Pour son travail de
systématicien, c’est la Bible que lit Origène, c’est
d’elle dont il s’autorise. On connaît un étonnant
ouvrage de lui, les Hexaples, pour lequel il a disposé l’Ancien
Testament en six colonnes, la première réservée
au texte hébreu, la seconde à ce même texte mais
translittéré en grec, les quatre autres à quatre
anciennes traductions grecques, dont la LXX. Cet arrangement lui permet,
comme à un exégète moderne, de comparer les versions
et de repérer les variantes. À vrai dire, qu’Origène
soit le premier à étudier l’Écriture de manière
aussi précise, ne l’empêche pas d’en donner une
interprétation allégorique. Si le point de départ
est la lettre, qui doit être connue jusque dans son plus intime
détail, elle ne donne cependant jamais le sens véritable
de l’Écriture ; encore faut-il en découvrir le sens
caché, qui ouvre les horizons spirituels divers et toujours surprenants.
Des horizons spirituels, car Dieu, pour Origène,
est esprit et comme tel transcendant. Mais il est aussi volonté.
Voilà son attribut majeur : la volonté, qui implique sa
liberté. Cette liberté est d’ailleurs ce qui permet
à Dieu d’écouter notre prière et s’il
le juge bon, de changer d’avis et d’agir en tenant compte
de ce dont nous, les hommes, avons besoin. Or, ce que Dieu librement
veut, c’est le salut du genre humain. Pour cela, il se fait pédagogue
et dans cette tâche s’entoure d’aides au premier rang
desquels vient le Logos, premier engendré subordonné au
Père, certes Dieu, mais toutefois d’une théité
seconde. Dans son incarnation en Jésus-Christ, ce Logos divin
a pleinement exercé son action éducatrice et il continue
d’éclairer le libre arbitre des hommes. C’est précisément
par une telle initiative prise à l’égard de la volonté
de tout être humain, qu’il le conduit vers le bien ou, si
l’on préfère, la volonté de Dieu presse la
volonté de l’homme, qui prend alors conscience de ce qui
est en lui. La participation aux sacrements, comme l’écoute
de la parole prêchée, contribuent à guider les hommes
dans la voie de la perfection.
Si l’homme est doué d’un tel libre arbitre,
c’est que son âme (psychè) préexistante est
issue de Dieu. Origène conçoit la création comme
s’inscrivant dans un mouvement continu. Dieu est l’origine
de l’ensemble des âmes des hommes avant même que le
monde soit. Pour diverses raisons, les âmes des hommes se trouvent
dégradées mais l’étincelle divine est cependant
toujours présente en elles. Sans cesse l’homme est appelé
à s’élever au-dessus de la matière, et s’il
n’y parvient pas dans la première création, ce sera
dans une suivante, comme sans cesse les vagues viennent battre le rivage.
Et voici encore une autre image : transvasés d’un sac dans
un autre, les grains de blé sont les mêmes, seule leur
disposition l’un par rapport à l’autre est différente
et l’on peut recommencer l’opération maintes et maintes
fois ; viendra néanmoins le moment où chacun aura retrouvé
sa situation première. Aussi bas est-il tombé, l’être
humain connaît le bonheur de pouvoir entrepren-dre une remontée
: guidé par le Maître qui le conduit, secouru par le Médecin
qui lui prescrit des médications parfois douloureuses mais toujours
toniques et thérapeutiques, il parviendra à dépasser
la barrière de la chute et à n’avoir plus besoin
du monde. C’est alors le salut. Un salut pour tous, universel quand
tout se retrouve en tout, en tous, en celui qui est tout.
La théologie d’Origène a souvent été
violemment critiquée. On lui a fait grief de prétendre
se fonder sur la Bible et de s’en écarter trop. On n’a
pas manqué non plus de lui reprocher un optimisme jugé
dangereux sur le plan éthique : Dieu est indulgent et tout finit
bien ! Le « fils d’Horus » – ce que signifie son
nom, Origène – a-t-il été trop influencé
par la vieille religion égyptienne et son ésotérisme
ou par la gnose ? Et si tout simplement, plutôt qu’un chef
d’École prêt à imaginer de nouvelles doctrines
aptes à le distinguer, Origène était un homme d’Église
attentif aux inquiétudes de tout homme face à son destin,
et décidé à montrer à celui-ci ce Dieu miséricordieux
qu’on trouve lorsqu’on le cherche en son for intérieur
? Ah ! Un homme d’Église libéral ? 