Affirmer que les ressources en eau
font problème est une idée à la mode. On en a la
preuve par les restrictions en eau pendant l’été.
Est-il exact que ce problème existe ?
Une telle question n’a de sens que si l’on précise
les lieux et l’échelle de temps dont on parle. Ainsi en
France, depuis une vingtaine d’années, la demande n’augmente
plus et les ressources sont suffisantes ; la situation est comparable
aux États-unis et au Japon. L’irrigation par aspersion a
décru (moins de culture de maïs notamment) et le problème
actuel serait plutôt la vétusté des réseaux
de distribution dont au moins 15 % est à reprendre, pour diminuer
les pertes.
En gros, l’eau potable représente en France 25 % de la
consommation (10 % en moyenne mondiale), l’eau industrielle 25
% (20 % en moyenne mondiale) et l’agriculture 50 % (70 % en moyenne
mondiale). Les États-Unis consomment cinq fois plus d’eau
par habitant que nous, dont 85 % pour l’agriculture.
Si, en France, la demande est stagnante, le prix de l’eau a doublé
en dix ans, en grande partie parce qu’il inclut une forte redevance
pour l’assainissement. Ce dernier a fait d’incontestables
progrès par rapport aux années où les rejets directs
en rivière polluaient celles-ci. Chaque année dans le
monde plusieurs millions de personnes meurent de maladies véhiculées
par l’eau.
Avec Israël, la France est un des rares pays méditerranéens
où l’eau est payée à peu près à
son coût, donc assez cher. Ailleurs, un milliard et demi d’habitants
n’ont pas accès à l’eau, et 2 milliards ne sont
branchés sur aucun réseau d’assainissement.
Le grand public ignore la diversité des usages de l’eau
et la parenté entre l’eau du robinet, les eaux douces où
l’on pêche et ou l’on se baigne, l’eau d’arrosage
des golfs ou d’irrigation des cultures, l’eau turbinée
dans les usines hydroélectriques, celle qui fait tourner les
roues des moulins, l’eau catastrophique des inondations, l’eau
pour éteindre les incendies, l’eau pour refroidir les centrales
thermiques, l’eau des sources thermales, etc.
La situation se détériore-t-elle ? Quel est l’impact
des changements climatiques ?
Il n’y a de pénuries que locales, principalement hors
de France, dans le monde arabe et à sa périphérie.
Ce phénomène est aggravé parce que ces pays arides
ont une population en croissance forte. Chez nous, la situation est
loin d’être alarmante. Retenons seulement que la disparité
des ressources entre pays est énorme. À ces disparités
de ressources s’ajoutent de fortes différences de besoins
(agriculture intensive, reboisements ou déboisements excessifs,
fortes concentrations urbaines, etc.). On utilise en moyenne 600 m3
par habitant et par an, mais 50 en Afrique et 5000 en Asie Centrale.
Penser que le changement climatique est responsable des sécheresses
ou des inondations actuelles tient encore un peu de la spéculation.
L’impact négatif des changements de climat se manifesterait
plutôt dans les zones déjà arides. Ils ne feraient
qu’augmenter les difficultés de ces zones et accroître
les inégalités sur la planète.
Les pollutions industrielles et agricoles interviennent-elles dans
les causes du manque d’eau ?
En France, la lutte contre ces pollutions est bien engagée,
notamment du fait des redevances imposées aux pollueurs. Comme
dans le reste du monde développé, ces pollutions sont
donc en diminution pour ce qui est de la pollution industrielle, mais
encore en aggravation dans le monde agricole (excès d’engrais,
de fertilisants, etc.). Dans le reste du monde, les pollutions sont
très mal maîtrisées, particulièrement dans
les pays qui émergent rapidement : Inde, Chine par exemple.
Dans quels domaines des économies sont-elles possibles et souhaitables
?
