Le mot « libéralisme
», apparu en 1823, est un mot de combat au service de la cause
pour la liberté politique et économique. Le XIXe siècle
est celui des révolutions, des nationalités et de la démocratie.
Il est aussi celui d’une expansion sans précédent
de l’Occident. Mais déjà le mot ne définit
plus ce qu’il aurait dû être. Entre anarchie qu’il
n’est pas, et soumission à un État ou à une
autorité qu’il ne supporterait pas, le libéralisme
défend la liberté de l’individu susceptible de diriger
au mieux ses affaires et de les harmoniser avec celles des autres pour
trouver, en fin de compte, un équilibre optimal au bénéfice
de tous. Le libéralisme est peut-être plus une manière
d’être qu’un système, qui risque de l’enfermer
et de le nier. Tocqueville, par exemple, est un de ceux qui ont mis
le doigt sur ce problème.
Les origines
Liberté de penser, de s’exprimer, d’agir,
le libéralisme a une longue histoire. Au sortir du Moyen Âge
caractérisé par la collectivité (paroisse, village,
guilde, etc.), la Renaissance pourrait avoir comme emblème la
formule de Protagoras : « L’homme est la mesure de toute
chose », bien représentée par le dessin de Léonard
de Vinci, repris comme logo de Manpower. C’est aussi l’émergence
du portrait : Holbein, Clouet, ouvrent la voie à une aventure
qui, passant par Chardin, David, Ingres, s’épanouit aujourd’hui
avec la photographie et le film. L’individu émerge au XVIe
siècle, siècle des néo-platoniciens, de Marsile
Ficin, d’Érasme, de Montaigne et des humanistes, siècle
des voyages, des découvertes, des aventures… C’est
aussi le temps de la Réforme.
La nouvelle religiosité insiste sur l’individu,
sur sa liberté. S’il reste collectif, le salut est de plus
en plus perçu de manière personnelle. À la suite
des grands réformateurs, l’homme nouveau, c’est un
Sébastien Castellion, auteur de L’art de douter et de croire,
qui condamne au nom de la tolérance la sentence et l’exécution
de Michel Servet. Pour Castellion, « tuer un homme, c’est
toujours tuer un homme et non pas une idée ». Il discute
aussi de la canonicité de certains livres de la Bible (le Cantique
des Cantiques en particulier), s’inscrivant ainsi contre l’autorité
de l’Église, ses coutumes et ses dogmes. C’est encore
Duplessis-Mornay, un des rédacteurs de l’Édit de
Nantes, qui, bien que fidèle à Henri IV, subordonne le
roi au peuple (théorie des monarchomaques). Nous rencontrons
aussi Moïse Amyrault, pour qui le salut est universel. Cette émergence
de l’individu et de sa liberté prépare la pensée
des siècles à venir et une partie de l’histoire.
Liberté de l’individu
De Hobbes à Spinoza, Locke, Bayle et Bentham,
la pensée philosophique des XVIIe et XVIIIe siècles est
de plus en plus marquée par la réflexion sur la liberté.
Comment en serait-il autrement à partir du moment où l’on
pose le cogito, et où l’on reconnaît que l’homme
est un être pensant ? Par exemple Hobbes en 1642, à la
fin du chapitre sur la religion, termine le De cive par cette réflexion,
tirée du chapitre XIV de l’Épître aux Romains
: « Que celui qui mange sans scrupule ne fasse pas si peu de compte
du salut de celui qui s’abstient de certaines choses, que de le
scandaliser par sa liberté. Que celui qui fait distinction des
viandes, ne condamne pas celui qui mange indifféremment de toutes.
Sachons que Dieu a communiqué ses grâces et la liberté
de son Esprit à celui que tu juges profane à cause qu’il
se dispense de ce que tu observes si religieusement. Or, comme ce n’est
pas en ces choses que consiste le christianisme, je permets à
chacun de suivre son opinion, et le sentiment de sa conscience. L’intention
des uns et des autres est bonne, c’est pourquoi je ne veux pas
condamner leur action ». Certes Hobbes n’est pas encore un
champion de la liberté. C’est Locke, pour lequel la liberté
est un état de nature tempéré par la raison, fondement
de la société, qui lui répond dans son deuxième
Traité du Gouvernement civil. Avec Locke et la Lettre sur la
Tolérance (1689), on entre dans un débat où s’inscrivent
Voltaire et Rousseau. En France, ces auteurs, entre autres, fondent
l’idée de liberté et de démocratie, conduisant
à la Révolution.
