La pauvreté n’est
jamais vertueuse. Elle est toujours oppressante, étouffante,
elle asservit épouvantablement celui qu’elle tient dans
ses serres: la pauvreté dégrade l’individu et l’exclut.
La pauvreté n’est jamais choisie, elle est toujours subie.
Elle est intolérable pour l’individu, une honte pour la
société. La pauvreté est totale, elle n’est
pas matérielle uniquement, mais elle est aussi morale, intellectuelle,
spirituelle, physique. C’est bien là le drame.

Bidonville dans la ville de Le
Port
sur l’Île de la Réunion. DR.
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Ceux qu’on honore comme de saintes personnes, parce
qu’ils ont choisi la pauvreté évangélique,
n’ont jamais été pauvres. D’abord parce qu’ils
ont choisi une situation, ils ont maîtrisé leurs choix
de vie. Ensuite, ils sont d’une grande richesse intérieure
morale et spirituelle, sans parler de l’éducation qu’ils
ont reçue et emportent avec eux. Enfin, ils ont toujours la possibilité
de «revenir en arrière», ce qu’un pauvre ne
peut faire. Engagé dans la diaconie, on s’étonne
souvent de l’incompréhension de ceux qu’on veut aider,
de la distance qu’ils semblent garder ou de leur colère,
mais il reste vrai qu’il y a un fossé d’incompréhension
entre eux et nous, même si nous faisons nôtre leur pauvreté
matérielle.
L’exemple de Jésus
Le discours de nos Églises est grave quand nous
mettons en avant la pauvreté évangélique et Christ
comme un exemple à suivre, une vertu à vivre. Tordons
le cou à l’idée reçue qui affirme à
tort la pauvreté de Jésus. Certainement, la famille de
Jésus n’est pas riche, mais elle appartient à la
classe moyenne des artisans. Les pauvres sont les exclus de l’époque:
malades, ouvriers agricoles très nombreux et souvent chômeurs,
veuves isolées. Mais artisans, pêcheurs du bord du lac,
collecteurs d’impôts ne sont pas les pauvres qu’on veut
nous faire croire. Notons qu’à l’époque, la
différence entre un pauvre et quelqu’un appartenant à
l’équivalent d’une classe moyenne est assez réduite.
C’est dans ce milieu socioculturel que se recrute le monde de la
culture, les rabbins, les pharisiens... C’est ce milieu qui fait
vivre les synagogues en province. Les charpentiers avaient le privilège
de pouvoir lire l’Écriture à la synagogue. On ne
peut donc pas dire que Jésus était pauvre. Sans parler
de la richesse spirituelle qui l’habite. II est vrai que Jésus
choisit de vivre le ministère de prédicateur itinérant,
mais jamais il n’est dit que Jésus ait souffert de la pauvreté.
Les compagnons de Jésus sont, eux aussi, des membres de la classe
moyenne, voire aristocratique. Les pêcheurs du lac – surtout
quand ils ont des ouvriers – ne sont pas des pauvres, pas plus
que Matthieu le collecteur d’impôts ou Nathanaël, l’intellectuel
qui lit l’Écriture «sous le figuier». Quant
aux femmes qui suivent Jésus on sait que l’une d’elles
est l’épouse d’un ministre d’Hérode. Dans
la mouvance de Jésus, Nicodème et Joseph d’Arima-thie
sont membres du Sanhédrin. Notons enfin que le groupe des apôtres
avait un trésorier, Judas. Si Jésus n’a pas été
pauvre au sens où on l’entend d’habitude, en revanche
il a engagé une lutte sans merci en faveur des exclus, des pauvres
ou des gens frappés par le malheur, sans avoir l’hypocrisie
de se présenter en modèle de pauvreté. Ce combat
contre la misère et la dénonciation de la richesse comme
étant oppressante sont sans doute des éléments
qui ont conduit Jésus à la Croix.
La démarche de Jésus, qui sait se détacher
de sa relative richesse matérielle et prendre le risque de l’itinérance,
est d’ordre théologique. Ici, Jésus montre qu’on
peut échapper à l’idolâtrie de l’argent
et du matérialisme.
Aider, c’est rencontrer
Aider quelqu’un implique d’éviter toute
morgue aristocratico-chrétienne qui mette l’autre en situation
de dépendance ou d’infériorité. L’exclusion
et la pauvreté ne sont pas des vertus réservées
aux autres ou que l’on met en avant quand nos arrières sont
assurés, mais aider, c’est rencontrer, écouter l’autre,
l’aimer aussi pour découvrir ses richesses morales, intellectuelles,
spirituelles, physiques, historiques, pour les partager avec lui, les
mettre en valeur pour le faire vivre et pour en vivre. Ce combat-là
contre la pauvreté, pour la dignité, est aussi le combat
pour la foi.
Vincens
Hubac