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Numéro 188 - Avril 2005
( sommaire )

Questionner

On a beaucoup discuté de la divinité de Jésus, et les Églises l’ont fortement soulignée. Ne serait-il pas plus juste d’insister sur son humanité et de voir en lui un homme exemplaire qui nous montre le chemin d’une humanité authentique ? Cette démarche ne permettrait-elle pas un dialogue fécond avec les athées et les croyants d’autres religions ?

« L’homme peut-il se faire homme ? »

Dans À l’écoute du silence (Paris, Téqui, 1995), Maurice Zundel lance cette interrogation: «Le moi de l’homme est la résultante de tous les déterminismes internes et externes qu’il subit, de toutes les pressions du milieu, de toutes les sédimentations de son histoire infantile. […] L’homme peut-il exister, peut-il émerger de cette jungle interne et externe, peut-il se libérer de son moi instinctif, peut-il cesser de se subir, peut-il devenir source et origine d’un moi-valeur qui fonderait sa dignité en faisant de lui un bien universel, en un mot : l’homme peut-il se faire homme?»

Crise des valeurs

« Ne faut-il pas redécouvrir l’homme Jésus de Nazareth, en refusant toute divinisation préalable de sa personne, en oubliant les représentations iconographiques et les récits mythologiques de sa naissance et de sa vie qui biaisent l’image d’homme qu’il a été ?

Il est aujourd’hui difficile de soutenir que le monde a un sens. Il y a déjà plus d’un siècle Marx, Nietzsche et Freud ont jeté le discrédit sur toute visée spirituelle. La succession des guerres mondiales et leur violence extrême laissent à penser que le penchant brutal de l’homme l’emporte toujours. L’individualisme égoïste, les nationalismes effrénés, les multiples corporatismes et sectarismes sont universellement présents, alors que la mondialisation pouvait laisser espérer une ouverture et un enrichissement des cultures. Les repères traditionnels et les interdits fondamentaux sont bafoués de sorte que se pose toujours la question de Sartre : comment « ces sous-hommes que nous sommes » pourront-ils un jour devenir des hommes ?

Les religions

L’homme ne peut pas se passer de l’espérance d’un devenir. Il se doit d’être ouvert sur le monde, sur les autres pour pouvoir donner et recevoir l’amour auquel il aspire. Il revendique l’unicité de sa personnalité, de sa responsabilité ; il veut sa liberté tout en ayant consci-ence de dépendre totalement de son environnement. En fait, il est en quête d’une transcendance qui donne sens à sa vie et qui le consacre « homme ».

Les religions devraient être pour lui la source de cette ouverture et de cette quête en proposant un idéal de vérité, d’amour ou tout simplement d’humanité. Hélas, les institutions et les intégrismes ont formulé des rites, des dogmes, un langage qui ont longtemps constitué un moyen de pouvoir et qui sont aujourd’hui des causes de violences et de rejet des religions.

Jésus, l’homme authentique

« Les hommes en quête de transcendance découvrent Dieu dans et par leur humanité ; les grandes figures des religions pourraient s’accorder pour dire que le premier et le plus grand modèle d’une humanité accomplie jusqu’au don de soi est Jésus.

Ne faut-il pas redécouvrir l’homme Jésus de Nazareth, en refusant toute divinisation préalable de sa personne, en oubliant les représentations iconographiques et les récits mythologiques de sa naissance et de sa vie qui biaisent l’image d’homme qu’il a été ? En effet, les textes bibliques rapportent les convictions des fidèles de Jésus en leur temps et ceci souvent de ma-nière symbolique. Il convient donc de les réinterpréter et de constater avec G. Casalis (Culture et Foi n°118) que « posée comme postulat, la divinité masque le visage de Jésus mais, découverte comme résultat de la confrontation à son exceptionnelle, quoique tout à fait commune, humanité, elle exprime bien ce qu’il y a d’unique dans sa personnalité ».

Jésus a été pleinement homme ; son comportement, le don de sa personne jusqu’à la mort, les faits et paraboles qu’on rapporte de lui manifestent son humanité authentique, si parfaite qu’elle rejoint, sans jamais véritablement l’atteindre, ce que nous appelons le « divin ». Chaque homme, dans la trace de Jésus, a pour vocation de tendre vers cet idéal qu’il représente : l’Homme dans son humanité accomplie, homme libre, vrai, autonome, homme amour qui découvre au profond de lui cette « parcelle divine » qu’évoquent les orthodoxes et les mystiques de toutes les confessions.

