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Numéro 174 - février 2004
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Tentation de Jésus ou tentation de l'homme?
Autour de Matthieu 4,1-11

Pourquoi nous raconter un tel épisode ? Matthieu, pas plus que Luc, n’étaient présents ce jour là, puisque Jésus était seul. Marc mentionne l’épisode, mais sans le relater: comment, en effet l’aurait-il pu ? Et pourtant ce texte est là. F. Bovon relève même que c’est la première fois que Jésus prend une initiative dans l’Évangile de Matthieu. Jusqu’alors, on a parlé de et sur Jésus. Mais au désert, dans le secret de sa solitude, Jésus devient sujet, grammaticalement sujet des verbes, mais surtout acteur de l’Évangile. Ce jour là, Jésus « prend la main ». Pour nous dire quoi ?

Une remarque préalable de vocabulaire : Tenter. En grec, le mot n’a pas qu’une connotation religieuse ou morale. Il signifie « essayer, tester, éprouver ». Il n’est pas seulement péjoratif, puisque c’est, par exemple, ce même verbe qui est utilisé en Actes 9,26 lorsque Paul essaye de se joindre aux disciples. Notons par ailleurs l’emploi de trois noms distincts pour désigner cette réalité hostile à la prédication du Maître : diabolos (celui qui divise), Satan (celui qui accuse), et tentateur, trois expressions qui caractérisent non pas tant ce qui s’oppose à Dieu, mais plutôt au Christ. Tous ces mots disent, expriment, représentent ces réalités qui, en nous, s’opposent à la parole du Maître.

Revenons à notre récit : « Alors, tu es fils de Dieu ? Alors tu es puissant, tu es tout-puissant ? Alors vas-y, montre. » Une seule et même tentation, celle de la toute-puissance, déclinée selon trois dimensions de notre vie : matérielle ( les pierres et les pains), spirituelle ( être porté par les anges), politique ( la souveraineté sur les royaumes de la terre). Et si ce texte est placé en introduction de l’Évangile, c’est qu’il se présente comme le mode d’emploi de l’enseignement du Maître, pour nous dire : Attention !

L’Évangile n’est pas à entendre comme un message magique, qui viendrait changer notre réalité matérielle : le piège de la lecture magique. Il n’est pas non plus à entendre comme un message politique, qui viendrait donner les clefs des pouvoirs terrestres : le piège de la lecture théocratique. Et il n’est pas non plus à entendre comme faisant de nous des super-croyants, des anges : le piège de la lecture angélique.

Rudolf Bultmann tient ce texte comme le mode d’emploi, la clef de lecture des miracles à venir : attention de ne pas entendre ces épisodes miraculeux, comme autant de preuves magiques, comme l’expression d’un messianisme politique, comme une fuite de notre humanité dans une pseudo-réalité angélique.

Si je fais mienne cette opinion, j’ajouterai que ce récit nous livre aussi une clef de lecture de notre humanité. Car qu’est-ce qu’être fils d’Adam, sinon renoncer à nos fantasmes de toute puissance ? Pourtant, qui d’entre nous n’a jamais rêvé d’un tel pouvoir ? Pour changer la réalité de la maladie, pour lutter contre les fléaux sociaux, pour vaincre le doute ? Mais Jésus se révèle fils de Dieu en étant fils d’Adam. Il nous montre le chemin de notre hominisation, en refusant la toute-puissance ; « Jésus, fils d’Adam, est conduit là. Affronté à sa condition, limitée par la faim, le temps, la mort : homme, seulement, qui, pour espérer vivre, aimer, découvrir doit consentir aux interdépendances. C’est l’homme mortel qui est vivant, non le surhomme. » (Véronique Margron, La Vie, 14/2/2002).

Voilà le mode d’emploi : l’Évangile n’est pas à entendre comme un moyen de devenir un surhomme, ni même un super-croyant, mais un homme, une femme, tout simplement.

Et ce faisant, il nous livre une ultime clef : comment résister ? Par la parole. Une parole qui se fonde sur l’Écriture. Par trois fois Jésus va répondre : « il est écrit ». C’est là que nous fondons notre foi, notre capacité à résister au malheur, à la souffrance, à la mort, à tous nos fantasmes de puissance.

Mais attention ! Ultime piège ! Le diable aussi dit « il est écrit » ! Et là réside l’ultime mise en garde. Car il ne suffit pas de lire les Écritures. Le diable le fait aussi. La remarque est d’importance. Elle est même déterminante. Elle représente l’ultime piège. Car l’écriture doit être interprétée, à l’aune même de ce récit. Pour devenir véritablement Parole vivante. feuille

par Jean-François Breyne

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