Le libéralisme économique moderne
Ainsi les Lumières amènent le monde à
vivre des révolutions économiques, sociales et politiques
qui donnent naissance à la modernité. C’est au XVIIIe
siècle que le libéralisme moderne, politique et/ou économique,
prend directement ses racines. En France, les Physiocrates jettent les
bases du libéralisme économique. Ils voient la société
un peu comme un organisme vivant dans lequel les forces s’équilibrent
et s’harmonisent grâce à une libre circulation des
richesses, comparées au sang irriguant chaque organe d’un
corps. N’oublions pas que Quesnay, fondateur de cette école,
est médecin. C’est en Grande-Bretagne que le libéralisme
économique s’épanouit avec Adam Smith, Malthus et
Ricardo. L’économie de marché, libre et efficace,
gérée par « la main invisible » d’Adam
Smith, trouvera chez Stuart Mill son achèvement. Cet économiste,
très marqué par le christianisme, fonde l’utilitarisme
sur la règle d’or du Sermon sur la Montagne. De plus, il
a une vision eschatologique de la société qu’il voit
tendre vers un « état stationnaire », caractérisé
par l’équilibre des forces sociales et une satisfaction
de tous. Marx aura une vision assez voisine, mais inspirée non
plus par les bienfaits du libéralisme économique et politique,
mais par ses côtés négatifs.
Les abus du libéralisme économique
L’histoire sociale des XIXe et XXe siècles,
les combats incessants qu’il a fallu mener pour la justice, les
abus actuels de la mondialisation, les égoïsmes monstrueux
des grands États et des sociétés multinationales,
montrent les limites du libéralisme économique. À
ce libéralisme-là, nous n’adhérons pas. Mais
comme beaucoup d’auteurs cités, nous pensons que le libéralisme
économique doit être limité et accompagné
par des lois qui en corrigeraient les défauts. En politique,
le libéralisme s’exprime dans la démocratie, où
la libre opinion des uns et des autres permet de dégager un consensus
autour duquel la société peut s’organiser. En général
nous sommes d’accord avec ce libéralisme.
Libéralisme chrétien
Le libéralisme chrétien, qui ne doit pas
être confondu avec les autres formes du libéralisme, puise
aux mêmes sources. Il est resté plus fidèle à
ces sources que ces autres libéralismes, et en possède
certaines en propre. Il a des racines lointaines dans la gnose et les
hérésies. Certes, nous ne suivons pas toutes les hérésies,
mais l’état d’esprit des hérétiques,
fait de choix (comme leur nom l’indique), de libre interprétation
des dogmes et de recherche de la vérité, nous convient
assez bien. Souvent, ces hérétiques ont très tôt
payé de leur vie leurs choix face à une Église
dogmatique et compromise avec le pouvoir. Cette Église, ayant
du mal à supporter en son sein la liberté de pensée,
est allée à l’encontre du message de son fondateur.
Héritier certain de la Réforme, le libéralisme
théologique pose, face aux religions d’autorité,
le principe de la liberté de penser et de la libre interprétation
des dogmes et des textes bibliques qui fondent le christianisme. Au
final, le libéralisme protestant est évangélique.
Évitant l’écueil que dénoncent bien des philosophes
comme Adam Smith, qui s’inquiétait des abus du libéralisme
économique, le libéralisme théologique est conscient
de ses limites. Alors qu’il ne pourrait être qu’un exercice
intellectuel et spirituel, ce qu’il est parfois, le libéralisme
protestant s’est toujours montré soucieux de la dignité
de l’être humain et donc du sort des plus pauvres. Il accompagne
le christianisme social tout au long de son histoire au nom même
de cette dignité de l’homme et du message du Christ.
Nous sommes bien aujourd’hui dans une pensée
économique libérale dominante, dont nous dénonçons
à travers les excès et les injustices une forme d’idolâtrie.
Pourtant, avec tous les libéralismes passés et présents,
nous défendons la liberté, nous prônons la tolérance
et l’accueil de la pensée d’autrui.
- Sans liberté de penser, on tue la pensée,
- Sans liberté de choix, on tue le mouvement,
- Sans liberté d’expression, on tue la parole,
- Sans liberté, on tue la vie.

Vincens
Hubac