C’est ce que déclare Paul : « Je vis, mais ce n’est plus moi, c’est Christ qui vit en moi. » (Ga 2,20) et ce qu’affirme Jésus dans la promesse de libération qu’il fait aux juifs qui ont cru en lui : « Si vous demeurez dans ma parole, vous êtes vraiment mes disciples, vous connaî-trez la vérité et la vérité fera de vous des hommes li-bres. » (Jn 8,32). Être disciple de Jésus engage l’homme dans la voie de l’humanité. Loin de séparer l’homme du Dieu de l’Ancien Testament (« Je suis Dieu et non pas homme », Os 11,9), cette voie conduit l’homme à ressentir Dieu au profond de lui.

Marcel Légaut (Introduction à l’intelligence du passé et de l’avenir du Christianisme, Paris, Aubier, 1970) va dans le même sens : « Par son humanité, Jésus est le chemin pour amener les hommes à croire en Dieu comme lui a cru, et il est le but à atteindre qui permet aux croyants d’être de Dieu comme lui le fut dans son humanité. » Le mystère de la rencontre et de la communion avec autrui permet à l’homme de faire l’approche du sens de sa vie et de s’accomplir. C’est parmi les hommes qu’il rencontre, qu’il côtoie, qu’il aime, que l’homme prend conscience de sa « carence d’être » ; il découvre un peu de sa véritable humanité et le « Dieu-Humanité » cher au philosophe N. Berdiaev. L’homme n’est lui-même que par les autres qui lui permettent d’acquérir la liberté de se prendre en main et d’être sujet.

Le croyant aujourd’hui

Dans Devenir humain (Paris, Cerf, 2004), Yves Burdelot affirme que c’est l’humanité de Jésus qui permet au chrétien d’entrevoir le Dieu qu’il qualifie de Père : « Non seulement l’affirmation chrétienne ne part pas de la conviction que Dieu existe pour déduire ce qu’elle nomme la “divinité” de Jésus. Mais c’est en reconnaissant l’existence humaine de Jésus et en adhérant au type d’humanité sans faille qu’on est invité à croire à l’existence d’un amour éternel – et personnel comme tout amour véritable – qu’à notre tour nous nommerons Dieu. »

Cette voie chrétienne n’est pas la seule capable d’amener l’homme à concevoir ce que nous nommons Dieu en l’incitant à accomplir sa pleine humanité.

Dans l’Islam, le djihâd majeur, personnel et spirituel, (non le djihâd mineur de la guerre contre les infidèles) offre la même possibilité. Mis à l’honneur surtout par les soufis, il consiste en un effort sur soi-même pour lutter contre les passions individuelles, les intérêts égoïstes et approcher ainsi d’une plus grande humanité. Eva de Vitray-Meyerovitch (Islam, l’autre visage, Paris, Albin Michel, 1995) écrit à propos d’Iqbal, grand philosophe et poète pakistanais, ami de Teilhard de Chardin : « Il croit en l’homme. […] Cet homme, il le voit devenir, au terme de l’évolution, cet homme parfait dont parlent les soufis, c’est-à-dire l’homme accompli qui sait utiliser la plénitude qu’il a acquise pour aider les hommes dans leur marche en avant. »

Le maître bouddhiste Dainin Katagiri déclare dans Retour au silence (Seuil, Paris, 1953) : « Parce que vous êtes Bouddha, vous êtes à la recherche du suprême, même si vous ne comprenez pas ce que cela signifie. » Confucius développe la notion de Jen qui est à la fois noblesse du ciel et dignité de l’homme. Par le Jen l’homme se trouve en relation avec l’infini mais aussi avec tous les hommes : il peut ainsi approcher la stature d’homme véritable.

Dans Christianisme et Religion chinoise (Paris, Seuil, 1991), Julia Ching et Hans Küng citent le poète contemporain Yang Lian qui s’attache à redécouvrir les anciennes traditions religieuses avec Dunhuang, étape importante de la route de la soie. Voici un extrait de son poème Pèlerinage :

« Toi, Sanwei Shan, en chemin pour nulle part,
Gigantesque miroir de cuivre
Toi qui surpasses la mesure de l’homme.
Entends le chœur des cœurs à qui des générations ont confié leurs rêves
Réfléchis en profondeur, puis lève la tête
Et compte les étoiles qui ne supportent pas de s’éteindre en solitaires.
Ce sera la meilleure consolation
Le saint reste éternellement pacifique. »

J. Ching et H. Küng commentent : « Le poète savait-il que dans les grottes de Dunhuang on a retrouvé aussi, à côté d’écrits bouddhiques, des textes théologiques de chrétiens nestoriens : témoignages du plus ancien christianisme en Chine ? »

Les hommes en quête de transcendance découvrent Dieu dans et par leur humanité ; les grandes figures des religions pourraient s’accorder pour dire que le premier et le plus grand modèle d’une humanité accomplie jusqu’au don de soi est Jésus. feuille

Robert Serre

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