce
redoublement en grec là où notre texte hébreu
ne l'employait pas ! Par exemple Genèse 17, 17 ; 43, 5 ou
50, 24.
Il se retrouve également dans le Nouveau Testament : «
Il dira en disant : Je ne sais d'où vous êtes…
» (Luc 13, 27 ; Matthieu 22, 1).
Il serait bon de laisser apparaître cette construction dans
nos traductions, au moins pour attirer l'attention des lecteurs.
Cette remarque devrait s'imposer d'elle-même en ce qui concerne
cette expression originale : « Parler pour Dire » puisqu'elle
établit une distinction formelle entre Parler et Dire.
III- Nécessité de l’incarnation de la Parole.
En nous efforçant de comprendre le mystère de l’écoute
de la Parole de Dieu et de sa traduction dans un dire humain, nous
avons constaté qu’il y a nécessairement la présence
d’un homme.
Un homme entend la Parole de Dieu au plus profond de lui-même.
Cet homme traduit dans un Dire humain cette Parole de Dieu avec toutes
les richesses, mais aussi avec toutes les faiblesses et toutes les
limitations de sa nature, avec les acquis de sa culture, avec les
possibilités de sa langue, mais avec le secours de l’Esprit
Saint.
Ainsi, pour être perçue et dite, la Parole de Dieu s'abaisse
et accepte les limites inéluctables de l'Incarnation.
La Création tout entière raconte la Gloire de Dieu sans
Dires, sans Paroles. C'est la certitude du Psalmiste et c'est vrai
pour nous. Mais il faut absolument un homme qui perçoive cette
Gloire et qui la célèbre avec des mots humains. Sans
l'homme, elle existe de toute éternité, mais seul l'homme
peut la Dire dans la langue des hommes.
Saint Paul écrivait aux Romains : « Ce qu'on peut connaître
de Dieu est manifeste pour eux : Dieu le leur a manifesté.
En effet depuis la création du Monde, ses perfections invisibles,
son éternelle puissance et sa divinité sont visibles
dans ses œuvres, pour l’intelligence » (1, 20). Sans
doute ! Mais de toute évidence l'homme qualifié de «
naturel » ne sait ni voir, ni entendre cette Parabole de Dieu
manifestée aux hommes par le Créateur. Bien pire : l'homme
rate le but de son existence en adorant et en servant la créature
au lieu du Créateur (1, 25).
Ce « ratage » de l'écoute de la Parole de Dieu
par l'homme se discerne dans tous les âges et dans tous les
lieux de ce Monde.
Il est amusant de constater que le verbe que nous traduisons par «
pécher » se prononce en hébreu « Rata »,
ce verbe signifiant « manquer, rater », par exemple Juges
20, 16 : « Chacun d'eux pouvait lancer une pierre avec sa fronde,
sur un cheveu, sans le rater ! »
Ce « ratage », ou ce « péché »
comme on dit généralement, nous conduit directement
à la nécessité de l'incarnation de la Parole
de Dieu en Jésus, le Fils de l'homme, Parole faite chair.
« Après avoir, à bien des reprises et de bien
des manières, parlé autrefois aux Pères DANS
les prophètes, Dieu, dans ces temps derniers (ou bien «
en cette fin des jours », Osty ; « en la période
finale », TOB) nous a parlé à nous DANS un Fils
qu'il a établi héritier de tout » (Hébreux
1, 2).
Saint Jean témoigne lui aussi de cette foi dans les précieuses
déclarations du prologue de son Évangile : « Au
commencement était le Logos, et le Logos était auprès
de Dieu et le Logos était Dieu. Tout devient par lui ; hors
de lui, rien de ce qui advient ne devient… Le Logos est venu
chez les siens, et les siens ne l'ont pas accueilli… Le Logos
est devenu chair. Il a établi sa tente (son tabernacle) parmi
nous. Nous avons contemplé sa Gloire : Gloire comme celle d'un
Fils unique auprès du Père : plein de grâce et
de vérité » (Jean 1, 1-14).
Ainsi, pour Jean, le Logos est Dieu, il est avec Dieu, il est devant
Dieu, il est au commencement de tout et tout est devenu par lui.
