Depuis quelques années,
tout se passe comme si on avait choisi délibérément
de minimiser tout ce que les chrétiens apportent à notre
société, à savoir:
- Une contribution historique à un ensemble de valeurs collectivement
partagées, fondatrices de notre conscience française
et européenne (fraternité, justice, paix, solidarité,
dignité, …)
- Un engagement concret, ancien, divers et largement répandu
sur le territoire; qui touche tous les champs de la vie intellectuelle,
économique, sociale et culturelle; qui s’exprime souvent
dans les lieux où se concentrent les problèmes les plus
graves de la vie sociale (pauvreté, toxicomanie, dérive
des jeunes, abandon des vieillards, accompagnement de fin de vie,
alphabétisation, handicap, …)
Cet apport, les chrétiens veulent continuer à
le faire, seuls ou avec d’autres. Ils ont besoin que les pouvoirs
publics en mesurent la portée et leur facilitent la tâche,
sans y voir une démarche communautariste ou prosélyte.
Le souci de développer dans le concret un esprit
de citoyenneté
Les chrétiens forment sans doute des communautés,
mais des communautés ouvertes. Ils n’appliquent pas quasi
machinalement des dogmes tombés du ciel. Leurs organisations
consacrent au contraire du temps à repenser leur regard et leur
action, se laissant guider par leurs racines bibliques («Qu’as-tu
fait de ton frère?»), mais aussi par leur expérience
historique et par les réalités concrètes rencontrées
au quotidien. Il s’agit là d’une sorte de formation
permanente à une citoyenneté responsable et exigeante.
Une vision de l’homme qui structure la conscience
collective
Cette exigence de citoyenneté les incite à
alerter les pouvoirs publics. Parce qu’elle s’éloigne
d’une vision de l’homme que les chrétiens – entre
autres – lui ont apportée (solidarité, initiative,
responsabilité, …), en préférant une conception
individualiste, consumériste, un peu passéiste, attendant
beaucoup trop de l’État, la société française
creuse ses fractures et accumule les handicaps. Exemples: la canicule
de 2003, le développement des phénomènes addictifs,
la difficulté à conduire des réformes qui semblent
plus faciles dans d’autres pays. Précisément, en
refusant de prendre en considération la contribution des chrétiens,
en simplifiant jusqu’à la caricature leurs positions, ne
prive-t-on pas la société des ressources qui lui permettraient
de résou-dre une partie de ses problèmes et de tenir dans
la mondialisation?
La France souffre-t-elle aujourd’hui d’un excès
d’esprit religieux? Évidemment non. Il y a donc place pour
l’invention d’une laïcité adulte, dans le cadre
de laquelle les chrétiens pourraient normalement partager avec
les pouvoirs publics leurs analyses et leurs ambitions. Concrètement
qu’est-ce que cela veut dire?
1- La loi de 1905 est un élément fondateur du pacte
républicain. Il ne s’agit pas de la remettre en cause,
pourvu que son interprétation ne restreigne pas la liberté
d’expression des chrétiens, mais s’inscrive dans
la perspective d’une laïcité juste dont l’État
serait l’instigateur et le garant. Les chrétiens, en effet,
devraient-ils être les seuls à devoir se taire sur les
grandes questions de la société française?
2- La société politique et les laïcs chrétiens
ont des objectifs démocratiques convergents: l’école,
l’action sociale et caritative, les projets culturels, l’aide
aux familles, la protection de la jeunesse, etc. Dans tous ces domaines,
l’État et les mouvements chrétiens peuvent travailler
à se connaître et à mieux unir leurs efforts,
dans le cadre d’une laïcité de coopération.
Leurs relations devraient pouvoir être contractualisées
– comme c’est déjà largement le cas pour l’école
primaire et secondaire, dans une perspective de Bien commun.
3- Alors que chacun s’accorde à déplorer la perte
des grands repères collectifs, le temps est venu d’œuvrer
à la recherche d’une morale commune aux croyants et aux
non-croyants, qu’une laïcité de dialogue pourrait
promouvoir, et dont l’un des cadres pourrait être ces diverses
commissions qui voient le jour et dans lesquelles les chrétiens
sont notoirement sous-représentés.
Hervé
l’Huillier