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Numéro 174 - février 2004
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Hirsch-Tillich: un débat sur Hitler

En janvier 1933, Hitler devient chancelier du Reich et met en place le régime nazi. Parmi les protestants, le nouveau pouvoir compte des partisans convaincus et aussi quelques adversaires résolus.

En janvier 1934, pour le premier anniversaire de l’arrivée de Hitler au pouvoir, un théologien luthérien, Emanuel Hirsch, publie un livre qui demande aux Églises protestantes de se rallier sans réserve à Hitler et de participer de toutes leurs forces au « renouveau allemand ». Hirsch n’est pas n’importe qui. Son savoir, sa rigueur, la finesse et la profondeur de sa pensée, son souci de spiritualité et d’éthique en font une des personnalités marquantes de sa génération. Barth dira qu’il est le seul chrétien nazi d’envergure. Ce livre de 1934 s’attire une réponse très dure d’un autre théologien allemand, révoqué par le régime de son poste de professeur et contraint à s’exiler aux États-Unis, Paul Tillich.

La brouille de deux amis

Hirsch et Tillich se connaissent bien. Ils se sont liés durant leurs études et sont devenus des intimes. Pendant des années, ils se rencontrent régulièrement et échangent une correspondance à la fois personnelle et théologique.

Malgré cette amitié, leurs orientations diffèrent. Tillich s’engage dans un socialisme religieux lucide et sévère pour le stalinisme. Hirsch, très nationaliste, glisse peu à peu vers le nazisme. Il n’en approuve pas les excès, mais les excuse en raison d’une situation d’urgence où il s’agit de sauver l’Allemagne qu’il juge menacée matériellement, intellectuellement et spirituellement.

La controverse de 1934 entraîne une rupture entre les deux hommes. Hirsch exerce d’importantes responsabilités universitaires dans l’Allemagne nazie, et jamais, en tout cas publiquement, il ne regrettera son choix. Il cesse d’enseigner en 1945 et mène une vie difficile (isolé et aveugle, il touche une petite pension). Il meurt en 1972. Tillich, décédé en 1966, reste aux États-Unis, où sa carrière est brillante.

Après 1945, les deux hommes se rencontrent deux ou trois fois. On ignore ce qu’ils se sont dit. On sait seulement qu’Hirsch en veut à Tillich d’avoir pris la nationalité américaine et que Tillich, tout en plaignant Hirsch, lui garde une certaine rancune.

Une énigme

Hirsch n’est pas un démocrate. Pour lui, Dieu confie le pouvoir aux princes qui doivent imposer l’ordre à des humains toujours récalcitrants. Un gouvernement qui émane du suffrage universel lui paraît une absurdité. Comment se faire obéir du peuple quand on n’a pas une autorité indépendante et supérieure ? Au lieu de l’ordre, la démocratie installe le chaos, comme le fait la République de Weimar.

Hirsch sépare strictement le politique du religieux. Le christianisme n’a rien à voir avec les affaires du monde. Il s’occupe de l’âme. Au contraire, Tillich pense que l’Évangile ne concerne pas seulement la vie intérieure et la foi individuelle mais aussi le monde, comme le montre l’annonce du Royaume. Si la religion n’a pas à régenter la cité, elle doit l’interpeller, dénoncer ses fautes, et l’inviter à bouger.

Pour Tillich, Hitler est démoniaque. Hirsch, au contraire, l’estime envoyé par Dieu pour rétablir l’ordre (en séparant, par exemple, juifs et allemands) et remplacer le Kaiser déchu. Ses penchants réactionnaires n’expliquent pas son aveuglement. Qu’un homme aussi intelligent et pieux se soit rallié à un régime aussi criminel et stupide nous étonne et nous trouble. Nous aimerions mieux que tous les nazis aient été des brutes.

André Gounelle

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