Tout au long de l’automne,
la France aura été secouée par une rébellion
des banlieues dont seule l’intensité était nouvelle.
Et marquée par les propos violents d’un ministre de l’Intérieur
pour certains jeunes des banlieues (mais tous se sont sentis visés),
parlant de « racaille » et de recours au « karcher
». On en connaît les effets.
Sur le sujet, tout a été dit, qui met en
lumière l’extrême complexité du problème.
Il traîne depuis des années et malgré des efforts
réels, les majorités s’ingénient, là
comme dans tant d’autres domaines, à défaire ce que
la précédente a tenté de mettre sur pied. Malgré
une baisse visible de la tension, le mal-être, dans ces quartiers
dits difficiles, est intact.

Marcus Bleasdale, photo extraite
de son remarquable livre One Hundred Years of Darkness, A Photographic
Journey into the Jeart of Congo. Ce volume présente un
Voyage photographique de Bleasdale, mis en parallèle avec
un essai de Jon Swain. London, Pirogue Press, 2002
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Avec la distance, on peut se demander si cette éruption,
géographiquement française, n’est pas le paradigme
– et la composante tout la fois – du rapport que la France
entretient avec le Tiers Monde – l’Afrique et le Maghreb les
premiers. Et si le microcosme représenté par Aulnay-sous-Bois
et ses sœurs de banlieues n’a pas son répondant dans
le macrocosme de ces banlieues du monde riche que sont tant de pays
africains. Souvenons-nous : les jeunes qui se révoltent en France
sont, dans leur grande majorité, d’origine nord-africaine
et noire ; l’immigration sauvage conduit vers l’Europe, la
France en particulier, et avec quelles pertes, de jeunes Africains qui,
immanquablement, échoueront dans les quartiers pauvres de Paris.
Au sommet de Bamako, qui devait réunir tous les chefs d’État
africains, Jacques Chirac s’est vu rattrapé par l’affaire.
Durement interrogé par les journalistes du continent noir «
sur le traitement infligé aux jeunes des banlieues », il
a pu mesurer à quel point ces banlieues sont devenues à
la fois un point focal d’une réalité française
et la caisse de résonance des drames extérieurs.
On peut retrouver quelques traits communs à ces
deux malaises – celui des banlieues, celui de la ceinture noire
de la planète. En premier lieu, le mal-être né du
sentiment d’abandon. « Vous nous avez délaissés
», ont dit les jeunes Africains interpellant le président
Chirac lors du sommet de Bamako. Même sentiment chez les jeunes
banlieusards qui se sentent décalés par rapport à
la société française et comme hors d’état
de rattraper un train – celui du savoir, de l’emploi, d’un
certain bien-être – d’une normalité dont il désespèrent
d’avoir jamais la clé.
Corollaire de ce décalage : le manque de considération.
À Paris, Nicolas Sarkozy n’a pas pris la mesure des effets
dévastateurs de propos inutilement dégradants. Les mots
ont un poids, qu’un homme politique – surtout un ministre,
qui est celui de tous les Français – ne peut pas ignorer.
Quant à la distance qui sépare bien des émissaires,
parachutés de l’hexagone, de l’Africain de la rue,
elle ne peut que susciter chez les jeunes, comme en banlieue, des réflexes
d’incompréhension. À Bamako, le président
de la République a promis à de jeunes Africains qu’ils
pourront être accueillis en France. Mais cette bienveillante hospitalité
– la solution est-elle là, d’ailleurs ? – est
comme contredite par la sélection qui la sous-tend. Et que dire
de la complaisance, autre forme de mépris, affichée de
Paris pour les despotes africains que honnit la population ? Ce vieux
réflexe qui renvoie à l’ère de Foccart et
du paternalisme post-colonial français n’est pas sans rappeler,
à sa manière, la bienveillance des États-Unis,
dans les années 60 et 70, pour les régimes dictatoriaux,
parce qu’anti-communistes.
Le troisième point est infiniment plus délicat.
C’est celui de la dépendance, donc, symétriquement,
de l’autonomisation des jeunes banlieusards comme des jeunes Africains.
Il ne manquera pas de sociologues ou d’agents sociaux pour la dire
impossible, avec d’excellents arguments. Elle est pourtant vitale
ici, et quelques voies existent, dont celle du micro-crédit,
pour mettre au travail des sans-emploi. Des sans-emploi, même
manquant de formation, dont la capacité du « faire »
dépend aussi – on le voit apparaître dans un courant
nouveau de l’islamisme modéré – de leur désir
d’en sortir. Une gageure 
Antoine
Bosshard