Le petit-fils de Simon
Veuf et handicapé,
Simon vit seul dans sa grande maison et s’en tire assez bien grâce
à quelques voisins et à une aide-ménagère.
Il se dit heureux de recevoir ma visite régulièrement
et nous bavardons longuement de sa vie. Dans sa déchéance
relative, il ne parvient pas à bien sentir cette part de bonheur
qui fut la sienne et dont je souhaiterais qu’il garde le chaud
souvenir.
Ses cinq enfants, habitant au loin, se concertent pour
ne pas le laisser plus de deux mois sans visite. Ils se retrouvent aussi
à peu près tous pour l’anniversaire de leur vieux
père. Certains des petits-enfants les accompagnent.
« Le sens de leur vie m’échappe,
me confie Simon. Ils ne me parlent plus guère de leurs projets,
de leurs joies et de leurs peines comme ils le faisaient du temps de
leur mère. Ils ont, bien normalement, leur liberté. Je
n’ai plus le loisir de les comprendre et de les suivre par la pensée.
Insensiblement, je les vois s’éloigner et ma vie s’est
trouvée vidée. De même la plupart de mes amis sont
morts et les nouvelles des autres sont rares ; ils sont devenus
comme des fantômes. Je n’ai plus prise sur ma vie ni sur
celle de quiconque... »
Et Simon songe au père de la parabole. Un des
fils a pris sa liberté et il est parti au loin, mais le père
attend et sa joie éclate quand il voit revenir le disparu.
« Comment puis-je me mettre à la place
du père ? Puis-je avoir l’espoir de quelque événement
qui ressuscite nos liens du passé ? »
La seule liberté de Simon n’est pas d’agir,
c’est d’espérer, comme c’est le cas du père
de la parabole. Heureusement pour lui, je pressens qu’un jour,
un de ses petits-enfants lui fera la visite confiante attendue...
Du temps de Jésus, les pères ne vivaient
pas assez âgés pour connaître cette forme moderne
de la parabole. Maintenant, c’est aux petits-enfants qu’incombent
la joie des retrouvailles et la délicate compréhension
des aspirations du troisième âge. 
Bernard
Félix