A travers cette confession de foi de Jean, la Parole semble avoir
été « jetée, projetée » hors
du Créateur. Ainsi elle a manifesté, pour les siens,
sa pensée, sa volonté et sa puissance créatrice
et a donné à « Tout » la possibilité
de devenir.
Le premier « Adam », c'est-à-dire « le premier
terrestre » -en effet la Terre se dit « Adama »
en hébreu- est « devenu » par cette Parole, et
il s'est trouvé ainsi ordonné à elle. S'il brise
le lien qui le « lie » à cette Parole, de mort,
il meurt.
A Noël, la Parole est devenue chair. Elle s'est incarnée
pleinement dans l'Enfant nouveau-né. Et Jean-Baptiste proclame
devant tout le Monde : « C'est Lui dont j'ai dit : Après
moi venu, devant moi devenu, parce qu'antérieur à moi,
Il est » (Jean 1, 15).
A travers ce témoignage de Jean, la Parole, devenue chair,
se trouve traduite dans un Dire pour le monde.
Ce témoignage est inspiré par l'Esprit, mais tissé
avec des mots d'homme : malgré leur beauté, ils participent
donc eux aussi à toutes les limitations et toutes les faiblesses
de l'incarnation…
Jésus est la Parole
Par Jésus, la Parole est présente au Monde dans toute
sa plénitude.
Elle est dite aux hommes dans toute sa Vérité, c'est-à-dire
de façon non cachée d'après le sens du mot
grec : a-lêtheia, formé du préfixe privatif
a- et du verbe lanthanô, «être caché ».
« Jésus est la seule Parole de Dieu que nous ayons
à entendre en la recevant dans la confiance et l'obéissance,
pour la vie et pour la mort », confesse la déclaration
de Barnem.
Mais que devient cette « Parole » pendant le ministère
terrestre de Jésus ?
Nous avons vu que le Nouveau Testament emploie, comme l'hébreu,
deux verbes distincts : Dire (plus de 2 000 occ.) et Parler (300
occ.), mais un seul substantif : Logos (334 occ.).
Malheureusement, dans près d'un quart des cas, le traducteur
est obligé de recourir en français au verbe «
dire » là où, en grec, il y a le verbe «
parler ».
Par exemple dans ce passage de Jean 8, 25-27: « Ils lui disent
: Qui es-tu ? Jésus leur répond : Avant tout (ou absolument)
ce qu'aussi je vous « Parle ». J'ai beaucoup à
« parler » sur vous et à juger. Mais Celui qui
m'a envoyé est vrai, et moi, ce que j'entends de Lui, je
le « Parle » au Monde. Ils ne connaissent pas qu'il
leur Dit le Père ».
En général, dans ce passage, on emploie nos deux verbes
l'un pour l'autre.
Or pour Jean ils ont un sens très précis semble-t-il,
car dans cette réponse Jésus déclare être
ce qu'il Parle, par conséquent « être la Parole
», ce qui nous renvoie au prologue : « la Parole a été
faite chair ».
Mais les auditeurs de cette Parole sont incapables de connaître
que Jésus leur DIT le Père.
Lorsque Jésus exprime la Parole de façon évidente,
les Évangélistes l'introduisent par le verbe «
dire » : « Quel est le plus facile : dire : «
Tes fautes sont remises », ou dire : « Lève-toi
» ? (Marc 2, 9-11). A travers ce Dire, c'est la Parole du
salut qui parvient au paralytique.
Lorsque Jésus s'en prend aux affirmations de la Tradition,
il emploie le verbe Dire : « Vous avez entendu qu'il a été
DIT aux anciens… mais moi, je vous DIS… ».
L'intention première de la Parole de Dieu se trouve donc
exprimée par Jésus dans un « Dire » nouveau.
Ce « Dire » se rencontre dans une trentaine de passages
des Évangiles.
Lorsqu'il s'agit de la Parole, elle est, le plus souvent dans les
Évangiles, reliée aux paraboles.
