Voici la huitième
fois que le Jésus lucanien rencontre un collecteur dimpôts.
Manifestement, Jésus a une certaine compassion pour ces gens-là,
bien quils soient souvent assimilés aux pécheurs
dans les évangiles. Par exemple, juste avant cette rencontre,
Jésus compare la prière dun collecteur dimpôts
et celle dun pharisien qui se trouvent ensemble au Temple ; et
il conclut que cest le premier qui sera déclaré
juste en redescendant chez lui, et non le second. Cest peut-être
parce que Zachée a entendu parler de cette compassion quil
cherche à mieux connaître Jésus. Il se sait infréquentable,
mais il se dit que, sil parvenait à voir Jésus,
il se sentirait mieux, lui qui est riche, mais exclu de son peuple,
comme il est grand sur son sycomore, mais petit dans la foule.
Une fois de plus, Jésus déclenche linattendu.
Car cest lui qui voit Zachée et lappelle par son
nom : « Tu voulais savoir qui je suis ? Et bien moi, je sais qui
tu es, je tappelle par ton nom et je viens chez toi. » Et
Zachée signifie en hébreu « celui qui est pur ».
Toujours pécheur et déjà purifié, dirait
Luther. Avec Jésus, tout sinverse. Zachée voulait
voir et cest lui qui est vu. Il voulait être grand et il
doit descendre pour retrouver sa petite taille. Il voulait sisoler
et il doit se mêler à nouveau à la foule. Cela fait
beaucoup pour un petit homme. Mais il est heureux dêtre
appelé et court accueillir Jésus.
Alors apparaît la jalousie des hommes : «
Pourquoi aller chez celui qui nous prend notre argent et non pas chez
nous qui sommes tellement plus recommandables ? » Jésus
a déjà répondu de nombreuses fois auparavant, mais
les hommes nont rien compris : « Ce ne sont pas les bien
portants qui ont besoin de médecins, mais les malades »
avait-il dit au repas chez Lévi. Les hommes nont pas compris
que le sauveur sauve ceux qui en ont besoin ; ceux qui se sentent mal,
parce quils sont trop pauvres ou trop riches.
Cest au point que Zachée éprouve
le besoin de se justifier en déclarant solennellement donner
aux pauvres la moitié de ce quil gagne. Mais vient-il de
le décider, du fait que Jésus lappelle ? Ou avait-il
commencé à le faire déjà, avant cette rencontre
? Luc prend bien soin de ne pas préciser cela. Ainsi il ne dit
pas si lappel de Jésus entraîne la bonne action,
ou sil en est la conséquence. Et cest mieux ainsi.
Ce qui est bien probable, cest que Zachée sengage,
sans doute pour la première fois. En déclarant devant
la foule ce quil donne aux pauvres, il ne peut plus revenir en
arrière, ni se dérober. Le partage de ses biens est maintenant
irréversible et le voilà libéré.
On ne sait rien non plus de la foi de Zachée.
Voilà un homme qui est sauvé, mais personne ne soccupe
de savoir sil a la foi ! On ne nous parle que dargent, et
quel argent ! Zachée ne sentretient avec Jésus que
de problèmes dargent. Mais le voilà délivré,
libéré, parce quil réaffirme sa décision
de partager. Il est guéri de son mal, sauvé.
Nous voyons que, dans cette belle histoire, le salut
nest pas une affaire de foi, une question de croire ceci ou cela,
dadhérer à telle ou telle doctrine. Ici, il est
plutôt lié à la décision de partager. Décision
qui libère. Cest labandon dune partie de ses
possessions, dune partie de son égoïsme, qui fait
venir le salut dans la maison de Zachée.
Dans dautres histoires, Luc insiste sur le rôle
de la foi pour le salut : « Retrouve la vue, ta foi ta sauvé
» dit Jésus, rencontrant un aveugle, juste avant Zachée.
Ainsi donc, suivant les circonstances, les hommes nont pas besoin
du même salut. Lorsquils sont malades, ils sont guéris
par la confiance. Lorsquils se comportent dune manière
douteuse, ils sont guéris par la décision de changer,
la décision de penser un peu moins à eux-mêmes et
un peu plus aux autres. Luc ne dit pas si le salut vient de la grâce,
ou sil vient des uvres. Il dit quil vient dune
rencontre qui délivre lhomme de sa misère.
Henri
Persoz