Les ressources exploitables à des coûts acceptables peuvent
être accrues : barrages, forages. En France, seule la volonté
de maîtriser les inondations justifie encore des barrages. Ailleurs,
des coûts élevés et une forte résistance
écologique empêchent de nouveaux équipements. Mais
on a encore de la marge dans le pompage des nappes souterraines. Les
investissements des grands groupes distributeurs s’orientent en
outre vers l’élimination des tuyaux en plomb encore existants.
Les pays en développement qui inondent encore leurs champs consomment
trois fois plus d’eau par habitant que la France (Égypte,
Asie Centrale par exemple).
L’eau ne se consomme pas comme du gaz ou du pétrole :
elle est indestructible, recyclable. Aussi faut-il relativiser les idées
d’économie d’eau. Certes, une baisse relative de la
consommation des ménages ne peut être que favorable à
leurs budgets et tout un catalogue de mesures est connu dans un tel
sens, comme la récupération des eaux pluviales ou le remplacement
des appareils ménagers vétustes, trop gros consommateurs.
Il est sûr qu’économiser l’eau par la lutte contre
les gaspillages en particulier est moins coûteux qu’accroître
sa production.
Est-il préférable d’économiser ou d’augmenter
la ressource ?
Poursuit-on un objectif économique ou aussi un objectif écologique
? À cet égard, de saines restrictions se conçoivent
pour le maintien d’un débit minimum dans les rivières
ou pour la préservation de quelques écosystèmes.
Mais il serait aussi important de prendre des mesures d’assainissement
(la France est en retard) que de restreindre l’usage de l’eau.
Les tarifs vont, selon les communes françaises, de 1 à
20 (on trouve en Savoie quelques communes à distribution gratuite).
Des ressources mal exploitées seront-elles un jour mobilisables
?
Ce sont, entre autres :
– les eaux souterraines saumâtres, en Israël notamment
;
– les forages très profonds (à plus de 500 m en
Arabie, « eaux fossiles » non renouvelables) ;
– et surtout l’eau de mer qui a le plus d’avenir, car
on améliore fortement le système de traitement.
Comme l’énergie est de plus en plus chère, l’eau
des forages profonds coûte de plus en plus. L’idéal
serait de limiter à zéro la croissance dans les pays à
bout de ressources (recyclage de l’eau en Égypte par exemple).
Il existe en Afrique de grandes possibilités d’agriculture
non irriguée, avec les seules ressources pluviales existantes,
mais les pratiques agricoles ancestrales de ces pays ne sont pas adaptées
; faute de ressources en eau convenable, on assiste en Afrique à
l’importation d’aliments (viande et surtout céréales)
provenant des pays arrosés, tels que la France.
On en arrive à la notion d’eau virtuelle, ressource procurée
sous d’autres cieux et favorisant une agriculture exportée
vers les pays pauvres en eau. En Europe, la France est le premier exportateur
d’eau virtuelle. De même le Japon vers la Chine. Cette tendance
va se développer.
Le coût de l’eau est inéluctablement appelé
à augmenter. Sera-t-il insupportable au point qu’il faille
créer un véritable service public pour les personnes de
faibles ressources ?
Une vieille idée reçue veut que l’eau soit un don
du ciel, d’où sa gratuité qui serait de rigueur.
Mais captage, transport, distribution et assainissement représentent
des dépenses bien réelles. La question du prix de l’eau
appelle donc des réponses très variables.
Déjà, sauf en France, l’eau marchande est vendue
en dessous de son prix de revient ; elle est donc subventionnée.
L’eau d’irrigation est vendue 30 % moins cher que son coût
en Israël, ce qui n’est pas le cas en France où, toutefois,
les investissements des communes rurales sont partiellement subventionnés,
ce qui diminue le prix de revient de l’eau.
Partout ailleurs, les prix de vente sont nettement inférieurs
au coût, plus particulièrement pour l’irrigation.
En Inde, l’électricité consommée par les forages
est, elle aussi, subventionnée.
Cette situation de non-vérité des prix est-elle durable
? Sa principale justification est tirée indiscutablement de considérations
sociales. 
par Jean
Margat, propos recueillis par Bernard
Félix