« Jésus parle toutes ces choses aux foules, en paraboles
et sans paraboles, il ne leur parle rien, pour que s'accomplisse
le Dit du prophète disant : J'ouvrirai ma bouche en paraboles,
je proclamerai des choses cachées depuis la fondation du
Monde » (Matthieu 13, 34-35).
On remarquera que le plus souvent les traductions emploient le verbe
Dire au début du verset 34 et le verbe Parler à la
fin.
« Par de nombreuses paraboles semblables il leur parle la
Parole selon qu'ils peuvent l’entendre, sans paraboles il ne
leur parle pas (Marc 4, 33).
La parabole apparaît donc comme un « moyen » entre
la Parole et le Dire.
C'est seulement après la Résurrection que les Apôtres
ont découvert que leur Maître leur parlait la Parole
dans ses Paraboles et que, sans Paraboles, il ne leur Parlait pas.
Jésus, la Parole, était aussi Parabole de l'Amour
de Dieu pour ce Monde.
Certes cette Parabole n'a pas été comprise, mais malgré
cette incompréhension générale la Parole de
Dieu a été Dite dans l'Incarnation et cette Parole
est la Vérité.
Lorsque les disciples sont à l'écart de la foule,
ils interrogent Jésus sur la signification des paraboles.
Et Jésus leur répond : « A vous le mystère
du Règne de Dieu est donné. Mais à ceux du
dehors, TOUT DEVIENT EN PARABOLES pour que regardant, ils regardent
et ne voient pas, et qu'entendant ils entendent et ne comprennent
pas (Marc 4, 11-12).
Cette déclaration de Jésus peut certes choquer, mais
il s'agit de la Parole faite chair parlant en paraboles à
ceux qui sont à « l'intérieur » de la
dynamique du règne d'amour.
Dans la parabole, la Parole est comme « figurée ».
D'où la nécessité d'un décryptage et
d'une interprétation, car la Parabole n'est jamais un «
Dire » pouvant être saisi par notre seule intelligence,
ni un « Voir » pouvant être analysé par
notre science Mais à travers elle, la Parole nous est révélée
grâce au secours de l'Esprit .
Il faut pénétrer dans l'univers nouveau de la Foi,
de la Confiance et de l'Amour pour saisir, comme un don, la Parole
vivante et efficace du Seigneur. Sans cette confiance, il n'y a
que des mots, du Dire. Or ces mêmes mots, dans la Foi, me
parlent.
Toutefois, il y a là un paradoxe évident !
En effet Saint Paul reconnaît que « la Foi naît
de " l'Entends " et " l'Entends " à travers
un mot du Christ » (Romains 10, 17, trad. A. Chouraqui).
Si la foi est nécessaire pour entendre la Parole, et si c'est
la Parole entendue qui fait naître la Foi, il nous faut admettre
une certaine « convergence », une « conjonction
» ou mieux une « concomitance » entre la Foi et
l'Ecoute de la Parole.
Dans la Foi, la révélation transmise par le témoignage
de Jean prend toute sa valeur : la Parole est devenue chair, la
Parole s'est incarnée en Jésus, le Fils de l'Homme.
Cela est vrai pour le fidèle et dans la totalité de
son être. Mais cette Parole vivante sera confrontée
aux mêmes incompréhensions, aux mêmes refus que
les paraboles dites par Jésus.
Certes cette Parole est porteuse d'une grande efficace : «
Déjà vous êtes purifiés par la Parole
que je vous ai parlée » (Jean 5,24). Mais pour Jésus
l'efficace de cette Parole vient de son Père et non de lui
: « Je ne parle pas de moi-même, mais le Père
qui m'a envoyé, lui me prescrit quoi dire et quoi parler
» (Jean 12, 49-50).
Jésus fait donc ici une distinction très nette entre
ce qu'il a reçu ordre de Dire et ce qu'il a reçu ordre
de Parler. Il nous faut donc être attentifs à cette
distinction établie par Jésus lui-même surtout
lorsque l'usage de notre vocabulaire nous en éloigne.
Jésus avait conscience d'avoir parlé d'une manière
indirecte et figurée pendant son ministère. Mais lorsque
l'heure de sa Passion approche, aux dires de ses disciples, il s'adresse
à eux de façon claire et directe. « Je vous
ai parlé de ces choses en langage figuré. Mais l'heure
vient où je ne vous parlerai plus dans un langage figuré
mais où, en clair, je vous apporterai réponse au sujet
du Père » (Jean 16, 25).
Or juste avant cela Jésus leur avait annoncé : «
encore un peu et vous ne me contemplerez plus. De nouveau un peu
et vous me verrez. Et ses disciples lui disent : Maintenant tu parles
en clair ; tu ne parles plus en langage figuré ! ».
Jésus leur a parlé clairement de sa mort : «
Vous pleurerez et vous vous lamenterez … ».
De sa résurrection : « La joie fera place à
la peine ».
De la venue du Paraclet, de l'Esprit de Vérité : «
II ne parlera pas de lui-même, mais tout ce qu'il aura entendu,
il le parlera et il vous annoncera les choses qui viennent ».
« Je suis sorti du Père pour venir dans le Monde. En
sens inverse je laisse le Monde et vais au Père » (Jean
16, 13).
Entre ces deux « Heures » se situe l'Incarnation de
la Parole de Dieu dans l'Histoire des hommes.
Le témoignage des Apôtres
L'emploi des verbes Dire et Parler est semblable dans les Évangiles
et dans les écrits apostoliques. Le substantif « Parole
» est toutefois plus fréquemment employé par
les Apôtres.
Les mêmes significations sont données à nos
deux verbes, mais les traducteurs sont amenés à employer
l'un pour l'autre.
Par exemple, « Nous savons que tout ce que la Loi DIT, elle
le PARLE à ceux qui sont DANS la Loi, afin que toute bouche
soit fermée et que le Monde entier soit passible de la justice
de Dieu » (Romains 3, 19).
Saint Paul reconnaît ainsi que le DIT de la Loi est reçu
et reconnu comme Parole de Dieu par tous ceux qui se trouvent dans
l'enfermement de la Loi. Seule la grâce, offerte dans le Christ
Jésus, nous délivre de cet enfermement ou de cet esclavage.
La Parole d'amour est annoncée à tous, circoncis et
incirconcis, et la bouche se ferme pour tout autre Dire.
Si l'on admet que la pensée hébraïque fait, comme
nous l'avons vu, une distinction entre Parler et Dire, entre la
Parole et le Dire, nous sommes amenés à nous interroger,
pour chaque texte des Épîtres utilisant ces termes,
afin de saisir si les Apôtres qui étaient de culture
juive font allusion à la Parole de Dieu ou bien à
un Dire humain ou divin.
Saint Paul est parfaitement clair et objectif lorsqu'il écrit
aux Corinthiens : « Aux autres, moi je DIS, non pas le Seigneur
: si un frère a une femme non croyante… ». Puis,
plus loin : « Pour les vierges, je n'ai pas d'ordre du Seigneur,
j'exprimerai donc un avis… ». Et enfin : « Tel
est mon avis, et je crois avoir, moi aussi, l'Esprit de Dieu »
(1 Corinthiens 7, 12 ; 25 ; 40).
Nous avons montré précédemment que le «
parler en langue » pouvait être l'un des moyens d'expression
par lequel la Parole de Dieu était transmise à la
Communauté, mais qu'il exigeait la présence d'un interprète
lui-même inspiré par le Saint Esprit.
Cette expérience peut être rapprochée d'autres
formes d'extase. Par exemple Paul affirme avoir été
ravi jusqu'au troisième ciel, dans son corps ou hors de son
corps, il ne le sait pas.
Là, « il a entendu des mots indicibles qu'il n'est
pas possible à un homme de parler » (II Corinthiens
12, 1-4).
Par ailleurs il dira : « L'Esprit vient en aide à notre
"asthénie" en intercédant pour nous par
des soupirs inexprimables » (a-lalêtos : c'est-à-dire
« sans paroles ») (Romains 8, 26).
Ou bien encore : « La foi et l'amour de Jésus, le Christ,
font jaillir dans nos cœurs une Joie qu'aucun mot, aucun dire
ne peut exprimer (an-ek-lalêtos) car elle participe, par avance,
à la Gloire de Dieu » (1 Pierre 1, 8).
Cette impossibilité de nous exprimer dans un « Dire
», nous l'éprouvons bien souvent lorsque nous cherchons
à faire partager par d'autres certaines de nos émotions,
esthétiques par exemple ! Devant une œuvre qui nous
touche et nous « parle » profondément, nous dirons
« c'est beau » mais cette formule ne décrit en
rien ce que nous éprouvons véritablement.
Saint Paul en avait sans doute pleinement conscience lorsqu'il s'agissait
pour lui de témoigner de son expérience spirituelle.
Ces remarques peuvent nous aider à mieux saisir la richesse
exprimée par nos sacrements.
La théologie nomme le sacrement « verbum visibile »
c'est-à-dire « Parole Visible ». Dès lors,
tout Dire au sujet de cette Parole Visible, reçue dans la
Foi et dans la Joie, apparaît le plus souvent comme totalement
dérisoire…
C'est pourquoi la grande importance que nous accordons à
nos affirmations théologiques ou à nos formulations
dogmatiques devrait être relativisée et reconnue comme
une approche humaine du mystère de l'Incarnation de la Parole.
Cette réflexion nous permet aussi de mieux saisir pourquoi
la Bible, traduite dans toutes les langues connues, peut être
reçue comme étant le Livre à travers lequel
Dieu a choisi de parler d'une manière particulière
aux hommes de tous lieux et de tous temps.
Et cependant cela n'est pas évident ! Pensons simplement
à certaines civilisations qui ignoraient totalement et le
Pain et le Vin, et qui ne possédaient évidemment aucun
mot pour les « dire », comme à Madagascar par
exemple !
Or ces deux éléments de l'Eucharistie sont, pour certains,
indispensables pour la célébration d'un sacrement
valide. Pourtant l'Évangile a été traduit avec
leurs mots de tous les jours et la Cène est offerte avec
des « éléments » faisant partie de leur
nourriture quotidienne.
Par la foi, des hommes nés de nouveau, ont ainsi communié
au corps et au sang du Christ vivant, Lui la Parole faite chair.
Le « Dire » n'est donc qu'un « moyen » entre
la Parole du Seigneur et celui qui la reçoit dans la foi.
Toutefois le Seigneur demeure libre de parler au cœur de l'homme
par tout autre « moyen » qu'il choisira. Pensons simplement
à l'étonnante catéchèse destinée
aux handicapés mentaux profonds : la Parole d'Amour du Seigneur
leur parvient, cela est évident, mais par d'autres «
moyens » que ceux que nous utilisons normalement.
Même si, avec l'Église Universelle, nous reconnaissons
que tous nos « Dires » demeurent soumis à la
seule autorité de l'Écriture Sainte, nous devons cependant
établir clairement une distinction fondamentale entre la
Parole et le Dire, entre la Parole de Dieu et son incarnation dans
un Dire humain.
La Parole s'écoute et s'entend au plus profond de nos cœurs
: elle est reçue comme Parole de Joie, de Grâce, d'Espérance
ou d'Amour. Certes, elle est Puissance d'accomplissement de la Promesse
en nous, mais les mots par lesquels elle nous est DITE participent
nécessairement de l'Incarnation.
En conclusion
Qu'est-il advenu de la Parole faite chair ?
Elle est venue chez les siens et les siens ne l'ont pas reçue.
Elle a été crucifiée par nous par suite de
notre incapacité à saisir la Parole de Dieu ou la
Parabole de Dieu.
Toutefois cette Parole crucifiée ressuscite pleine de force
et de vérité au matin de Pâques.
Depuis elle poursuit son œuvre sur toute la Terre par la puissance
de l’Esprit et cela à travers les traductions de la
Bible dans l’ensemble des langues connues.
Ces traductions ne sont pas « la Parole de Dieu », comme
on le dit trop souvent, mais, l’expérience le montre
bien, à travers elles, à travers la diversité
des mots humains, la Parole est perçue, entendue, reçue
au plus profond du coeur de ceux qui l’écoutent.
Cette Parole vivante veut nous unir en un seul corps pour la Gloire
du Père et pour la Joie de sa Création.
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